Pour la société de Mickey l’année 2017 fut une année très stratégique. Cet été le premier pion fût avancé après la retentissante annonce de la non-prolongation des droits de diffusion de Disney auprès de la société Netflix. Le second pion fut l’annonce par Disney du lancement de sa propre plateforme de VOD payante pour 2019. Mais cette volonté de concurrencer les nouveaux acteurs de l’internet s’est doublée d’un renforcement de l’influence de l’entreprise : le 14 décembre Disney et la 21st Century Fox ont annoncé officiellement le rachat d’une grande partie de cette dernière au profit de la première. Ce rachat historique placerait Disney en position dominante sur le marché de la production, mais également sur celui de la distribution, car 21st Century Fox ne lui lègue pas seulement un catalogue de films, de séries et de licences très important mais également des chaînes de télévision stratégiques pour s’étendre à l’international. Cette concentration doit cependant être validée par différentes institutions américaines avant de pouvoir entièrement se réaliser.
Un rachat encadré par le droit antitrust américain
En matière de libéralisme économique les Etats-Unis sont une référence historique de l’application de ce modèle. Pour autant, la liberté n’est pas synonyme d’absence de règles et très tôt le pays s’est doté d’une législation « antitrust ». Dans ce contexte antitrust se comprend comme anti-monopole. Le premier texte date de 1890, le Sherman Antitrust Act. Ce texte vient tout simplement interdire la constitution de monopole. Il est suivi en 1914 par deux lois très importantes : le Clayton Act et le Federal Trade Commission Act, le premier texte rajoute des précisions au Sherman Act et le second fonde la Federal Trade Commission (FTC) dont le but est de garantir l’application des textes et de faire valoir les droits des consommateurs. Le gouvernement américain souhaitait lutter fermement contre la constitution de monopole qui peut avoir des conséquences tant sociales, qu’économiques : sociales car le risque est que les prix augmentent pour le consommateur et économiques car les monopoles empêchent une saine concurrence ou le « fair trade ». Cependant cette législation très sévère a été complétée, comme le veut le système de « common law » par le travail des juges fédérés et fédéraux. La doctrine de la « rule of reason », développée par les juges consiste à analyser les effets pro et anti concurrentiels. S’il y a plus d’effets favorables à la concurrence, le texte n’a pas vocation à s’appliquer.
Les décisions ont été nombreuses sur le sujet et dressent une certaine instabilité. Certains monopoles n’ont pas été sanctionné, c’est le cas notamment des affaires sur les compagnies d’acier (U.S. Steel Corporation 1920, Colombia Steel Company 1948), en revanche une décision retentissante dans le monde du cinéma a été rendue en 1948 : U.S. vs Paramount. Les juges avaient interdit aux grands majors américains d’être présents dans la filière de l’exploitation, s’ils détenaient déjà des moyens de production et de distribution. Les médias possèdent en effet un statut particulier et cela se voit notamment pas la création d’une autre commission : la Federal Communication Commission. Aux Etats-Unis le paysage médiatique est en effet constitué de 6 grands majors possédant à la fois des chaînes de télévision, des studios de cinéma, des journaux et bien d’autres choses encore. Ils sont construits sur un modèle d’intégration verticale et horizontale. La Walt Disney company est l’un de ses majors ce qui explique qu’une attention toute particulière est donnée à ce rachat d’un autre grand major : la 21st Century Fox.
Ces dernières années, la Walt Disney company a eu une stratégie agressive d’acquisitions. D’abord la société a acquis le studio d’animation Pixar en 2006, puis la société Marvel Entertainment en 2009, et enfin le studio Lucasfilm en 2012 ainsi que les licences qu’il détenait (Star Wars et Indiana Jones). Mais la firme de Mickey a également acheté le groupe American Broadcasting Company (ABC) contenant des chaînes généralistes et aussi ESPN, une chaîne sportive. Avec l’acquisition de la 21st Century Fox Disney deviendrait propriétaire de l’immense catalogue de films de la Fox, des licences Alien, X-men ou encore Homeland, mais également de chaînes comme National Geographic, les chaînes de sport régionales, Sky (bouquet de chaînes anglaises, italiennes et allemandes), Star india (bouquet de chaînes diffusées principalement en Asie du sud) ainsi qu’une participation avantageuse dans la plateforme de streaming Hulu. Cet achat d’environ 66 milliards de dollars est cependant soumis à différents avis de la part des autorités publiques américaines. La Federal Trade Commission, la Federal Communication Commission et le Département de la Justice doivent donner leur accord pour la réalisation de cette opération. Pour certains spécialistes les négociations seront longues et n’aboutiront que l’année prochaine. Il est probable que les modalités du rachat soient amenées à changer d’ici là.
De plus, il faut prendre en compte le contexte politique américain dans lequel prend place cette acquisition. Récemment les autorités américaines ont refusé la fusion entre le major Time Warner et l’opérateur AT&T. Pourtant cette opération portait sur des sommes bien inférieures à celles en jeu pour l’acquisition dont il est aujourd’hui question. Le niveau a été ainsi placé assez bas. Cependant il est possible que Donald Trump, président des Etats-Unis, ait pu influencer cette décision. En effet, il a déclaré publiquement qu’il était contre une telle acquisition. Cela a peut-être pu jouer un rôle dans le refus qui a été donné. De plus, le rachat de la 21st Century Fox porte sur une intégration horizontale c’est-à-dire le passage de 6 à 5 concurrents. Ce genre d’opérations a déjà été autorisé par le passé, comme on peut le voir dans les jurisprudences sur le monopole de l’acier. Par ailleurs le rachat a été bien pensé, notamment du fait que la chaîne d’information Fox News et la chaîne Fox Sport reste dans le giron de la 21st Century Fox. En effet Disney détenant déjà ESBN aurait pu se voir refuser l’acquisition de Fox Sport. Il est d’ailleurs probable que l’entreprise se voit refuser l’acquisition des chaînes de sport régionales.
Ce rachat n’est pas sans conséquence pour les concurrents de Disney, qu’ils soient nationaux ou internationaux.
Les conséquences du rachat auprès des concurrents de Disney
Le but clairement affiché de Disney est de concurrencer Netflix. Cette société bien plus récente que le vieux studio fondé en 1923 a en quelques années su se faire une place de choix parmi les grands producteurs américains. En effet, cette année, la plateforme a produit plus de contenus que les 6 majors américains réunis. L’arrivée de ce nouveau concurrent a souvent laissé penser qu’il pourrait renverser la balance des influences. Cependant la force des majors a toujours été de s’adapter en grossissant en rachetant ou en se faisant racheter par des groupes nationaux ou étrangers. Ainsi des années 50 aux années 90, pour survivre successivement à l’émergence de la télévision et du numérique des investissements massifs ont été réalisés. Les studios se sont laissés rachetés par de grandes firmes parfois même étrangères. C’est le cas par exemple du rachat de 20st Century Fox par Newscorp (société australienne) ou des studios Columbia en 1989 par Sony (société japonaise). Ce sont ces rachats et la constitution de grands conglomérats qui ont permis à ces entreprises de rester des acteurs incontournables des médias. Aujourd’hui ce mouvement continue face à l’émergence de Netflix ou des plateformes développées par les GAFAM, comme Amazon Prime Vidéo. Les majors décident de réagir et de lancer leur propre plateforme. La Walt Disney company est la première a annoncé officiellement le lancement de sa propre plateforme pour 2019. Avec le rachat des licences et du catalogue de la 21st Century Fox cette plateforme aura les outils pour concurrencer Netflix, d’autant plus que les représentants de Disney ont annoncé que son prix serait bien moins élevé.
Cette nouvelle du lancement d’une plateforme Disney a de quoi inquiéter les concurrents directs comme Netflix ou Amazon Prime Vidéo mais également des concurrents européens. En effet l’acquisition de la 21st Century Fox par Disney n’a pas seulement des conséquences outre atlantique mais également au sein de l’Union européenne. Comme nous l’avons vu la 21st Century Fox dispose de chaînes de télévision influentes en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni. Leur achat par Disney conduit cette dernière à se positionner de manière avantageuse sur le marché européen. Mais pas seulement car le rachat de Star india permet également à la firme de s’étendre en Asie du sud.
D’ailleurs certains craignent une uniformisation des contenus. Disney est déjà une entreprise produisant principalement du « mainstream ». Un cinéma qui s’exporte bien et qui surtout permet une forte rentabilité. Il suffit de regarder les 5 premiers films mondiaux en termes de recette pour comprendre l’énorme influence de Disney. Les derniers épisodes de Star Wars notamment ont battu tous les records d’audience. Avec le rachat de la 21st Century Fox Disney serait en possession de 40% des recettes cinématographiques américaines. Cela n’est pas sans inquiéter les acteurs français. La France possède deux sociétés de plateforme de VOD la plus importante étant Canal Play, détenue par Canal + et la seconde plus récente, OCS, détenue par Orange. Afin de mieux rivaliser avec la plateforme de Netflix ou la future plateforme de Disney certains spécialistes invitent à lutter contre cette offensive américaine. Pour eux deux voies sont à envisager. La première est d’arriver le plus rapidement possible à une réforme de la chronologie des médias qui favoriseraient les plateformes de streaming payant et qui de manière générale permettrait de raccourcir les délais entre la sortie en salle et l’arrivée sur les chaînes de télévision. Cette réforme fait l’objet actuellement de négociation entre les différents acteurs mais il est fortement probable que le législateur se saisisse définitivement du dossier si la négociation venait à échouer. L’autre voie serait de réformer le système de financement au compte de soutien du cinéma. Il faudrait privilégier un « mainstream » à la française. Cependant la complexité du mécanisme de soutien financier au cinéma et son ancienneté rende peu probable une réforme immédiate à ce sujet. Maintenant il ne reste plus qu’à attendre le lancement de cette plateforme par Disney afin d’étudier les conséquences que cela pourra avoir pour les concurrents américains ou européens.
SOURCES
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WOLF (E.), « La législation antitrust des Etats-Unis et ses effets internationaux », Revue internationale de droit comparé, 1950, pp. 440-447