Avec l’essor des nouveaux supports numériques et la forte pénétration du média internet auprès du public, de nouveaux acteurs dans la publicité ont vu le jour. Les réseaux sociaux, grands acteurs dans le domaine des communications, ont connu une explosion de leur croissance au cours des 5 dernières années et attirent de plus en plus d’utilisateurs. Ces réseaux amènent à envisager une nouvelle conception des espaces publicitaires, non pas en termes d’espaces matériels tels que les emplacements dédiés à la publicité sur les sites internet, mais en termes de personnes de notoriété publique. Les chaines Youtube, les comptes Instagram et les profils Snapchat à succès peuvent notamment réunir des millions d’abonnements à travers le monde et c’est sur ce créneau que les annonceurs souhaitent s’insérer. Ils utilisent ainsi la notoriété grandissante des influenceurs qui disposent d’un lien direct avec leur public et qui profitent d’une large audience. Les autres acteurs incontournables de la publicité d’aujourd’hui sont les multi channel networks (MCN), de performants réseaux dénichant et mettant en valeur les influenceurs de demain.
Les influenceurs et les multi channel network, bases du nouveau paradigme de la publicité.
Afin de mieux comprendre les relations qui se lient entre les influenceurs, les MCN et les annonceurs, il faut envisager la vision “classique” de la publicité. Schématiquement, les annonceurs souhaitent faire connaitre leurs produits ou services du plus grand nombre afin de capter des clients potentiels et de fidéliser une clientèle déjà présente. Ces annonceurs ont recours à des régies publicitaires qui mettent en oeuvre les moyens techniques et humains permettant d’élaborer des campagnes de publicité représentant les produits et les services sous leur meilleur jour. L’annonceur investit donc dans la publicité afin de toucher de nouveaux clients et les régies se rémunèrent sur la prestation de service qui est commandée par ces annonceurs. Parmi les moyens techniques mobilisés pour mettre en oeuvre les campagnes publicitaires, les panneaux d’affichage, les spots publicitaires diffusés à la télévision ou encore les messages radiophoniques sont des espaces qui peuvent être utilisés pour faire de la publicité. Cependant suivant les médias, les plages publicitaires sont réglementées.
Avec l’apogée des réseaux sociaux et la forte pénétration d’internet auprès de toutes les tranches d’âges, le paradigme classique de la publicité est amené à être ré-envisagé. De nouvelles pratiques sont apparues sur le média internet. On parle désormais de search (= recherche), de display (= affichage) et d’emailing (= courriers électroniques) pour parler des segments dynamiques du marché de la publicité digitale. Les investissements réunis dans ces trois segments d’activité sont de plus en plus importants et ont réussi à atteindre plusieurs centaines de millions d’euros en 2017. Le segment du search fait appel au référencement et aux moteurs de recherche pour assurer les campagnes publicitaires, les exemples les plus concrets sont les liens sponsorisés dans les résultats des recherches sur les moteurs de recherches tels que Google ou encore Bing. Le segment du display fait appel aux aspects visuels des sites internet avec les bandeaux d’affichages et les encarts présents sur les pages web. Enfin le segment de l’emailing fait appel aux courriers électroniques envoyés sur les boites de messagerie électroniques des clients potentiels. L’exemple le plus concret de ce segment est l’envoie des newsletter des divers sites internet.
Cependant, bien que ces trois segments soient au cœur du marché de la publicité digitale, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition consubstantiellement avec l’apparition des réseaux sociaux. En effet, les réseaux sociaux poursuivent une finalité de partage et d’échange entre les utilisateurs. Les informations qui sont diffusées et transmises peuvent avoir pour objet de réunir le plus large public possible. C’est dans ce créneau que sont apparus les influenceurs et les blogueurs. Forts d’une notoriété de plus en plus importante au fur et à mesure que le réseau social est populaire, les influenceurs et les blogueurs disposent d’un rayonnement direct sur leur public. Les réseaux sociaux, faciles d’accès et facile d’utilisation, permettent une communication directe entre l’influenceur et son public, il n’y a pas d’intermédiaire dans la diffusion du message. Un simple tweet, une photo Instagram, une publication Facebook ont autant de pouvoir qu’un panneau publicitaire placé dans la rue ou qu’un spot publicitaire diffusé à la télévision. Autant dire qu’avec la popularité des réseaux sociaux et avec la multiplication des supports de diffusion (tablettes, smartphones), les espaces publicitaires se sont multipliés inexorablement au cours des 10 dernières années et il s’agit là d’un véritable tremplin pour les annonceurs.
Par conséquent c’est un nouveau paradigme de la publicité qu’il faut envisager : si autrefois la publicité mettait en jeu les annonceurs, les régies publicitaires et le public cible, il faut compter désormais sur les influenceurs et sur les multi channel networks (MCN). Ces derniers trouvent une application directe sur les plateformes de contenus en lignes telles que Youtube. Les vidéastes à succès disposant d’une large audience peuvent compter sur les MCN pour leur assurer une rémunération et pour décrocher des contrats avec les annonceurs. Les MCN sont des sociétés assurant le lien entre les influenceurs et les annonceurs désireux de réaliser des campagnes publicitaires. En d’autres termes, les multi channel networks sont assimilables à des régies publicitaires puisqu’ils élaborent, en collaboration avec les annonceurs, les campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de contenus.
Comment cela se traduit-il pour les influenceurs? La pratique qui est utilisée n’est pas propre au média internet puisqu’il s’agit principalement des placements de produit et des contrats de partenariat. Le placement de produit, propre au média audiovisuel, est d’une part, une manne financière non négligeable pour les influenceurs et d’autre part, le moyen pour les annonceurs de mettre à profit la notoriété des influenceurs sur les réseaux sociaux afin de faire connaitre leurs produits et services. Si le défaut de transparence était reproché aux acteurs de la publicité digitale, ce n’est désormais plus le cas avec le décret du 9 février 2017 qui impose la mention de la présence d’un message à caractère promotionnel ou commercial. Par ailleurs, les réseaux sociaux d’eux-même intègrent des messages d’information pour alerter le spectateur qu’un message promotionnel est présent dans le contenu.
Par conséquent, les influenceurs sont les nouveaux espaces publicitaires et les multi channel networks sont assimilables à des régies publicitaires. Il faut néanmoins envisager un autre phénomène apparu avec les réseaux sociaux : le phénomène de buzz. Il s’agit là d’un événement ou d’un fait ayant défrayé la chronique sur les réseaux sociaux et ayant été perçu par un très grand nombre de personnes. Lorsque ces faits ou événements sont connotés négativement, on parle alors de bad buzz. Pour autant, ces événements ne sont pas à ignorer et ils peuvent conditionner les relations contractuelles futures entre influenceurs et annonceurs.
Le bad buzz, cause de résiliation unilatérale des contrats avec les influenceurs ?
Avec l’apparition des influenceurs sur les réseaux sociaux et avec la multiplication des événements ayant défrayé la chronique et connotés négativement (= bad buzz), les annonceurs sont de plus en plus réticents à collaborer avec les influenceurs. Plusieurs affaires récentes ont également amené les plateformes de contenus à modifier leurs politiques de rémunérations des influenceurs et des vidéastes afin de les adapter aux audiences et de protéger les spectateurs. Pour exemple, en février 2017 le youtuber PewDiePie (célèbre vidéaste aux 50 millions d’abonnés) avait défrayé la chronique avec des contenus représentant l’idéologie nazie. Bien que revendiquant un message humoristique, ses partenaires de l’époque tels que Disney avaient rompu leurs contrats avec le vidéaste. Cet événement bien qu’exceptionnel a néanmoins eu des conséquences sur l’ensemble des vidéastes les plus populaires puisque les annonceurs ont décidé de se retirer partiellement de la plateforme Youtube. La direction de Youtube a également décidé de modifier l’algorithme de référencement des vidéos ainsi que les conditions pour voir ses créations monétisées.
Autre exemple plus récent, le cas Logan Paul. Ce vidéaste aux 15 millions d’abonnés, célèbre pour ses “vlogs” ou reportages vidéo, avait en effet sorti une vidéo relatant son voyage au Japon en décembre 2017. Au cours de ce voyage, il avait notamment visité la forêt d’Aokigahara tristement célèbre pour ses suicides. Durant sa visite, il avait filmé le cadavre d’une personne s’étant donnée la mort et avait eu une attitude ouvertement déplacée vis-à-vis du défunt, de sa famille mais également inappropriée face aux thèmes difficiles que sont le suicide et le harcèlement. En conséquence de ce tollé et en dépit des excuses publiques formulées par Logan Paul, la plateforme Youtube a décidé d’opérer des sanctions exemplaires à l’encontre du vidéaste et a entrepris des changements dans la rémunération des créateurs de contenus. Désormais, les paliers nécessaires pour monétiser les vidéos ont été revus à 1000 abonnés et 4000 heures de visionnage au cours des 12 derniers mois. Cette mesure s’accompagne également d’outils à destination des annonceurs pour contrôler le contenu des vidéos sur lesquelles sont apposées leurs publicités (outil Google Prefered affiné pour assurer un contrôle plus strict).
La question qui se pose alors face à tous ces événements est donc la suivante : le bad buzz peut-il être assimilé à une cause de résolution unilatérale dans les contrats avec les influenceurs ?
Dans les contrats qui lient les professionnels, les causes de résolution unilatérales des contrats font généralement référence à l’urgence et au péril imminent ou encore à la gravité du comportement du cocontractant. En matière de publicité et à fortiori en matière de publicité en ligne et sur les réseaux sociaux, tout est question d’image. La diffusion et la transmission des données est telle aujourd’hui qu’une simple information peut parcourir la surface de la Terre en quelques secondes. Dans ce contexte, le bad buzz étant un événement fortuit connoté négativement et tenant sa force du partage sur les réseaux sociaux, le caractère urgent et imminent peut donc être décelé. Cependant il faut néanmoins que cet événement soit de nature à rendre la poursuite de l’exécution du contrat préjudiciable pour l’annonceur, justifiant la suspension ou la résiliation unilatérale du contrat.
D’autre part, les exemples cités ci-dessus ont pour origine les actes commis par les influenceurs ainsi que leurs comportements sur les réseaux sociaux. En d’autres termes les actes qu’ils commettent, bien qu’ils puissent être en dehors des relations contractuelles entre annonceurs et influenceurs, sont de nature à engendrer une atteinte à l’image de l’annonceur et par conséquent seraient donc susceptibles d’engager la responsabilité des influenceurs. Cependant dans les contrats publicitaires “classiques” entre les annonceurs et influenceurs, le comportement des cocontractants peut par avance être réglé par des clauses spécifiques, les clauses “comportement“. Ce type de clauses se retrouve notamment dans les contrats publicitaires ou les partenariats entre les annonceurs et les sportifs de haut niveau à l’instar des footballeurs.
Par conséquent, le bad buzz, issu d’un comportement négatif de l’influenceur, peut s’analyser en une cause de résolution unilatérale des contrats publicitaires et/ou des partenariats puisque, d’une part il cause un préjudice revêtant un caractère urgent et/ou constituent un péril imminent pour l’image de l’annonceur et que, d’autre part, il s’agit d’un manquement contractuel de l’influenceur au regard des clauses comportement. Par ailleurs, suivant la nature des manquements ainsi que des atteintes à l’image subies par l’annonceur, l’influenceur pourrait voir sa responsabilité engagée.
Sources :
Décret n°2017-159 du 9 février 2017 relatif aux prestations de publicité digitale, legifrance.gouv.fr, 11 février 2017, consulté le 10 janvier 2018.
CHABAS (C.), “Résolution/Résiliation”, Répertoire de Droit Civil, Dalloz.fr, octobre 2010 (actualisation: septembre 2017), consulté le 20 janvier 2018, http://www.dalloz.fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=ENCY/CIV/RUB000298/PLAN048/2010-10
DURAND (C.), “Face au recul de la publicité TV, les marques veulent s’immiscer sur Netflix”, Numerama.com, publié le 19 octobre 2017, consulté le 10 janvier 2018, https://www.numerama.com/business/299236-face-au-recul-de-la-publicite-tv-les-marques-veulent-simmiscer-sur-netflix.html
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