Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2017-649 du 4 août 2017, a déclaré constitutionnel le 3° de l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle qui étend le régime de la licence légale à un certain service de radio par internet.
Une extension progressive de la licence légale
Le régime de la licence légale a été institué en droit interne par la loi Lang du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins. En application de l’article 22 de cette loi, la licence légale s’applique à la communication directe d’un phonogramme dans un lieu public à des fins autres qu’un spectacle (discothèques et lieux sonorisés tels que les cafés et restaurants, galeries marchandes etc.) ou par radiodiffusion (soit par voie hertzienne, soit par câble). Ces dispositions ont été codifiées à l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle, par la loi n°92-597 du 1er juillet 1992.
La licence légale pour la communication au public est un système d’exception au droit exclusif dont disposent les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes qui ont la possibilité d’interdire ou d’autoriser l’utilisation et l’exploitation de leur oeuvre, et dans le cas échéant percevoir une rémunération. Le régime de la licence légale se substitue donc au droit d’autoriser ou d’interdire. La loi va alors autoriser certaines exploitations de ce droit et non plus le titulaire des droits voisins.
Plus précisément, les radios hertziennes peuvent depuis cette loi diffuser des phonogrammes du commerce en versant en contrepartie une rémunération équitable redistribuée aux producteurs et aux artistes-interprètes (articles L. 214-1 à L. 214-5 du Code de la propriété intellectuelle) sans demander une autorisation préalable.
La rémunération est versée, de manière indivisible, par les personnes qui utilisent les phonogrammes du commerce, à une société civile: la SPRE- Société pour la rémunération équitable. Elle est ensuite répartie à 50 % entre les sociétés représentant les artistes-interprètes (ADAMI et SPEDIDAM) et 50 % entre les sociétés représentant les producteurs de phonogrammes (SCPP et la SPPF).
La loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) a ensuite élargi le champ de la licence légale aux chaînes télévisées ,lorsque ces dernières diffusent des phonogrammes sous forme de bande-son lors d’un programme audiovisuel.
La dernière modification de l’article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle date de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine et étend le régime de la licence légale aux services de radio diffusant par internet, appelés également webcasting linéaire.
Une extension qui ne fait pas consensus
En application de l’article L. 214-3 du Code de la propriété intellectuelle, le barème et les modalités de versement de la rémunération équitable sont établis par des accords spécifiques à chaque branche d’activité entre les organisations représentatives des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des personnes utilisant les phonogrammes. Les stipulations de ces accords peuvent être rendues obligatoires pour l’ensemble des intéressés par arrêté du ministre chargé de la culture.
À défaut d’accord, il est prévu que « le barème de rémunération et des modalités de versement de la rémunération sont arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’État et composée, en nombre égal, d’une part, de membres désignés par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, d’autre part, de membres désignés par les organisations représentant les personnes qui, dans la branche d’activité concernée, utilisent les phonogrammes dans les conditions prévues aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 214-1 » (article L. 214-4 du Code de la propriété intellectuelle).
La SCPP et la SPPF ont saisi le Conseil d’Etat d’une requête en annulation de l’arrêté du 13 février 2017 du ministre de la culture et de la communication portant composition de la commission prévue par l’article L. 214-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Les sociétés requérantes ont soulevé une QPC portant sur les dispositions du 3° de l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Les dispositions contestées étaient critiquées au motif qu’elles priveraient les producteurs et les artistes-interprètes de la possibilité de s’opposer à la diffusion d’un phonogramme sur certains services de radio par internet. Elles estiment que cette privation constituerait une violation au droit de propriété et porterait une atteinte disproportionnée.
De plus, les deux sociétés de gestion de droit représentant les producteurs de phonogramme, soutenaient que ces dispositions porteraient également atteintes à des libertés fondamentales comme la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, dès lors que les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes ne seront plus à même de négocier le montant de leur rémunération. Ces dispositions les priveraient du bénéfice du régime du droit exclusif.
Il est à noter que par ce dispositif de la licence légale, les producteurs de phonogramme voient leur revenu d’activité largement diminuer. Ils passent d’un taux conventionnel de 12,5% à un taux progressif de 4% à 7% dans l’hypothèse où le taux applicable est similaire à celui des radios.
En outre, elles estiment que la loi ne prévoyait pas de dispositions transitoires relatives à la mise en œuvre des dispositions contestées. L’absence de dispositions transitoires affecterait les contrats actuellement en cours conclus entre les producteurs et les artistes-interprètes et entre les producteurs et les webradios ce qui constituerait une atteinte au principe de sécurité juridique.
Enfin, les sociétés requérantes font état d’une violation du principe d’égalité devant la loi, en ce que le législateur aurait instauré une différence de traitement non justifiée au regard des objectifs poursuivis.
A l’inverse, l’ADAMI et la SPEDIDAM se sont félicités de cette extension de la licence légale favorable aux artistes-interprètes et sont intervenus dans la procédure afin de défendre la conformité à la Constitution des dispositions contestées.
Des dispositions jugées constitutionnelles mais critiquables
Il revenait au Conseil constitutionnel de dire si les limitations apportées à ces différents droits constitutionnels étaient proportionnées aux objectifs poursuivis par le législateur.
Le Conseil constitutionnel estime en premier lieu que les dispositions contestées laissent intact le droit moral des artistes-interprètes.
Le législateur a entendu faciliter l’accès des services de radio par internet aux catalogues des producteurs de phonogrammes. Cet accès favorise la diversité de l’offre culturelle proposée au public en permettant aux webradios de diffuser d’avantage de titres. Le législateur a donc poursuivi un but d’intérêt général.
De plus, les dispositions contestées dispensent d’obtenir l’autorisation préalable des artistes-interprètes et des producteurs seulement pour la communication au public de phonogrammes par des services de radio par internet non interactifs.
Il faut entendre par ce terme un service de radio qui diffuse de façon linéaire en ligne. Le flux est continu et les programmes diffusés sont crées spécifiquement à cette fin. L’utilisateur ne peut ni intervenir sur le contenu diffusé, ni l’influencer en précisant ses préférences musicales.
Le Conseil constitutionnel insiste sur la similitude entre les services de radio par internet non interactifs et les services de radiodiffusion hertzienne, justifiant l’extension du régime de la licence légale aux webradios non interactives. En raison de cette similitude, le législateur a voulu une neutralité technologique.
Le champ de la limitation apportée aux prérogatives des titulaires de droits voisins est donc restreint à une catégorie particulière de service de radio par internet.
Cette autorisation demeure néanmoins lorsqu’un service de radio diffuse un programme thématique dédié majoritairement à un artistes-interprète ou lorsque le service de radio a mis en place des fonctionnalités permettant à un utilisateur d’influencer le contenu du programme ou la séquence de sa communication. Ce dernier correspond à des web radios interactives ou semi-interactives.
Enfin, le Conseil constitutionnel a tenu compte de la mise en œuvre des dispositions contestées donne lieu à une rémunération des titulaires de droits voisins, versée par les utilisateurs de phonogrammes en fonction de leurs recettes. Comme nous l’avons vu ci-haut, le barème et les modalités de versement sont établis par des accords spécifiques ou par une commission administrative paritaire. Une rémunération équitable est alors assurée aux titulaires de droits voisins.
Le Conseil constitutionnel juge donc que « les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété intellectuelle, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi ».
En ce qui concerne les autres griefs, le Conseil constitutionnel dispose « qu’en l’absence de disposition expresse contraire, les dispositions contestées n’affectent pas les contrats légalement conclus avant leur entrée en vigueur ». Le grief relatif à l’absence de dispositions transitoires est donc écarté.
Le Conseil constitutionnel écarte également le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité en ce que les dispositions contestées n’instituent aucune différence de traitement.
Pour conclure, l’alinéa 3 de l’article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle est jugé constitutionnel.
La licence légale a pour effet de développer le marché des webradios comme elle a permis de développer considérablement le marché de la radiodiffusion hertzienne. L’objectif du législateur était d’uniformiser le régime des webcasting non interactives et des radios traditionnelles, d’autant plus que ces dernières retransmettent aujourd’hui tout ou partie de leurs programmes via leur site web, ce qu’on appelle le simulcasting. Le critère d’application dépendait alors du mode de diffusion.
Désormais, le critère de distinction est le degré d’interactivité. Seuls les services de diffusion en flux continu sans aucune altération de la part de l’utilisateur et sans degré d’interactivité peuvent bénéficier de la licence légale. Le débat risque de se poursuivre car cette extension crée une inégalité notable entre les services de radio par internet linéaire et les web radios interactives et semi interactives. En effet, si le souhait du législateur est de développer le marché des webradios et si le principe de neutralité technologique justifie l’extension de la licence légale, cette extension aurait dû s’appliquer à toutes les webradios confondues sans tenir compte du degré d’interactivité. En voulant effacer la différence de traitement entre les radios traditionnelles et les webradios linéaires, le législateur en laisse substituer une autre.
SOURCES
*Décision n° 2017-649 QPC du 04 août 2017 – Société civile des producteurs phonographiques et autre [Extension de la licence légale aux services de radio par internet] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2017/2017-649-qpc/communique-de-presse.149562.html?platform=hootsuite
*Commentaire du Conseil Constitutionnel Décision n° 2017-649 QPC du 4 août 2017http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2017649QPC2017649qpc_ccc.pdf
*Communiqué de presse de l’ADAMI, publié le 4 août 2017 https://www.adami.fr/fileadmin/user_upload/pdf___docs/06_Presse/Communiques_2017/CP_Adami_QPC_webradios_victoires_des_artistes.pdf
*« Artistes-interprètes (rémunération) : constitutionnalité du régime – Conseil constitutionnel 4 août 2017 » Recueil Dalloz 2017. 1654
*P.Revial « L’extension de la licence légale de l’article L. 214-1 » Juris art etc. 2017, n°43, p.37