Le groupe Canal Plus est un des groupes audiovisuels les plus influents sur la scène française. En effet, au même titre que Netflix ou OCS au niveau international, le groupe est un des « leader » dans la distribution de programmes payants que sont les séries et films. L’exploitation de ces œuvres audiovisuelles va de pair avec le paiement des droits dus à leurs auteurs. L’INPI rappelle à ce titre que le droit d’auteur « protège les œuvres littéraires, les créations musicales, graphiques et plastiques, mais aussi les logiciels, les créations de l’art appliqué, les créations de mode, etc. ». Depuis la fin de l’année 2016, le groupe Canal a été assigné en justice par certaines sociétés d’auteurs pour non-paiement de ces droits aux créateurs. Des « assignations en référé » ont été déposées devant le Tribunal de grande instance de Nanterre en juillet.
La diffusion d’œuvres audiovisuelles : une gestion des droits par les sociétés d’auteurs
Le Groupe Canal est un groupe télévisuel français qui propose des chaines payantes et gratuites mais également un service de vidéos à la demande (VOD). Les œuvres diffusées par ce groupe sont qualifiées d’œuvres audiovisuelles et leur réalisation implique le travail simultané d’un groupe de personne dont l’auteur du scénario, des compositions musicales, des paroles etc, ce qui est rappelé dans le Code de propriété intellectuelle à l’article L 113-7. Il s’agit d’une œuvre réalisée en collaboration ce qui entraîne une propriété commune pour toutes les personnes citées ayant participé au projet de réalisation de cette œuvre. Selon la législation française, le droit d’auteur s’acquiert de manière directe lorsqu’une œuvre rassemble plusieurs éléments essentiels témoignant de son originalité et de sa mise en forme. Il en va ainsi pour les œuvres diffusées par le Groupe Canal qui sont alors soumises au paiement de droits d’auteur et aux règles rattachées à ceux-ci.
Dans le cas d’un groupe tel que Canal Plus en France, les auteurs des différentes œuvres vont céder leurs droits au producteur afin de leur permettre l’exploitation de leurs œuvres dans la limite des règles édictées par le Code de propriété intellectuelle. En outre, comme le rappelle la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM), dans le cas d’un groupe télévisuel, ce ne sont pas les «producteurs de télévision qui paient les droits d’auteur lorsqu’une œuvre est diffusée à la télévision, seules les chaînes de télévision sont redevables ».
La gestion collective des droits est l’organisation la plus répandue dans le milieu audiovisuel tant l’application des droits d’auteur dans ce domaine est complexe. Cette gestion des droits d’auteur par les différents groupes de télévision justifie la présence de plusieurs sociétés d’auteurs. Ce sont des organismes de gestion collective qui sont définis par la loi comme « personnes morales constituées sous toute forme juridique dont l’objet principal consiste à gérer le droit d’auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits ». Ces sociétés permettent aux auteurs de déléguer la gestion de leurs droits patrimoniaux notamment concernant les procédures administratives et juridiques nécessaires à l’exploitation des œuvres. Pour des œuvres impliquant plusieurs personnes, comme c’est le cas ici, la centralisation de la gestion des droits est une simplification tant pour les auteurs que pour la chaîne qui exploite ces œuvres. En outre en vertu de l’article L 321-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, sous réserve d’une autorisation de l’auteur, la société peut ester en justice afin de défendre ses intérêts, ce qui est le cas pour les sociétés non payées par Canal Plus.
Un chantage de la part du groupe de Vincent Bolloré : la justification par la renégociation des contrats
Le Groupe audiovisuel Canal Plus est une filiale de Vivendi et est contrôlé par Vincent Bolloré. Depuis un certain temps les économies vont mal pour le Groupe, le patron de chaîne ayant évoqué à plusieurs reprises le risque de faillite. Cette situation serait due à un recul dans des domaines où la chaîne avait l’habitude de se placer en « leader » comme le sport et notamment le foot ou le cinéma. Par ailleurs plusieurs départs de figures emblématiques ainsi que des pertes de la branche payante de télévision ont eu pour conséquence une baisse des abonnements à la chaîne. De plus, face à la concurrence grandissante de groupe comme « Netflix » ou « OCS », le groupe semble en difficulté. A ce sujet Vincent Bolloré déclare « si les pertes continuent, il y a un moment où il faudra arrêter le robinet, parce que Vivendi ne pourra pas apporter de l’argent indéfiniment à Canal+ ».
Le groupe s’est alors lancé dans une « chasse aux économies » afin de réduire les dépenses. En ce sens une décision unilatérale a été prise par la chaîne ; celle de renégocier ses contrats avec les sociétés d’auteur à la baisse. Afin d’y parvenir la direction de Canal Plus a décidé de ne plus payer les droits dus aux sociétés d’auteur. Selon la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs, lesdits droits ne sont plus versés depuis la fin de l’année 2016, ce qui représenterait un montant de 50 millions d’euros. Cette décision de non-paiement constitue une « prise d’otage » des auteurs selon les sociétés de gestion collective en ce qu’elle a été prise de manière unilatérale. Les sociétés d’auteurs touchées par cette décision sont nombreuses il s’agit de la SAD, SACEM, SCAM et ADAGP. L’objectif poursuivi par le Groupe étant une réduction significative des coûts de droit d’auteur.
La réaction des sociétés de gestion face à cette décision ne s’est pas fait attendre, certaines ont pris la décision de continuer à verser les droits dus aux auteurs malgré tout. C’est le cas de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques qui déclare; « en dépit du non-règlement d’une partie des factures, la SACD assurera jusqu’au 15 septembre minimum le règlement des droits et avances aux auteurs des œuvres diffusées sur les différentes chaînes du groupe ». Pour sa part la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs prend position dans ce conflit et se dit « choquée » du comportement du groupe envers les auteurs.
Cette décision brutale de la chaîne va à l’encontre de ses objectifs notamment de réduire le délai séparant la date de sortie d’un film en salle de cinéma et celle de sa première diffusion qui est un problème récurrent dans le domaine de la vidéo à la demande. Selon l’ARP face aux nouveaux enjeux de concurrence qu’apporte la SVOD qui est la vidéo à la demande par abonnement, cette décision de Canal plus est incohérente. Ne prenant pas en compte ces arguments, le groupe de Vincent Bolloré campe sur ses positions et estime que les droits dus par la chaîne aux sociétés de gestion des droits d’auteur sont trop élevés. Le problème étant que ces droits sont calculés sur la base du pourcentage de chiffre d’affaire de la chaîne et vont de pair avec les taux d’audience de celle-ci. Ils sont donc difficilement modifiables.
Un pas en avant de la part de Canal : l’accord trouvé avec la SACEM
Après plusieurs négociations entre le Groupe de Vincent Bolloré et les sociétés de gestion de droit d’auteur, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) a pu trouver un accord avec la chaîne. Par un communiqué de presse mis en ligne sur son site, la société de gestion collective informe que le groupe Canal Plus a accepté d’honorer le paiement des sommes dues pour 2017 pour l’ensemble des contrats qu’elle gère. En outre Canal s’est engagé à remettre à la société les « données de diffusion des œuvres » permettant la répartition des sommes aux différents auteurs, compositeurs et éditeurs. Suite à cet accord la SACEM a abandonné les poursuites engagées contre Canal plus, le directeur de la société de gestion a déclaré « La SACEM a défendu sans concession les intérêts de ses membres, afin de garantir à tous le plus juste niveau de rémunération ». La question se pose alors concernant les autres sociétés d’auteur avec lesquelles le groupe télévisuel est engagé.
SOURCES :
BENHAMOU (F.), PELTIER (S.), « Économies des droits d’auteur. III – La télévision », Culture études, vol. 6, n°6, 2007, pp. 1-24. http://www.cairn.info.lama.univ-amu.fr/revue-culture-etudes-2007-6-page-1.htm?
PARIS (T.), « L’organisation de la gestion collective des droits d’auteur : entre rationalisation et logique d’institution », Réseaux, vol 16, n°88-89, 1998, pp. 123-137. http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1998_num_16_88_3228
Canal Plus et la SACEM, Communiqué de presse, « COMMUNIQUE LA SACEM ET LE GROUPE CANAL+ TROUVENT UN ACCORD », Paris, le 6 octobre 2017, consulté le 11 octobre 2017 : http://www.canalplusgroupe.com/uploads/pressRelease/press_release_4207.pdf.
SACEM, « Droits d’auteur, comment fonctionne la répartition », https://createurs-editeurs.sacem.fr/sacem-et-moi/repartition-droits-auteur.
PIQUARD (A.), VULSER (N.), « Canal+, mauvais payeur, dans le viseur des sociétés d’auteurs », Le Monde Economie, 5 juillet 2017, http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2017/07/05/canal-mauvais-payeur-dans-le-viseur-des-societes-d-auteurs_5156015_3236.html.