Abdelkader Merah est assis, les bras croisés et les yeux clos. Il porte une chemise blanche, une barbe et des lunettes et se trouve dans le box des accusés. Devant lui, ses deux avocats se tiennent debout. Sur l’autre cliché, la mère de l’accusé témoigne, on aperçoit en fond le co-accusé ainsi qu’un policier.
Ces photos prisent lors du procès Mohamed Merah ont été publiées le 2 novembre 2017 par le journal Paris Match. Toutefois, cela est illégal puisque la prise de photographie durant un procès est interdite en France. Le parquet de Paris a donc décidé d’ouvrir une enquête afin de trouver l’auteur de ces photos.
L’interdiction d’enregistrer, de fixer ou de transmettre au cour d’une audience et le droit à l’image
L’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 dispose que « Dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdite ». Ainsi, un procès ne peut pas être filmé, les débats ne peuvent pas être enregistrés et aucune photographie ne doit être prise.
C’est donc en violation de cette loi et en dépit de cette interdiction, que le journal Paris Match a publié des photos prises lors du procès Merah. Une enquête judiciaire a dès lors été ouverte.
Comment peut-on expliquer ces interdictions ? Cela s’inscrit dans la poursuite de plusieurs objectifs. D’une part, cette interdiction permet de conserver la sérénité des débats, elle vient supprimer toute agitation journalistique qui serait susceptible de venir troubler le procès.
D’autre part, elle permet de conserver la dignité des débats, l’avocat cherche alors à défendre son client et non pas à convaincre l’opinion publique de l’innocence du justiciable. Il s’adresse à des magistrats et non pas à la caméra.
Enfin cette interdiction s’inscrit également dans un objectif de protection de la défense et de la présomption d’innocence, le justiciable peut ainsi légitimement espérer ne pas voir son visage apparaître à la Une de tous les médias.
Le non respect de cette interdiction constitue un délit puni de 4500 euros d’amende et d’une éventuelle confiscation des numéros concernés. Des peines complémentaires peuvent également être proposées. Par exemple, lors du Procès Michel Fourniret en 2008, une photo avait été diffusée dans la presse, montrant le tueur en série dans le box des accusés, et Paris Match s’était vu confisquer son accréditation.
La publication de ces photos dans le journal Paris Match porte également atteinte au droit à l’image.
Au niveau européen, le droit à l’image découle du droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme.
Au niveau national, ce droit n’est pas consacré par la loi, mais fait l’objet d’une création jurisprudentielle, découlant de l’article 9 du Code civil.
Ce droit offre à toute personne un droit exclusif sur son image et sur l’utilisation qui en est faite. En l’espèce, aucune des personnes figurant sur les photographies n’avait donné son consentement, leur droit à l’image a donc été violé. C’est notamment ce que déplore l’avocat de l’accusé.
La législation en France est donc relativement restrictive en ce qu’elle pose une interdiction totale de photographier, filmer, enregistrer un procès, toutefois les sanctions encourues ne semblent pas être dissuasives, Paris Match ayant déjà été sanctionné plusieurs fois pour ces motifs.
Les exceptions à ces principes
Le principe d’interdiction concernant la fixation, l’enregistrement et la diffusion de sons ou de photos provenant d’un procès est assorti d’exceptions.
L’article 38 ter alinéa 2 dispose en effet que « toutefois, sur demande présentée avant l’audience, le président peut autoriser des prises de vue quand les débats ne sont pas commencés, à la condition que les parties ou leurs représentant et le ministère publique y consentent ». Toutefois les conditions ne semblent pas réunies, puisqu’aucune autorisation spéciale n’a été concédée au journal Paris Match et que les personnes apparaissant sur les clichés n’ont pas consenti à cela. De plus, la photo n’a pas été prise avant les débats mais au cours de ceux ci.
Il existe également une autre exception à ce principe de reproduction audiovisuelle ou orale d’un procès. En effet la loi Badinter du 5 juillet 1985 prévoit la possibilité de filmer, photographier, ou enregistrer un procès dès lors que le procès revêt « une dimension évènementielle, politique ou sociologique » et que cet enregistrement mérite d’être conservé « pour l’histoire ». Toutefois les règles d’application de ces exceptions sont strictes, et son application est rare, puisqu’entre 1987 et 2017, seulement cinq procès ont pu être enregistrés par le biais de ce dispositif. Entre autre, les procès de Klaus Barbie (1987) ou encore plus récemment la catastrophe AZF (2017) ont été enregistrés car ils répondaient favorablement aux conditions posées par la loi Badinter.
Cette exception est vivement encadrée, puisque la loi prévoit que le film ne pourra pas être visionné pendant 20 ans, et ne pourra pas être reproduit pendant 50 ans.
Toutefois, en l’espèce, trois familles de victime dans le procès Mohamed Merah avaient demandé à ce que ce procès soit enregistré, d’un point de vue sociologique. Elles estimaient qu’il était important pour la descendance de connaitre l’histoire de leurs proches, les faits, les raisons de cet acte terroriste afin qu’elle puisse y avoir accès. Mais cette requête a été rejetée par la Cour d’appel.
Les juridictions ont refusé que l’exception prévue par la loi Badinter, s’applique au nom de l’histoire.
Concernant l’atteinte au droit à l’image, le journal Paris Match évoque le fait que ce droit puisse être contrebalancé au titre de l’information du public. On revient là à l’éternel débat entre liberté d’expression et droit à la protection de la vie privée. En effet le droit à l’image peut être mis de coté, lorsque l’intérêt général du public à être informé prime. Le directeur du journal annonce ainsi que la photo a été publiée à la suite du procès, une fois que les peines à l’encontre des accusés ont été énoncées. Il relève dès lors que la photographie n’a pas eu pour effet d’influencer le débat et la décision des juges. Le directeur adjoint de la rédaction de Paris Match affirme que cette photo a été prise volontairement par le journal, dans le but d’informer le public, de montrer la réalité. Il qualifie cette photo « d’image historique », ce qui justifie dès lors le non respect du droit à l’image des personnes photographiées.
Toutefois, cet argument ne semble pas être pertinent dans la mesure ou les juridictions ont refusé que ce procès soit qualifié comme tel.
Certes cette loi peut paraitre dépassée et un peu ancestrale, toutefois il est important de faire la distinction entre l’aspect juridique et l’aspect journalistique, l’un ne devant pas empiéter sur l’autre.
La place des journalistes de presse judiciaire dans la justice
Cet acte a été particulièrement déploré par l’association de presse judiciaire (APJ) qui a diffusé un message sur les réseaux sociaux affirmant que « « L’association de la presse judiciaire condamne fermement la publication par Paris Match des photos de Merah et de Malki prisent pendant leur procès aux assises de Paris ».
L’association de Presse judiciaire est une association française, qui a été créée en 1887 et qui se compose de journalistes spécialisés en matière judiciaire. L’association organise et facilite les relations entre les journalistes et les magistrats. Son objectif est de retranscrire au public de manière professionnelle et maitrisée, des informations concernant le déroulement du procès, les arguments des avocats, des magistrats ou encore les décisions rendues. Ce sont des journalistes qui connaissent parfaitement le fonctionnement de la justice.
Le journaliste de presse judiciaire trouve ainsi toute sa place dans l’enceinte des tribunaux en respectant les lois. Or, le fait que des journalistes, non professionnels prennent des photos au cours d’un procès, constituent une atteinte pour eux, puisque cela empiète sur leur travail et apporte des informations illégales que l’APJ n’est pas en mesure de fournir.
En effet, le journaliste judiciaire assiste à l’audience, observe, rend compte de la situation et donne éventuellement son avis. Toutefois, comme tous les journalistes, il doit respecter les lois et notamment l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881. En cas de non respect de cette loi, il est sanctionné pénalement et c’est l’article 308 du code pénal qui s’applique.
Certes cette loi qui date de 1881 peut paraitre désuète face aux évolutions connues par la société. L’une des alternatives pour la moderniser pourrait être de permettre la transmission, la fixation ou l’enregistrement des procès par un nombre limité de journalistes avérés.
L’association considère qu’en prenant ces photographies, le journal Paris Match a voulu faire un buzz, ils voient dans ces photos une curiosité malsaine, ou les journaux cherchent à provoquer, sont à l’affut de la moindre nouveauté, pour vendre. L’association ajoute « qu’elle remet également en cause la confiance que l’APJ construit jour après jour avec les magistrats pour permettre aux chroniqueurs judiciaires et à tous les journalistes de travailler dans les meilleures conditions aux seins des juridictions françaises ».