Ces douze dernières années, l’intelligence artificielle n’a cessé de se développer, faisant de ce concept l’une des tendances technologiques les plus marquantes de notre ère. L’intelligence artificielle est ainsi venue révolutionner le marché de la robotique, en créant un nouveau type de machine, dotée d’une intelligence inspirée de la cognition humaine. En outre, l’intelligence artificielle permet aux machines de pouvoir fonctionner logiquement et avec anticipation, elle donne aux robots intelligents une certaine autonomie en leur permettant de faire des choix, de prendre des décisions. Toutefois, même si son développement présente un certain nombre d’avantages incontestables (gain de temps, d’argent et réussite), ce concept révolutionnaire entraine un certain nombre d’enjeux et de défis pour notre société. Ainsi l’encadrement juridique des robots intelligents semble aujourd’hui plus que jamais primordial pour garantir la sécurité, l’intégrité et le respect des libertés fondamentales.
L’émergence de l’intelligence artificielle (IA)
C’est dans les années 50 que la notion d’intelligence artificielle a fait son apparition. Elle repose sur une réflexion du mathématicien britannique Alan Turing qui cherchait à apporter une réponse à la question « Une machine peut-elle penser ? ». Ce dernier a alors imaginé un test, « le test de Turing » consistant à confronter à l’aveugle, une machine et un humain. Il explique alors que si le sujet est incapable de différencier ses interlocuteurs, cela signifie que l’intelligence artificielle est similaire à l’intelligence humaine et donc qu’une machine peut penser.
Puis, suite à la conférence de Dartmouth Collège de 1956, on a commencé à appréhender l’intelligence artificielle en tant que domaine de recherche. En France, ce n’est qu’en 1970 que la recherche sur l’intelligence artificielle a débuté, notamment grâce aux travaux réalisés par le groupe de recherche « GR 22 ». Petit à petit, les machines intelligentes vont alors se développer. C’est ainsi que vont naitre « Deep Blue », l’ordinateur champion d’échecs conçu par IBM, les voitures autonomes, ou encore Ross, un robot intelligent chargé d’effectuer des travaux juridiques. L’intelligence artificielle touche donc aujourd’hui un certain nombre de domaines et sa place dans la société ne devrait cesser de croitre.
Mais qu’est-ce-que l’intelligence artificielle ? Bien qu’aucune définition juridique ne soit donnée, un certain nombre de chercheurs ont tenté de la définir. Ainsi, Nils J. Nilson, grand chercheur en IA à l’université de Stanford la définit par exemple comme « une activité consistant à rendre une machine intelligente ». Il ajoute que « l’intelligence est une activité qui permet à une entité de fonctionner de manière appropriée et avec anticipation dans son environnement ». Si l’on s’en tient à cette définition, on en déduit que l’intelligence artificielle est une science permettant aux machines de réagir logiquement et de manière réfléchie aux sollicitations de leur environnement.
Comme le dit John McCarthy, l’un des piliers en la matière, l’intelligence artificielle permet de reproduire au mieux les activités mentales de compréhension, de perception ou de décision par le biais d’une machine.
Avec le développement de l’intelligence artificielle, un nouveau type de machine émerge dont les principales caractéristiques sont : l’autonomie, la capacité de penser, de choisir, et la prise de décision. Quelques soient les opinions des intervenants, tous s’accordent à dire que la régulation de l’IA est aujourd’hui urgente pour éviter les dangers que son développement pourrait créer au sein de notre société.
Les différentes conceptions de la réglementation juridique de l’IA en France
Aujourd’hui en France, l’intelligence artificielle n’est soumise à aucun régime juridique et les opinions divergent concernant la manière dont elle doit être régulée. D’un coté, la majorité doctrinale considère qu’il n’est pas nécessaire de créer un régime et donc un statut juridique propre au robot. Ces derniers estiment que les bases juridiques actuelles sont suffisantes pour réguler cette nouvelle réalité. Ainsi, ils affirment par exemple que le droit de la protection des données à caractère personnelles ou encore le droit des contrats pourrait tout à fait s’appliquer au cas des robots intelligents. Au niveau de la responsabilité juridique, ils considèrent que la responsabilité du fait des choses ou des animaux à vocation à s’appliquer pour les robots dotés d’IA dans la mesure où ils considèrent que le robot intelligent n’est qu’un objet, une machine exécutant des tâches que l’homme lui a demandé d’accomplir. Pour les tenants de cette théorie, l’autonomie du robot n’est pas retenue. En conclusion, ces derniers considèrent que la création d’un nouveau statut juridique pour les robots n’est pas nécessaire, puisque les règles actuelles seraient en mesure de résoudre de tels conflits.
De l’autre coté, face à cette majorité, certains intervenants considèrent que la création d’un régime juridique propre aux robots dotés d’IA est indispensable. Ces derniers considèrent en effet que l’IA n’est ni une personne humaine, ni un objet et ni un animal. De ce fait, pour eux, le droit positif n’est pas en mesure de s’appliquer et la création d’un nouveau droit s’impose alors. Alain Bensoussan, avocat spécialisé en droit des technologies à la Cour d’appel de Paris, fait partie de ce mouvement. Il estime que ces robots « ne sont pas des objets car ils sont dotés d’une intelligence artificielle qui leur permet de prendre des décisions, mais ce ne sont pas des humains non plus puisqu’ils n’ont ni conscience, ni sensibilité ». De facto, ces derniers veulent créer un nouveau droit, car ils considèrent qu’aucune loi actuelle ne peut s’appliquer aux robots dotés d’IA. Selon eux, nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité de répondre aux questions de responsabilité des robots ou encore de créations des robots. Ainsi, en cas d’erreur commise par un robot qui sera le responsable ? Ou encore en cas d’invention par un robot, qui sera considéré comme créateur ? Autant de questions qui sont aujourd’hui sans réponse, et qui ne pourraient être résolues que par l’intervention du législateur en la matière. Ils souhaitent ainsi définir un environnement juridique propre à l’IA où les robots répondraient à leur propre loi.
En pratique, la France compte un certain nombre d’institutions et de groupes de réflexions qui commencent à s’intéresser à l’encadrement juridique de l’IA. Ainsi, le 29 mars 2017, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) a adopté un rapport afin d’avoir une IA « maitrisée, utile et démystifiée ». De plus, les discussions et les colloques concernant la régulation ne cessent de se développer. Cela montre le potentiel de la France et sa position favorable dans la course à l’IA, mais cela reste potentiel et rien n’est encore fait en pratique.
Un plan stratégique France IA a également été présenté à Paris en janvier 2017 par Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d’Etat chargée du numérique et de l’innovation et Thierry Mandon, ancien chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’idée principale de ce plan, au niveau juridique, est que la France s’impose afin de créer des règles en accord avec les valeurs qu’elle défend, entre autre l’égalité, la lutte contre les discriminations ou encore le respect de la vie privée. A cette occasion, Axelle Lemaire affirme que « la question n’est pas d’être pour ou contre l’IA mais de se donner les moyens de faire partie du jeu pour contribuer à en définir les règles ». D’autant que cela permettrait à la France d’être dans la continuité de la loi pour une république numérique.
Concrètement la France n’a toujours pas tranché et l’encadrement juridique de la robotisation est inexistant. Toutefois, la France doit vite se prononcer si elle ne veut pas se voir imposer les règles juridiques des leaders en la matière, à savoir de la Chine et des Etats-Unis. Il apparaît clairement que l’IA devra tenir compte de deux réglementations et notamment de la loi pour une République numérique, ainsi que le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Cependant, la plupart des intervenants considèrent que la régulation de l’intelligence artificielle doit se faire au niveau européen. Cela aurait un poids plus important et permettrait notamment à la France d’exploiter pleinement son potentiel en matière d’IA.
La position de l’Europe concernant l’encadrement juridique de l’IA : la création d’un statut juridique de « personne électronique ».
Dès janvier 2015, la commission des affaires juridiques du Parlement Européen (JURI) a décidé d’instaurer un groupe de travail afin de réfléchir aux questions juridiques liées au développement de l’IA dans l’Union Européenne. L’objectif principal de ce groupe était d’élaborer des règles de droit civil. Le rapport Delvaux a tenu compte de l’évolution de la robotique dans notre société et de la nécessité de créer un cadre juridique européen.
Puis, par une résolution du 16 février 2017, le parlement européen a adopté à une large majorité, une résolution concernant « les règles de droit civil sur la robotique ». Ils demandent à la commission européenne d’encadrer juridiquement l’intelligence artificielle afin d’exploiter pleinement le potentiel économique de ces technologies, tout en préservant la sécurité. Ils souhaitent aussi qu’une définition juridique soit donnée à l’IA, afin de mieux comprendre les enjeux de cette nouvelle réalité.
Ce rapport s’inspire en réalité des 3 lois Asimov qui ont été décrites dans une nouvelle de l’écrivain de sciences fiction Isaac Asimov « Le cercle vicieux ». Les parlementaires se placent alors du coté de la minorité doctrinale française et demande la création d’un nouveau droit adapté aux robots intelligents. Ils demandent notamment à ce que les robots aient leur propre statut juridique. Après avoir rappelé l’émergence de la robotisation dans notre société et les enjeux environnementaux, sociétaux et économiques que cela entraine, les parlementaires invitent alors la commission à réagir en leur présentant une directive suivant leurs recommandations. En outre, ils expliquent que les robots sont de plus en plus autonomes, si bien qu’on ne peut plus les assimiler à des outils utilisables par les humains. De ce fait, la création d’un statut juridique qui leur est propre, est nécessaire. A long terme, l’idée est de créer un statut juridique de personne électronique, qui créera alors des droits et des devoirs pour les robots intelligents. Le rapport classe dans la catégorie de personne électronique « tout robot qui prend des décisions autonomes de manière intelligente ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers ».Toutefois, la commission ne s’est aujourd’hui toujours pas prononcée sur la création du statut de personnalité électronique.
Au niveau des institutions, le comité économique et social européen (CESE) a rendu un avis le 4 mai 2017 sur l’IA. Dans son rapport il s’oppose formellement à la mise en place d’une nouvelle forme de personnalité juridique propre aux robots intelligents. Le CESE estime en effet qu’il s’agit d’une menace pour une démocratie ouverte et équitable. Cependant aucune autorité contraignante ne s’est encore prononcée sur le sujet.
L’objectif de ce cadre juridique européen, est d’éviter que chaque Etat membre ne légifère en la matière de façon différente. Les parlementaire pensent qu’une unanimité dans la régulation des robots intelligents serait d’autant plus efficace qu’elle permettrait à l’Europe de rester en pointe en matière de robotique grâce à des normes communes. L’objectif est de ne pas se voir imposer des normes par les pays tiers. La création d’une réglementation européenne de l’IA permettrait de placer la France dans la course mondiale.
SOURCES:
Bensoussan (A), « Droit des robots », édition Larcier, publié le 1er juillet 2015, consulté le 11 octobre 2017.
Bensamoun (A.) « Les robots, objets scientifiques, objets de droit » Sous la direction, ed Mare et Martin 2016, consulté le 11 octobre 2017.
Iweins (D.) « Les robots sont-ils nos ennemis », la gazette du palais, n°24, p.9, publié le 28 juin 2016, consulté le 6 octobre 2017.
Rapport européen du 12 janvier 2017 “Règles de droit civil sur la Robotique” http://www.cil.cnrs.fr/CIL/IMG/pdf/rapport_robotique.pdf
Rapport de synthèse « France intelligence artificielle », 20 janvier 2017 https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2017/Rapport_synthese_France_IA_.pdf