De nombreux domaines apparaissent comme gangrenés par le sexisme et parmi eux, nous retrouvons évidemment le domaine médiatique, lui qui est depuis de nombreuses années le théâtre de débats quant à la diffusion à outrance de stéréotypes sexistes. Pourtant, le législateur s’est toujours montré frileux à l’idée d’intervenir sur cette notion, notamment face aux enjeux de sa définition. Tantôt justifié par le droit à l’humour, tantôt défendu sous le couvert du droit à la création et à la liberté d’expression, le sexisme reste très populaire en communication audiovisuelle, notamment dans le domaine publicitaire. C’est précisément l’objet du récent rapport du CSA où tout porte à croire que le sexisme fait vendre.
La lutte contre le sexisme est une affaire sociologiquement et historiquement très spécifique à chaque pays, ce qui n’empêche pas que les inégalités entre les sexes soient régulièrement pointées du doigt sur la scène internationale. Ainsi, nous trouvons dans la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, du 18 décembre 1979 modifiée en 2015, la ligne directrice du chemin vers une réelle égalité hommes-femmes. C’est dans son article 5 qu’est exprimée la volonté de « [m]odifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».
En matière publicitaire, plusieurs institutions se voient confier la surveillance de ces contenus. En France, ce sont le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) à laquelle sont rattachés le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) et le Conseil Paritaire de la Publicité (CPP), qui exécutent cette mission. En effet, depuis le 27 janvier 2017 le CSA veille expressément « à l’image des femmes qui apparaissent dans les émissions publicitaires »[1] et c’est dans cet objectif qu’il publie, le 31 octobre 2017, un rapport portant sur la « Représentation des femmes dans les publicités audiovisuelles ». A la lecture de ce dernier il apparaît nettement que le sexisme est loin de n’être qu’une pratique anecdotique de la publicité, mais se positionne plutôt en outil incontournable et indémodable.
Entre violence et discrimination : l’ignorance originelle du sexisme ordinaire
Mais qu’entendons-nous par sexisme ? C’est bien là le premier et principal obstacle à l’incrimination de cette pratique. En 1983, les premières tentatives de réglementations prenaient appui sur les dispositions antiracismes, faisant du sexisme une forme de discrimination. En effet, en 2004 la loi portant création de la HALDE[2] introduit le délit de « discrimination à raison du sexe » dans la loi de 1881 comme délit de presse, mais ne mentionne pas le sexisme en tant que tel. Peut-on voir dans cette exclusion une certaine retenue de la part du législateur quant à la légitimité d’une intervention juridique sur les actes sexistes ? Néanmoins, s’il n’apparait aucune réelle définition du sexisme dans les textes légaux portant sur les médias, c’est dans le droit du travail que nous trouvons de quoi nous éclairer.
C’est en 2015, suite à la loi Rebsamen du 17 août, qu’est intégrée dans le code du travail la prohibition « d’agissements sexistes ». Cette nouvelle disposition renvoie enfin à ce que l’on appelle le « sexisme ordinaire » que l’on ne pouvait jusqu’à lors pas faire entrer dans les qualifications de discriminations en raison du genre ou du sexe. Ce texte fait donc référence aux interpellations familières non violentes mais déplacées telles que « ma mignonne », mais aussi à toutes les remarques, blagues, visant à délégitimer une personne voire à l’infantiliser. Cette approche de la notion de sexisme apparaît alors plus adaptée aux situations que nous rencontrons dans les médias, comme en publicité télévisuelle.
Dans son projet de loi de 1983, la ministre Yvette Roudy soulevait déjà l’importance de ne pas réduire le sexisme à une discrimination, puisqu’elle dresse les contours de cette notion qu’elle identifiait comme étant « une conception asymétrique (ou hiérarchisée) des rôles sociaux des femmes et des hommes, génératrice de comportements discriminatoires envers les femmes, mais aussi de stéréotypes et d’actes plus ou moins violents ». C’est donc sous la catégorie des stéréotypes que nous retrouvons le sexisme au sein des règles déontologiques.
La condamnation déontologique du sexisme par les autorités compétentes
Les questions portant sur l’image de la femme dans les publicités ne sont pas nouvelles, tout comme les clichés que celle-ci véhicule encore. Dès 1975, le BVP[3], qui deviendra l’ARPP, émet une recommandation spécifique à l’image de la femme. Ce texte sera ensuite actualisé, notamment en 2001 afin d’y introduire de nouvelles dispositions, notamment sur la représentation de stéréotypes dégradants, consacrant ainsi un paragraphe entier aux stéréotypes sexuels. Ainsi, l’ARPP veille aujourd’hui à ce que la publicité ne réduise pas les femmes, et la personne humaine en générale, à la fonction d’objet, ou encore, que ne soit pas cautionnée l’idée d’une infériorité en raison du sexe. Et finalement, c’est dans le dernier point de ce paragraphe que la réprobation du sexisme est clairement énoncée.
Le CPP, quant à lui, sans adopter de définition officielle, éclaircit quelques notions nécessaires comme celle de « stéréotypes » pour laquelle il opère une distinction entre les stéréotypes sexuels et les sexistes. Dans son avis du 8 avril 2014 il définit donc le stéréotype comme « un cliché obtenu par stéréotypie, c’est-à-dire par la répétition d’attitudes, d’actes, de gestes, de paroles … » qu’il précise ne pas être négatif par nature. Toutefois, lorsqu’il aborde le stéréotype sexuel il concède que celui-ci « a généralement un sens négatif dans la mesure où il vise des représentations de stéréotypes fondés sur le sexe qui sont dégradantes pour l’un des deux sexes ». On s’éloigne donc de la catégorie traditionnelle de « discrimination » édictée dans les régimes de la presse et de l’audiovisuel. Pour ce qui est du stéréotype sexiste, cet avis reprend simplement la définition du dictionnaire, marquant une fois encore l’absence de références légales. Ce que l’on retient de cette définition, à juste titre, c’est l’absence de présomption du caractère dégradant du stéréotype. Cela nous ramène là encore à une appréciation in concreto du cliché sexiste utilisé et donc, à l’éducation et à l’histoire sociologique du pays.
Le bilan déroutant du CSA sur la représentation des femmes dans les publicités télévisuelles : la représentation d’une société plus stéréotypée qu’en pratique.
La méthode adoptée par le CSA afin d’établir ce rapport est très scientifique et ne laisse place à l’appréciation subjective des faits. Ainsi, dans le but de juger de la représentation féminine en publicité, celui-ci établit une liste de critères précis appliqués à plus de 2000 publicités, réparties sur un panel de chaines significatif et à des horaires différents. Huit points seront alors examinés dans chacune de ces publicités ; le produit présenté, le sexe des personnage principaux et secondaires, le genre de la voix off, quels sont les rôles principaux (experts ou consommateurs), la présence ou non de nudité partielle ou totale et enfin, la sexualisation des personnages. Trois de ces points vont particulièrement retenir notre attention. En effet, c’est en fonction du type de produit présenté, du rôle joué et de la sexualisation du personnage que le sexisme va se révéler.
La première information à retenir de ce rapport, c’est que toutes publicités confondues, 82% des rôles d’experts sont détenus par des hommes. Nul besoin d’avoir une définition claire et précise du sexisme pour savoir ce que ce pourcentage implique en termes de représentation féminine. Celui-ci est d’autant plus inquiétant quand on sait que la distribution des rôles est plutôt égalitaire, avec 54% de rôles tenus par des hommes. Ainsi, bien que les femmes soient représentées à part quasiment égale des hommes, celles-ci ne tiennent que 18% des rôles d’experts. Quel rôle leur reste-t-il alors ? dans les meilleurs cas la femme est une consommatrice, rien de dégradant jusque-là, malheureusement la publicité ne s’arrête pas là. Non contente de représenter la gente féminine comme une catégorie ne possédant pas le « savoir » nécessaire à l’expertise, la femme fait également office d’objet. Prenons les publicités sur l’alimentation et la distribution, les femmes y tiennent pour 66% des rôles de consommatrices, pour 3% des rôles d’expertes et enfin, pour 31% des rôles « esthétiques ». Pour mieux comprendre, voici la définition sur laquelle s’est basé le CSA pour qualifier un rôle d’esthétique « sont considérés comme ayant un rôle « esthétique ou inactif » les personnages n’occupant aucun des deux rôles précités – consommateur/trice ou expert/e -. Cela inclut donc les personnages jouant un rôle de figuration ou encore les personnages dont la présence ne se justifie que par leur apparence physique »[4]. En résumé, une femme sera plus souvent amenée à être présente pour consommer ou avoir un rôle esthétique, plutôt que pour endosser un rôle d’experte. D’autre catégories de produit démontrent sans complexes l’encrage de vieux stéréotypes sur la place de la femme en société, ainsi nous observons 96% d’experts masculins dans le domaine automobile et jusqu’à 100% dans la parfumerie et l’habillement.
Autre point remarquable, la sexualisation des personnages. Celle-ci est caractérisée en présence d’une attitude suggestive, d’une simulation d’acte sexuel ou en présence de cadrages insistants sur les parties intimes du corps humain. Première observation, les sujets de la sexualisation sont majoritairement des femmes (67%) partagées entre le secteur de l’habillement et de la parfumerie (53%) et l’industrie automobile (13%), secteurs évoqués précédemment comme ceux où les hommes sont en quasi-totalité des experts. Il apparait donc clairement, que dans ces catégories où l’homme se place en maitre du savoir, la femme elle, est utilisée pour ses caractéristiques sexuelles et physiques.
Ces chiffres, pour le moins déroutants, le sont d’autant plus sachant que l’ARPP exerce un contrôle a priori sur ces publicités télévisuelles. En somme, ces stéréotypes sont tellement banalisés par la société, qu’ils apparaissent vraisemblablement comme tolérables. Bien sûr, toutes les publicités présentant un homme en expert ne sont pas sexistes individuellement, mais c’est cet acharnement à répéter de vieux clichés qui reste pour le moins déconcertant. D’autant plus que beaucoup de ceux-ci ne sont plus d’actualité, les pratiques sociales ayant évoluées. Pour preuve, en 2012, 46% de femmes affirmaient acheter leur voiture seule, même constat dans le secteur bancaire, où les publicités affichent une expertise très masculine, alors que dans les faits nous observons une répartition équitable des postes à responsabilités.
Un problème de contrôle, de qualification, mais avant tout, un problème d’appréciation
Comme toujours, dès lors que la liberté d’expression est en jeu c’est une véritable négociation qui s’engage sous les yeux du juge. Nous évoquerons deux affaires pour illustrer la complexité et surtout la subtilité de cet arbitrage.
Dans le monde de l’art, c’est la liberté de création et d’expression qui domine. Rappelé par la cour d’appel de Versailles le 18 février 2016 lors du jugement portant sur les textes du rappeur Orelsan, ce régime de liberté renforcée est justifié par la volonté « de ne pas investir le juge d’un pouvoir de censure qui s’exercerait au nom d’une morale nécessairement subjective ». Ainsi, le juge ne peut se faire le censeur de ce qui est moralement acceptable, ou non, ou de ce qui est « artistique » ou non. C’est pourquoi, les propos attaqués tels que « Mais ferme ta gueule ou tu vas t’faire marie-trintigner » ont été jugés comme non sexistes, non constitutifs d’injures ou de discriminations envers les femmes. Le juge s’est alors livré à une analyse très contextuelle des textes du rappeur, ainsi qu’à la personnalité de celui-ci qu’il faut nécessairement distinguer de celle de ses personnages fictifs, en énonçant qu’une sanction de ces textes « reviendrait à censurer toute forme de création artistique inspirée du mal-être […] en violation de la liberté d’expression ». A noter que, suite à cette décision, le duo C.L.I.T, composé de deux activistes féministes, s’est illustré sur YouTube dans un clip parodique et dénonciateur de la chanson du rappeur, Saint-Valentin, et que celui-ci a été retiré par la plateforme en raison de contenus sexuellement explicites… Devant le “bad buzz” de cette censure, la plateforme a finalement réintroduit le clip, cependant celui-ci est aujourd’hui interdit aux moins de dix-huit ans.
Mais la liberté de création ne remporte pas toujours la bataille, puisque le 28 mars 2017 le JDP, après avoir reçu plus de 150 plaintes en 5 jours, décide de faire retirer la campagne publicitaire Yves-Saint-Laurent exposant des femmes dans des positions plus que suggestives et dégradantes, accessible aussi bien dans l’espace public extérieur que sur internet. Celui-ci rappelle à l’ordre le publicitaire sur les règles de décence, de dignité, de stéréotypes, ou encore de soumission et dépendance. Selon le JDP, ces clichés doivent en effet être considérés comme valorisant les comportements sexistes, puisqu’ils mettent en scène « des femmes dans des postures ostensiblement érotiques et comme sexuellement offertes, ces photos utilisent et, de ce fait, alimentent, le stéréotype de la femme objet sexuel ».
Ces deux décisions interpellent, quelle est la différence entre le sexisme des clichés de Yves-Saint-Laurent et la traduction du mal-être, par des paroles choquantes, du rap de Orelsan ? Sachant que ce dernier touche un public très jeune, et utilise un média que l’on peut qualifier d’agressif, par rapport à une affiche publicitaire sans sons et sans vidéos, n’avons-nous pas intérêt à être beaucoup plus alertés par ses propos ? Le sexisme est une affaire de culture sociale, il apparaitrait donc judicieux de veiller à la disparition des stéréotypes et des violences verbales que nous véhiculons à la jeunesse, dans l’espoir qu’une évolution des mentalités vienne enrayer ces pratiques.
En effet, c’est peut-être dans l’éducation, plutôt que dans le droit, que pourrait être trouvée une solution durable au sexisme. Etant entièrement lié à la vision sociale implicitement admise des femmes, le sexisme prend sa source dans l’éducation et la culture du pays. D’autant que l’incrimination de propos, images, musiques ou autre reste soumise à l’appréciation d’un juge qui devra alors qualifier l’acte de sexiste ou non. C’est alors que l’éducation rentre en piste, comment peut-on qualifier une publicité de sexiste si au regard de nos propres standards culturels celle-ci n’apparaît pas comme dégradante, déplacée ou dépassant les limites du raisonnable ? Le Conseil de l’Europe fait d’ailleurs de l’éducation l’un des outils de lutte contre le sexisme indispensables, au même titre que la loi, et prescrit la mise en place de mesures concrètes afin de promouvoir une image positive et non stéréotypée des femmes et des hommes dans les médias. Au regard de notre étude il semblerait que ces mesures, soit, ne constituent pas aujourd’hui une réelle priorité, soit, ne produisent pas, ou pas encore, les effets espérés.
[1] Article 14 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986
[2] Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité
[3] Bureau de vérification de la publicité
[4] CSA, « Représentation des femmes dans les publicités audiovisuelles », p. 7.
SOURCES :
CSA, « Représentation des femmes dans les publicités audiovisuelles », 31 octobre 2017, pp 3-30.
GRANCHET (A.), « Lutter contre le sexisme dans les médias : des usages stratégiques du droit par les associations féministes françaises. », Le temps des médias, n°29, 2017, pp. 125-140.
LEMAIRE (F.), « Le projet de loi antisexiste d’Yvette Roudy ou de la difficulté à saisir le sexisme par le droit. », Droits, 61, 2015, 143-170.
CHARRUAU (J.), « Le ‟sexisme” : une interdiction générale qui nous manque ? », RDP, n°3, 01/05/2017, p 765.
CPP, « Avis stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité », 8 avril 2014, pp. 1-5. https://www.cpp-pub.org/avis/avis-publicite-et-stereotypes/