Les principaux acteurs de la distribution numérique de la musique en Europe ont lancé, en novembre 2017, l’alliance Digital Music Europe. Ce lobby du streaming regroupe le géant suédois Spotify, leader actuel du streaming, les français Deezer et Qobuz, l’allemand Soundcloud, la plateforme britannique 7digital et Soundcharts, jeune start-up française travaillant sur les données dans le secteur musical. L’alliance est présidée par Hans-Holger Albrecht, CEO de Deezer.
Ce lobby a pour ambition de devenir un acteur primordial à Bruxelles. Les membres de cette alliance espèrent un meilleur rapport de force dans les discussions à venir notamment celle relative à la question du marché unique numérique. Leur objectif est de voir des normes se développer, mieux adaptées au secteur du streaming musical. Car même si ce secteur connaît actuellement une croissance sans précédent, il doit faire face à des complexités.
La croissance de l’industrie musicale grâce au streaming
La gloire du CD. Le secteur de la musique et plus précisément l’industrie musicale fut le secteur le plus touché par la révolution numérique. Au début des années 80, la commercialisation du Compact Disc (CD) apparait comme une économie lucrative et donne un nouveau souffle à l’industrie musicale alors en perte de vitesse. Le CD, en permettant une amélioration de la qualité sonore et de la conversation du son, par rapport au vinyle, reconfigure le marché de la musique. Les maisons de disques vont faire des profits considérables engendrés par le succès du CD.
La copie, la faille du CD. Or le CD contient une faille : la copie. Les maisons de disques ne se sont pas souciées de cette éventualité. Il a fallu attendre 1998 avec la création de Napster, le premier site de téléchargement illégal de musique, pour que les maisons de disques se préoccupent de ce phénomène du piratage. Il s’en est suivi une prolifération de sites de téléchargement qui a bouleversé l’industrie musicale. L’industrie musicale a dû transformer sa stratégie musicale pour passer du disque au MP3 et s’adapter à ce nouveau mode de consommation. De 2002 à 2012, le marché français de la musique s’est effondré avec une perte de plus de 60 % de son chiffre d’affaire (1).
L’apparition du streaming. La naissance du streaming remonte à 2007. Force de constater que cette naissance a lieu dans une période où la bande passante de l’Internet haut débit prend de l’ampleur et le réseau s’étend. Sophian FANE – journaliste et auteur de « Boulevard du stream-Du MP3 à Deezer, la musique libérée » – souligne avec pertinence que « si une connexion rapide à internet est disponible partout, tout le temps et pour un prix particulièrement bas, pourquoi s’embêter à télécharger des chansons que l’on peut écouter directement en ligne ». (2)
Le streaming, sauveur de l’industrie musicale. Avec 28 milliards de titres écoutés sur les plateformes de streaming en 2016, le streaming est devenu la première ressource financière du secteur musical. L’année 2016 marque un véritable tournant pour le streaming musical : les sites de streaming sont devenus une partie intégrale du marché de la musique. Le streaming a même dépassé les autres formes d’écoutes légales. Il est même certain que dans un avenir proche, l’industrie du streaming deviendra l’industrie de la musique. Le streaming musical a permis surtout d’endiguer le phénomène du téléchargement illégal. Les chiffres dévoilent cette croissance effrénée. En 2016, le streaming a généré 7,1 millions en chiffre d’affaires des ventes, les abonnements représentant 74 % des revenus de l’industrie du streaming (3). Au premier semestre 2017, le chiffre d’affaire du streaming représentait 84% des revenus numériques et 46% du marché (4). Toujours en 2017, 45% des internautes pratiquaient le streaming audio légal alors qu’ils étaient 37% en 2016. Le streaming musical vidéo représente plus de la moitié du temps passé à consommer de la musique en streaming. En 2017, ils étaient 75% à utiliser des services de streaming audio (5).
Modification des modes d’écoute. L’apparition du streaming a donc relancé un secteur en perte de croissance et a modifié par la même occasion la pratique et le mode de consommations des utilisateurs. Le streaming répond aux attentes des consommateurs à l’ère du numérique que ce soit par le prix attractif, par l’accès à un large contenu de programme ou bien par la rapidité et la flexibilité. La pratique d’écoute est révélatrice de ce changement. Le journaliste Philippe ASTOR remarque que les consommateurs de streaming ont un comportement différent. Ils ne savent pas forcément ce qu’ils cherchent et écoutent de manière fragmentée tout au long de la journée. La pratique d’écoute est différente contrairement aux disques et ressemble plus à de l’écoute radio (6).
Le succès des playlists. Le succès actuel des playlists est tout aussi révélateur de ce changement de mode de consommation.En 2017, la majorité des utilisateurs des plateformes musicales utilisaient des playlists. Deezer et Spotify se sont rapidement rendues compte que les auditeurs n’écoutaient pas en réalité des albums mais quelques titres d’un album puis les organisaient dans une compilation personnelle. Alors qu’à leur début ces plateformes misaient sur les albums, elles se sont transformées afin de répondre à ces nouveaux comportements. Les playlists élaborées par les plateformes (on parle de playlists éditorialisées) permettent d’aider les auditeurs à se retrouver dans cette immensité musicale. Les utilisateurs ont même la possibilité de participer à des playlists collaboratives. Spotify compte environ près de 2 milliards de playlists et Deezer 100 millions (7). Plus récemment, se sont développées des playlists d’humeur où comme le note Sophian FANEN « les auditeurs viennent chercher un moment musical sans enjeu et dénué d’émotions fortes » (8) selon leurs états d’esprit ou leurs activités (Activités sportives, soirée entre amis, embouteillage etc…). Ce tel succès des playlists a amené Spotify a lancé une application d’écoute de playlists déjà conçues. Cette application, dénommée Stations et testée qu’à ce jour en Australie, s’apparente à une radio musicale personnelle. (9)
La pratique d’écoute est tout aussi révélatrice de ce changement. Le journaliste Philippe ASTOR remarque que les consommateurs de streaming ont un comportement différent. Ils ne savent pas forcément ce qu’ils cherchent et écoutent de manière fragmentée tout au long de la journée. La pratique d’écoute est différente contrairement aux disques et ressemble plus à de l’écoute radio (10).
Les zones d’ombre du streaming
L’économie actuel du streaming est encourageante. Or plusieurs zones d’ombre viennent noircir ce tableau.
Un marché en perpétuelle concurrence. La concurrence est féroce dans ce secteur. Les offres se multiplient et les sites de streaming doivent miser sur l’innovation pour se distinguer. Il y a encore deux ans, le marché se répartissait entre Deezer et Spotify. Depuis, Apple music est venu s’intégrer à ce marché. Aux Etats-Unis, Apple va bientôt doubler Spotify en ayant plus d’abonnés payants. Selon le « Wall Street Journal », Apple dépassera le géant suédois à l’été 2018 qui comptaient en janvier 2018, 70 millions d’abonnés (10). Mais Apple n’est pas le seul GAFAM (Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft) à envahir ce marché. Amazon a lui aussi lancé son service, Amazon music, disponible depuis octobre 2016 en France, proposant un catalogue de 50 millions de titres musicaux et des prix intéressants pour ses membres premium de sa plateforme de e-commerce (11). L’émergence des plateformes musicales des GAFAM a des conséquences sur les acteurs du secteur européen. En août 2017, Soundclound, dont la particularité est d’être enrichie par les utilisateurs, échappait à la faillite en contrepartie, les actionnaires ont accepté de perdre 40% de la valeur de leurs actions (12). Face à cette concurrence, les acteurs du streaming européen doivent se diversifier. A titre d’exemple, Deezer envisage d’étendre son marché en Afrique alors que Spotify va élargir son offre en annonçant en janvier 2018, la création de Spotify, une plateforme de podcast.
L’épineuse question de la rémunération des artistes. Malgré ce renouveau du secteur, la répartition des rémunérations ne se fait pas selon une répartition équitable. Elle ne se fait pas également en fonction du nombre d’écoutes. Les acteurs du secteur jugement cette répartition insatisfaisante. L’ADAMI ( société de gestion pour les artistes et musiciens interprètes) relevait en 2016, que pour un artiste-interprète gagne 100 Euros :
- Il doit passer 14 fois à la radio
- Il doit vendre 100 albums
- Et doit être écouté 250 000 fois en streaming payant et 1 000 000 de fois en streaming gratuit. (13)
Cette faible rémunération s’explique par un partage jugé déséquilibré entre les producteurs et les artistes-interprètes. Pour une diffusion d’un titre en streaming la plateforme garde 30% et reverse les 70% du reste aux ayants droit. Ces derniers – les producteurs- reversaient 10,6 % aux artiste-interprètes. Un accord venant modifier cette répartition a été signé le 7 juillet 2017 par les représentants du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) et de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) pour les producteurs, majors et indépendants, d’un côté, et les représentants syndicaux des artistes de l’autre (SNAM-CGT, SFA-CGT, CFTC et CFDT). Désormais, les artistes-interprètes toucheront 13% ou bien choisir une avance minimum de leur producteur fixée à 500 euros brut par titre inédit. Cet accord a suscité des critiques de la part de la Guilde des artistes de la musique (GAM) :
« Les 500 euros d’avance sont remboursables au producteur au titre de tous les revenus et pas seulement du streaming et, dans le cas du 13 %, il s’agit de recettes brutes, qui seront fortement minorées, parfois réduites de plus de moitié par les dépenses marketing. Au final, aucune rémunération minimum n’est garantie. » (14)
Vers la fin du géoblocage ? Actuellement les acteurs du streaming européen doivent faire face au blocage régional et à la division en plusieurs marchés disposant de législations différentes. Le géoblocage limite l’utilisation des services de streaming. Le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont conclu un accord mettant fin aux blocages géographiques pour les consommateurs désirant acheter des produits ou des services en ligne dans l’Union. Les services culturels ne sont pas concernés par ce nouveau règlement. La fin de cette restriction est le cheval de bataille de l’alliance Digital Music (15) dans l’espoir d’aboutir à un marché unique européen et pouvoir faire face au poids des nouveaux acteurs du streaming représentés par les GAFAM.
L’alliance Digital Music Europe permettra-t-elle d’atténuer ces affrontements ou bien verra-t-on une guerre du streaming en 2018 ?
SOURCES
(1) Ministère de la culture, Le secteur de la musique enregistrée, publiée le 22 juill.2004, < http ://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Industries-culturelles/Musique-enregistree/Chiffres-du-marche >
(2) Sophian FANEM, Boulevard du stream- Du MP3 à Deezer, la musique libérée, paru le 2 nov 2017, ed. Castor Music, p.210
(3) Conférence « Media Briefing: L’économie du streaming », le 20 octobre 2017, MaMA Festival et Convention
(4) SNEP, La dynamique du streaming toujours au rendez-vous, malgré une légère inflexion du marché de la musique enregistré au 1er semestre 2017, publié le 26 juillet 2017 < http://www.snepmusique.com/actualites-du-snep/la-dynamique-du-streaming-toujours-au-rendez-vous-malgre-une-legere-inflexion-du-marche-de-la-musique-enregistree-au-1er-semestre-2017-23-2/>
(5) IFPI, Panorama 2017 de la consommation de la musique dans le monde, étude réalisée par Ipsos Connect, septembre 2017, p.9 <http://www.snepmusique.com/wp-content/uploads/2017/09/IFPI_Panorama-2017-de-la-consommation-de-musique-dans-le-monde.pdf>
(6)Philippe ASTOR, L’économie du streaming en quête d’un nouveau contrat de confiance, Juris art etc. 2016, n°35, p.28
(7) Jean-Philippe LOUIS, Ces nouvelles radios qui font de l’audience, Les Echos, publié le 5 octobre 2017 < https://www.lesechos.fr/05/10/2017/LesEchos/22544-048-ECH_ces-nouvelles-radios-musicales-qui-font-de-l-audience.htm?texte=Playlists%E2%80%89:%20ces%20nouvelles%20radios%20musicales%20qui%20font%20de%20l’audience>
(8) Sophian FANEM, Boulevard du stream- Du MP3 à Deezer, la musique libérée, paru le 2 nov 2017, ed. Castor Music, p.240
(9) Amit CHOWDRY, Spotify Starts Testing A Separate Music Station App, Forbes, publié le 31 janvier 2018 < <https://www.forbes.com/sites/amitchowdhry/2018/01/31/spotify-stations-app/#5de415682bc0>
(10) Elsa CONESA, Le buzz des Etats-Unis : Apple Music sur le point de doubler Spotify en Amérique, Les Echos, publié le 6 février < https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0301256300370-le-buzz-des-etats-unis-apple-music-sur-le-point-de-doubler-spotify-en-amerique-2151115.php >
(11) Corentin DURAND, Deezer, Spotify, Apple Music, Google Play Music, Amazon Music… : notre comparatif du streaming musical, Numerama, publié le 15 novembre 2017< https://www.numerama.com/pop-culture/146013-deezer-spotify-apple-google-tour-dhorizon-streaming-musical.html >
(12) Nicole VULSER, Streaming musical : SoundCloud évite la faillite mais change de patron, Le Monde, publié le 11 août 2018 < http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2017/08/11/streaming-musical-soundcloud-evite-la-faillite-mais-change-de-patron_5171602_3234.html >
(13) ADAMI, Rémunération des artistes, publié le 9 mars 2016 < https://artistes.adami.fr/actualite/2016/03/remuneration-un-artiste-gagne-100e-quand/ >
(14) Nicole VULSER, Streaming : accord sur un revenu minimum pour les artistes, Le Monde Economie, publié le 10 juillet 2017 <http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2017/07/10/streaming-accord-sur-un-revenu-minimum-pour-les-artistes_5158484_3234.html>
(15) Corentin DURAND, Digital Music Europe : Spotify, Deezer, Soundclound et Qobuz s’allient pour un lobbying européen, Numeram, publié le 9 novembre 2017 < https://www.numerama.com/politique/304853-digital-music-europe-spotify-deezer-soundcloud-et-qobuz-sallient-pour-un-lobbying-europeen.html