La vidéosurveillance est une pratique faisant l’objet de plusieurs débats. Ce terme de « vidéosurveillance » constitue une pratique de surveillance en utilisant des caméras. Il peut s’agir d’installations dans des lieux publics, dans la rue ou encore dans des lieux privés. L’objectif de la mise en place d’un tel système dans différents pays est de contribuer à la sécurité des personnes. Il s’agit par exemple de prévenir les risques liés à la sécurité routière notamment dans les transports publics. Ou encore de prévenir la sureté de certains lieux industriels ou classés. Mais cette pratique a pour principal objectif de prévenir la criminalité et notamment le terrorisme dont les actes se sont multipliés. Dans un but de lutte contre la menace terroriste, dans la loi du 14 mars 2011, « loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » le mot « vidéosurveillance » a été remplacé par « vidéoprotection ». Cette surveillance paraît acceptable lorsqu’une menace est présente sur un territoire notamment concernant des actes de terrorisme. Mais qu’en est-il dans les autres cas ? Ce dispositif de surveillance par vidéo peut présenter des risques pour certaines libertés et droits fondamentaux. Les libertés affectées sont la liberté d’aller et venir, la liberté d’expression ou encore la protection de la vie privée. Comment protéger sa vie privée et ses données personnelles dans le cadre d’une vidéosurveillance ? C’est la question à laquelle la CEDH doit répondre dans les affaires Ribalda et Antovic. Ces affaires relancent, une fois de plus, le débat à propos de la vidéosurveillance et de ses effets sur les personnes.
La législation en vigueur concernant la vidéosurveillance
La vidéosurveillance fait l’objet d’une réglementation en France et sa mise en place nécessite de répondre à plusieurs conditions particulières. Ces conditions sont énoncées dans la loi du 6 janvier 1978 modifiée en 2004 « Loi informatique, fichiers et liberté », dans certains articles du Code de la sécurité intérieure, dans la loi dite « Pasqua » de 1995 ainsi qu’un arrêté du 3 août 2007 portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance. Lorsqu’un dispositif est installé dans un lieu public, il doit répondre à l’un des motifs énoncés par la loi et avoir fait l’objet d’une autorisation d’installation auprès de la CNIL. Ce n’est pas le cas pour les lieux n’accueillant pas de public. Une procédure dérogatoire d’urgence est prévue par la loi dans les cas d’urgence liés au risque terroriste. Cette autorisation n’est valable que pour une durée de 4 mois. Une condition essentielle concerne également l’information de cette surveillance au public qui peut se faire grâce à des pancartes ou affiches. Ces règles théoriques trouvent certaines difficultés d’application en pratique notamment dans le cadre d’une relation de travail. C’est ce qu’illustrent ces deux affaires rendues par la CEDH.
La vidéosurveillance au travail : une question épineuse portée devant la CEDH
Dans deux affaires, la CEDH a dû estimer si la mise en place de vidéosurveillance dans certains lieux portait atteinte à la vie privée. En premier lieu, l’affaire « LÓPEZ RIBALDA AND OTHERS v. SPAIN » qui a été rendu le 9 janvier 2018 à Strasbourg concerne un cas de vidéosurveillance dissimulée sur un lieu de travail. Les requérantes de cette décision sont des ressortissantes espagnoles. Il s’agit de la société M.S.A qui est une chaîne de supermarché dans laquelle travaillent les personnes concernées à des emplois de caissière. Après avoir constaté une disparité entre les stocks et les chiffres de ventes quotidiennes, l’employeur décide de mettre en place un système de vidéosurveillance dans le magasin. Afin de mettre en œuvre son dispositif, l’employeur installe certaines caméras visibles mais également d’autres caméras cachées. Les salariées du magasin sont alors informées de la mise en place d’un tel dispositif mais ne sont en revanche pas informées du fait que certaines caméras soient cachées. Les faits de vols des salariées se répétèrent alors et elles furent convoquées à des entretiens lors desquels une vidéo de leurs faits leur a été montrée. S’en suivi un licenciement disciplinaire à la suite de ces entretiens durant lesquels les requérantes ont avoué avoir commis les actes leur étant reprochés. Suite à ces licenciement les requérantes ont saisi la juridiction du travail, la décision rendue en première instance confirma la décision de l’employeur du magasin. La décision d’appel se rangea également du côté des juges de première instance. Il fut admis que les enregistrements pris par les caméras de vidéosurveillance étaient des preuves acceptables car obtenues de manière légale. Afin de justifier le fait que l’employeur n’a pas informé ses salariées sur l’existence de certaines caméras placées dans le magasin, les juridictions nationales ont admis l’existence de soupçons raisonnables de vol. Elles ont estimé que la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance était le seul moyen, pour l’employeur, de protéger ses intérêts sans porter atteinte à ceux des de ses salariées. Bien que cette mise en place constituait un manquement reconnu, celui-ci était justifié selon les juridictions.
Au vu de ces informations et des décisions des juridictions nationales, les juges de la Cour européenne ont dû répondre à la question de savoir si le dispositif mis en œuvre par l’employeur était licite ou non. La Cour note, dans un premier temps, qu’il existe dans le droit interne espagnol des dispositions concernant cette question de la vidéosurveillance de ses conditions. Elle note également que la mise en œuvre du dispositif constituait une surveillance permanente en ce que les salariées étaient surveillées pendant plusieurs semaines tout au long de leur journée de travail. Ce qui pose la question de la proportionnalité de la mesure prise par l’employeur. En effet pour mettre en place un tel dispositif une balance doit être faite entre les intérêts de l’employeur et la sauvegarde de la vie privée des salariés. Selon la Cour, en l’espèce cette mesure mise en œuvre ne respectait pas ce principe de proportionnalité. Elle estime qu’il aurait été possible de protéger les droits de l’employeur sans recourir à de tels moyens. D’autant plus que les salariées n’avaient pas été informées de l’étendue du dispositif mis en œuvre. La loi espagnole concernant la protection des données personnelles des salariés n’a pas été respectée. La Cour en conclu qu’il n’existait pas de juste équilibre entre les droits et intérêts en jeu. Ce qui contrevient aux décisions prises par les juridictions nationales comme elle le précise dans son considérant 70 « the Court concludes in the present case that the domestic courts failed to strike a fair balance between the applicants’ right to respect for their private life under Article 8 of the Convention and their employer’s interest in the protection of its property rights ». Cette décision peut paraître assez lourde pour l’employeur en ce que les faits de vol des salariées ont été avérés grâce à la mise en place de ce système de surveillance. Mais il s’agit pour la Cour ici de rappeler l’importance de la protection de la vie privée ou des données personnelles même si on se trouve dans le cadre du travail. En rendant une telle décision la Cour met un frein à la mise en place de la vidéosurveillance de ses salariés.
Une autre affaire concernant la vidéosurveillance a été rendue par la Cour européenne en novembre 2017, « ANTOVIĆ AND MIRKOVIĆ v. MONTENEGRO ». Il s’agit ici de deux ressortissants monténégrins qui sont des professeurs d’une université de mathématiques. Pour une raison de protection des personnes, de la propriété et de surveillance de l’enseignement, le doyen de cette faculté a décidé d’installer des caméras de vidéosurveillance dans les amphithéâtres. Les membres de l’université ont été informés de la mise en place de ce dispositif. Deux enseignants Mme Antović et M. Mirković se sont alors plaints auprès de l’Agence de protection des données personnelles pour s’opposer à la mise en place d’un tel dispositif en précisant qu’il existait d’autres systèmes pour contrôler la protection des personnes et de la propriété. Le conseil de l’Agence considéra qu’il n’existait aucune raison valable pour mettre en place une vidéosurveillance car il n’y avait pas de danger apparent pour les personnes ou pour la propriété. De plus, la mesure de surveillance n’était pas conforme à la protection des données personnelles selon le conseil. Les caméras furent donc retirées. Mais les enseignants demandèrent réparation en justice sur le fondement de l’article 8 de la convention qui protège la vie privée. Les tribunaux décidèrent de rejeter cette demande au motif que la question de la vie privée ne se posait pas en l’espèce et que les données récoltées sur les caméras ne constituaient pas des données personnelles. L’affaire est alors portée devant la Cour. Celle-ci commence par rejeter l’argument des tribunaux en rappelant que la notion de vie privée peut se poser même s’il s’agit du lieu de travail. Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour européenne a déjà indiqué que la vie privée peut inclure les activités professionnelles. En l’espèce, les amphithéâtres sont les lieux de travail des enseignants. Elle indique à ce titre que les professeurs d’université n’ont pas seulement une fonction d’enseignement, ils créent une véritable relation avec leurs élèves en interagissant avec eux « that university amphitheatres are the workplaces of teachers. It is where they not only teach students, but also interact with them, thus developing mutual relations and constructing their social identity ». Les juges de la Cour évoquent une jurisprudence antérieure dans laquelle il a été jugé que la vidéosurveillance secrète au travail constituait une intrusion dans la vie privée de l’employé. Elle décide d’appliquer cette décision même si les salariés ont été averti de la mise en pace du dispositif. La Cour en conclu qu’il existe une ingérence dans les droits des salariés du fait de la mise en œuvre de la vidéosurveillance. Encore une fois, aucune mesure ne pouvait justifier un tel dispositif de surveillance au sein des amphithéâtres. Il a eu violation de l’article 8 de la convention selon la Cour. Il apparaît que cette décision, bien que sévère, soit justifiée au vu de la protection de la vie privée. Toute personne doit pouvoir voir sa vie privée sauvegardée même sur son lieu de travail. Pour la Cour, une simple précaution de protection des personnes et de la propriété ne justifie en aucun cas la mise en place d’une telle mesure.
Une notion déjà discutée dans plusieurs affaires antérieures
Ces deux décisions font apparaitre la place de la Cour européenne qui a l’air de prohiber grandement ce dispositif de vidéosurveillance sur le lieu de travail. Pourtant la Cour, dans une décision antérieure a déjà accepté la mise en œuvre d’une vidéosurveillance sur un lieu de travail. Il s’agit de l’affaire Köpke contre Allemagne du 5 octobre 2010 dans laquelle une salariée a été licenciée pour vol à la suite de la découverte par son employeur grâce à un dispositif de vidéosurveillance secrète. Les faits sont presque similaires à ceux de l’affaire Ribalda, pourtant dans celle-ci le dispositif a été approuvé par la Cour. Celle-ci a jugé que l’employeur avait bien exécuté le test de proportionnalité entre la vie privée du salarié et les intérêts de l’employeur avant de mettre en place la surveillance. A ce titre, elle note que la surveillance par vidéo a été délimitée dans le temps et l’espace par exemple. Grâce à ces éléments et d’autres, la Cour en a déduit qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à la vie privée du salarié. Cette décision prouve bien que le plus important reste le test de proportionnalité que l’employeur doit effectuer. En effet, lorsque de telles libertés et droits fondamentaux sont en jeu il s’agit de les protéger au mieux. Ce but de protection implique que toute mesure qui pourrait venir entraver ce droit pour les personnes doit être justifié par des motifs légitimes et importants. Nous avons pu constater qu’une simple mesure de précaution ne suffit pas. Mais dans la décision Ribalda, ce qui apparaît étonnant c’est que même face un acte illégal de la part des salariés, la Cour protège tout de même leur vie privée au dépend des intérêts de l’employeur. Il faut se poser la question de savoir dans quelles circonstances une vidéosurveillance pourra être mise en place notamment sur un lieu de travail. Ce qui ressort de ces décisions c’est que l’employeur souhaitant utiliser un dispositif de surveillance par vidéo doit au préalable effectuer un test de proportionnalité avec la plus grande attention afin de ne pas porter atteinte aux droits et libertés de ses salariés. Les faits de terrorisme peuvent constituer un motif légitime à la mise en place de vidéosurveillance en prison comme cela a été jugé dans la décision du Conseil d’Etat du 28 juillet 2016 à propos de la surveillance d’un des auteurs présumés de l’attentat de Paris du 13 novembre 2015. Les juges ont estimé que cette vidéosurveillance en l’espèce ne portait pas atteinte à la vie privée de la personne concernée au vu du caractère exceptionnel des faits terroristes et leur poursuite en France.
La vidéosurveillance est un dispositif sensible en ce qu’il peut porter atteinte à la liberté de la vie privée des personnes. Il faut alors faire preuve de vigilance lorsqu’on le met en œuvre notamment dans le cadre du travail. La Cour, même si elle accepte parfois un tel dispositif, se montre en général assez sévère avec celui-ci. Ce qui exige de mettre en balance les intérêts de l’employeur et la sauvegarde des libertés de ses salariés.
SOURCES :
Cour Européenne des Droits de l’Homme, 3ème section, Strasbourg, 9 janvier 2018, LÓPEZ RIBALDA AND OTHERS v. SPAIN, requête n°1874/13.
Cour Européenne des Droits de l’Homme, 2ème section, Strasbourg, 28 novembre 2017, ANTOVIĆ AND MIRKOVIĆ v. MONTENEGRO, requête n°70838/13.
Avis de la CNIL, Cas des vidéosurveillances dans les prisons : https://www.cnil.fr/fr/video-dans-les-cellules-de-detention-lavis-de-la-cnil.
Avis de la CNIL, Cas des vidéosurveillances au travail : https://www.cnil.fr/fr/la-videosurveillance-videoprotection-dans-les-etablissements-scolaires