« Un peu de sommeil vous remet de bien des choses », telle est l’expression de J.R.R Tolkien dans l’œuvre Bilbo le Hobbit. Si le sommeil remet de bien des choses, avec l’apparition des technologies liées au numérique, la durée moyenne de sommeil des français est en chute libre. L’utilisation des ondes électromagnétiques et l’émission de lumière bleue des écrans sont des éléments déterminants dans cette perte de sommeil. On estime notamment que la durée moyenne de sommeil des français a diminué de 30% en 20 ans pour aboutir à une durée de 7h de sommeil quotidiennes alors que les besoins s’estiment à environ 8-10h selon les tranches d’âge. Pour autant si l’évolution des pratiques tendent vers l’hyperconnexion et l’usage fréquent de smartphones et de tablettes à l’heure du coucher, des entreprises tentent d’apporter des solutions pour améliorer le sommeil et pour garantir des durées de sommeil efficace. A l’occasion du salon CES de Las Vegas devant se tenir du 09 au 12 janvier 2018, l’enjeu est d’autant plus important pour les entreprises et pour le public.
Le sommeil à l’ère du tout quantifiable
Le sommeil est une phase indispensable qui concerne tous les individus. Nécessaire au bon développement physique et psychologique, le sommeil permet au cerveau d’analyser les informations captées durant la journée et de restaurer l’énergie nécessaire au bon fonctionnement du corps humain. Par analogie avec le fonctionnement du cerveau traitant les données perçues dans la journée, des entreprises essayent d’apporter des solutions avec les objets connectés afin d’améliorer le sommeil. La technologie du sommeil ou « sleep tech » propose en effet d’analyser le sommeil au regard de plusieurs données censées être significatives telles que le rythme cardiaque, le nombre de respirations par minute, la présence ou non de ronflements, etc…
Cependant, les données que sont le rythme cardiaque ou le nombre de respirations par minute sont par essence liées à la santé de la personne. Elles pourraient donc tout à fait être considérées comme des données à caractère personnel d’une part parce qu’il pourrait s’agir de données de santé exploitables par des thérapeutes et d’autre part parce que l’utilisateur de « sleep tech » consent au traitement de ces données (via l’achat du dispositif ou via le téléchargement d’une application de santé). Le consentement de l’utilisateur pourrait donc être soit exprès, soit tacite. Dans tous les cas, le but de l’utilisateur final est d’améliorer son sommeil.
La technologie du sommeil est marquée par plusieurs tendances : soit l’utilisation de trackers (ou capteurs) qui collectent des données représentatives du sommeil, soit le développement de dispositifs à efficacité indirecte qui améliorent le sommeil sans s’adapter aux spécificités de l’utilisateur final. A l’occasion du précédent salon CES de Las Vegas en 2017, plusieurs entreprises se sont démarquées en proposant des objets connectés s’inscrivant dans les deux tendances (trackers et dispositifs à efficacité passive). Une filiale d’Apple, Beddit, a notamment proposé d’améliorer le sommeil via un capteur situé sous le matelas et relié en temps réel au smartphone de l’utilisateur analysant les données caractéristiques du sommeil, afin de permettre à l’utilisateur d’optimiser son environnement de sommeil. Une entreprise française, Sensorwake, qui s’était notamment démarquée par le développement d’un réveil olfactif, a également présenté un dispositif s’intéressant au sommeil des utilisateurs en proposant un humidificateur d’air diffusant des arômes censés apaiser l’utilisateur au moment de s’endormir et pendant qu’il dort.
Outre le fait que la durée moyenne de sommeil ait fortement diminuée en 20 ans et que la technologie se mette au service du sommeil des utilisateurs, il n’en demeure pas moins que le sommeil est d’une part une question de santé publique et que d’autre part il concerne le traitement des données personnelles lorsque celui-ci est analysé par des entreprises tierces.
Le sommeil, entre santé publique et traitement des données personnelles
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé publique est la discipline qui s’occupe de la santé globale d’une population sous ses aspects préventifs, curatifs et éducatifs. Il s’agit de « la prise en charge de la santé d’une population dans son milieu de vie, qu’il s’agisse de soins, prévention, éducation ou hygiène sociale ». En d’autres termes, le sommeil, composante essentielle dans la santé des individus, est au cœur des préoccupations de la santé publique. La diminution de la durée moyenne de sommeil au cours des 20 dernières années conduit les autorités publiques à établir des règles de bonne conduite afin de remédier aux mauvaises pratiques s’installant dans la population et ayant une incidence sur la santé.
En matière de sommeil, l’utilisation des smartphones et tablettes au moment du coucher est une des causes justifiant la diminution de la durée moyenne de sommeil. Cependant il faut tenir compte de plusieurs composantes ayant des effets négatifs sur le sommeil comme par exemple la lumière bleue des écrans ou encore l’utilisation des ondes électromagnétiques. A ce sujet, le Ministère de la transition écologique et solidaire a en effet établi le 29 novembre dernier des recommandations pour réduire l’exposition aux ondes électromagnétiques et ainsi améliorer le sommeil. S’il n’existe pas encore de preuves scientifiques que l’usage des téléphones mobiles ont des effets néfastes sur la santé, ces recommandations poursuivent l’objectif de la santé publique : prévenir des risques pour la santé. Parmi ces recommandations il y a par exemple l’utilisation de kit mains libres ou d’oreillettes Bluetooth, l’usage de messages textes pour remplacer les appels téléphoniques ou encore le choix de téléphones mobiles ayant un DAS (débit d’absorption spécifique) faible.
Par ailleurs avec l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur la protection des données (RGPD) le 25 mai 2018, la question du traitement des données se pose également. Nous avons par exemple vu qu’à l’ère du tout quantifiable, le sommeil pouvait se résumer en un ensemble de données croisées telles que le rythme cardiaque ou encore le nombre de respirations par minute. Ces données étant intimement liées à la personne et pouvant être assimilables à des données de santé, elles pourraient donc constituer des données à caractère personnel. Le RGPD devant entrer prochainement en vigueur, un nouveau système de responsabilisation va être mis en place pour les responsables de traitement. Par conséquent, les entreprises développant des technologies du sommeil ou « sleep tech » vont devoir concilier le traitement des données dont ils ont la charge avec le caractère particulier que revêtent les données de santé.
En d’autres termes si la durée moyenne de sommeil a diminué au cours des 20 dernières années notamment à cause de l’utilisation des technologies liées au numérique, la tendance actuelle des entreprises du secteur de la sleep tech tend à améliorer le sommeil et son environnement. Le numérique présente un enjeu de santé publique à cause de ses effets néfastes mais pas seulement : lorsque le sommeil est traduit en données quantifiables, c’est la protection des données personnelles qu’il faut envisager.
Sources :
ACOU-BOUAZIZ (K.) « L’hyperconnexion nuit gravement au sommeil », Psychologies.com, publié le 12 décembre 2017, consulté le 15 décembre 2017 http://www.psychologies.com/Culture/Ma-vie-numerique/Interviews/L-hyperconnexion-nuit-gravement-au-sommeil
Ministère de la Transition écologique et solidaire « Téléphone mobile : les 6 bons comportements pour réduire son exposition aux ondes », site officiel du ministère, publié le 29 novembre 2017, consulté le 15 décembre 2017 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/telephone-mobile-bons-comportements
NORA (D.) « CES 2017. Problèmes de sommeil ? Et si le numérique vous aidait à dormir… », site internet de L’Obs, publié le 07 janvier 2017, consulté le 25 novembre 2017 https://www.nouvelobs.com/economie/20170105.OBS3403/ces-2017-problemes-de-sommeil-et-si-le-numerique-vous-aidait-a-dormir.html
SANTI (P.) « Smartphones et tablettes, les ennemis du sommeil », Lemonde.fr, publié le 16 mars 2016, consulté le 06 novembre 2017 http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/15/les-ecrans-ennemis-du-sommeil_4883196_1650684.html