“Il est hélas devenu évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité.” Cette phrase prononcée par Albert Einstein n’est pas récente mais elle parait aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Les nouvelles avancées technologiques liées à internet prennent-elles encore en compte l’humanité ? C’est cette question que l’on peut se poser face à la problématique du cloud et des droits d’auteur. Il devient de plus en plus difficile dans notre société pour l’auteur d’une œuvre de contrôler les usages de celle-ci. L’utilisation du « cloud computing » ne vient pas arranger cette problématique mais soulever d’autant plus d’interrogations.
Le cloud ou « nuage » est un processus de stockage de plus en plus utilisé. Les usages d’internet et du web évoluent avec le temps, de plus en plus de données sont traitées et ces données numériques sont de plus en plus volumineuses. La conséquence de cette utilisation est un manque de place dans les différents supports. C’est pourquoi l’utilisation du système du « cloud computing » devient une évidence dans un monde où les données sont à la fois nombreuses et importantes. Parmi les données circulant dans le cloud, il y a un grand nombre d’œuvres protégées comme des films ou de la musique. Au vu de l’usage différent qui est fait de ces œuvres, il est légitime de se demander si celles-ci pourront toujours être protégées dans le cloud. Bien que l’arrêt VCast n’apporte pas de réponse définitive à cette question, il permet d’indiquer le cadre légal qui entoure l’exception de copie privée dans un environnement « en nuage ».
Quelle application des droits d’auteur pour les œuvres circulant dans le cloud?
Les différentes œuvres que nous connaissons, qu’elles soient musicales, télévisuelles ou cinématographiques, sont maintenant ouvertes à tous grâce aux contenus présents sur le web. En effet, il est possible d’accéder à de nombreux contenus seulement grâce à un support et une connexion internet. Les habitudes des consommateurs ont beaucoup évolué et notamment la manière de regarder la télévision. Il ne s’agit plus de devoir être devant sa télévision à l’heure précise à laquelle un programme sera diffusé afin de ne pas le manquer. Il est maintenant possible de retrouver ce programme en « replay » ou encore de pouvoir l’enregistrer pour le regarder plus tard. Il est également possible, et c’est la méthode qui est utilisée dans l’affaire VCast, de stocker certains programmes dans le cloud. Il y a alors beaucoup de difficultés soulevées par ces nouvelles utilisations notamment l’application des droits d’auteur qui est compliquée. Bien que le visionnage des œuvres ne se fasse plus de la même manière, le titulaire des droits sur l’œuvre doit toujours pouvoir donner son autorisation pour la diffusion de celle-ci et être rémunéré.
La question de l’application des droits d’auteur s’est notamment posée concernant le cloud. Le « Cloud » est un terme qui se traduit littéralement par « nuage » et c’est en effet un mot qui le définit bien. Le cloud computing permet un accès à « un réseau partagé et à un ensemble de ressources informatiques configurables ». Ce système est basé sur l’utilisation d’un service de stockage, il suffit de « louer » un espace afin de stocker des données (comme des programmes TV par exemple) qui ne seront pas perdues du fait d’un problème technique. Pour résumer, il y a 5 principales caractéristiques au cloud computing ; un service à la demande, un accès aux ressources par le réseau, une mise en commun des ressources, une flexibilité de l’espace et enfin la mesure du service.
Ce service favorise donc la reproduction multiple d’œuvres en tout genre qui seront disponibles pour un grand nombre de personnes utilisant ce système de cloud computing. Au niveau de la mise en conformité du droit avec ce système en grand développement, un des enjeux majeurs sera l’application des droits d’auteur aux œuvres stockées et partagées. Le droit de la propriété littéraire et artistique sera concerné par le cloud dès lors qu’il s’agira d’œuvres protégées et dont l’usage sera restreint. C’est pour cette raison qu’à été mise en place la rémunération pour copie privée qui permet de compenser les titulaires de droits sur leur œuvre pour une utilisation par copie privée de celle-ci.
Il y a notamment un aspect du droit d’auteur qui pose problème dans le cloud et c’est le cas également dans l’affaire VCast. Il s’agit de l’exception de copie privée qui permet de reproduire une œuvre protégée par le droit d’auteur sans le consentement du titulaire des droits sur cette œuvre. Il y a, bien sûr, certaines conditions à respecter pour entrer dans le champ de cette exception et c’est au niveau des conditions que la difficulté se pose. La principale condition qui permet l’application de la notion de copie privée est celle d’une utilisation dans le cadre privé. Le cadre privé désigne, selon la jurisprudence, le « cercle de la famille, entendu comme un groupe restreint de personnes qui ont entre elles des liens d’amitié ou de famille ». La question sera donc de savoir si, pour les œuvres stockées dans le cloud, l’accès sera restreint au cercle familial ou s’il sera étendu à d’autres personnes. C’est notamment la question qui se pose dans l’affaire VCast. Concernant cette application de la copie privée aux œuvres présentent sur le cloud, le Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) s’est prononcé en faveur de l’application de cette exception dans le cas où la source est licite et où l’usage est strictement personnel. Il faut également que chaque service respecte le test des 3 étapes institué par la Convention de Berne. Il n’y a donc aucun obstacle à l’application de l’exception de copie privée sur le cloud à la condition qu’une utilisation strictement privée soit faite de l’œuvre en question, ce qui a été discuté dans l’affaire VCast.
L’application de l’exception de copie privée dans le cloud : affaire VCast
L’affaire en cause concerne ce problème de l’application de l’exception de copie privée au cloud computing dans le cas d’enregistrement en cloud d’émissions de télévision. VCast est une société qui met à disposition de ses clients sur Internet un système d’enregistrement de vidéo qui passe par le cloud. Les clients peuvent alors regarder plusieurs programmes télévisuels italiens notamment ceux de « RTI » qui remet en cause le fonctionnement de VCast. L’utilisateur doit choisir dans la programmation de VCast une émission ou une plage horaire, le système enregistre alors, grâce à un signal émis par ses propres antennes, l’émission demandée. Les émissions sont ensuite stockées sur un espace cloud acheté par l’utilisateur auprès d’un autre fournisseur ce qui lui permet de regarder les programmes quand il le souhaite. La question qui se pose alors est de savoir si la société VCast peut se prévaloir de l’exception de copie privée pour les œuvres qu’elle met à disposition de ses clients. La question que soulève cette affaire est celle de savoir si le cloud computing, en ce qu’il permet un échange entre plusieurs utilisateurs, est compatible avec la notion de copie privée.
La Cour fait un rappel de la définition de la copie privée en indiquant que les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions au droit de reproduction « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales (…) ». L’élément décisif pour prendre la décision sera de connaitre le rôle du fournisseur de service dans l’enregistrement. Dans l’affaire VCast, la Cour note que le fournisseur du service de télévision en cloud effectue une double mission. En effet, celui-ci n’intervient pas seulement pour organiser la reproduction, mais il fournit également aux clients un accès aux émissions de certaines chaines de télévision, en d’autres termes il permet une mise à disposition des œuvres. La Cour analyse et qualifie cet acte de mise à disposition de communication au public. Il faut préciser que l’acte de communication au public réunit deux éléments qui sont un acte de communication d’une œuvre et sa communication à un public. Le public s’oppose au cercle privé qui est requis dans les conditions de l’exception de copie privée. Dans la mesure où le fournisseur du service effectue un acte de communication au public, l’exception de copie privée ne peut pas jouer en sa faveur. Dans cette affaire VCast, c’est l’élément qui a fait basculer le débat vers sa conclusion. Comme il s’agit bien d’une reproduction d’œuvre protégée et de sa communication à un nombre indéterminé de personnes par le biais du cloud, il sera nécessaire de récolter le consentement des titulaires de droit sur ces œuvres.
Quel avenir pour les exceptions au droit d’auteur dans le cloud ?
Plusieurs utilisations des œuvres sont permises dans le cloud, elles soulèvent alors toujours la question de savoir s’il faut leur appliquer le droit exclusif de l’auteur ou une exception à celui-ci et notamment la copie privée. La notion de « casier personnel » est essentielle dans le système du cloud, ce service permet à un utilisateur de copier le contenu de sa bibliothèque sur plusieurs supports numériques grâce à un espace de mémoire qui est mis à sa disposition. Le transfert des fichiers est possible grâce au cloud car les œuvres passent par « le nuage » pour être ensuite téléchargées vers un autre espace de stockage. Cet acte, qui peut s’apparenter à un acte d’exploitation, pose le problème de savoir si le consentement des auteurs sera requis pour pratiquer un tel transfert. Si l’utilisateur du cloud partage son transfert avec un public il est certain qu’il ne sera pas placé sous l’égide de l’exception de copie privée.
Bien que dans cette affaire la Cour a pu préciser le cadre de l’application de l’exception de copie privée dans le cloud, il faut tout de même se demander quelle sera l’application des différentes exceptions au droit d’auteur dans un tel système.
SOURCES :
(1) BENSAMOUN A., ZOLYNSKI C., « Cloud computing et big data. Quel encadrement pour ces nouveaux usages des données personnelles ? », Réseaux, vol. 189, no. 1, 2015, pp. 103-121.
(2) GOMEZ M, Gustavo, « De quoi le « nuage » est-il le nom ? Le statut des supports face aux régimes du cloud computing », Communication & langages, vol. 182, no. 4, 2014, pp. 77-93.
(3) ASSAR, S., « Cloud computing : Décider, concevoir, piloter, améliorer. Eyrolles, 2012, 242 pages, ISBN 978-2212134049, 24 € », Systèmes d’information & management, vol. volume 18, no. 1, 2013, pp. 124-125.
(4) http://desdroitsdesauteurs.fr/2012/11/droit-dauteur-dans-le-cloud/