L’adoption et la validation de la loi controversée dite « anti fake news »
Le 20 novembre 2018, le parlement a finalement adopté définitivement les deux propositions visant à empêcher « la manipulation de l’information » en période électorale.
Ces deux textes ont fait l’objet de nombreuses polémiques de l’opposition de droite mais aussi de gauche.
Les deux lois sont de nature différentes : la première est une loi ordinaire tandis que la seconde est une loi organique. Toutes deux ont fait l’objet d’une validation du Conseil constitutionnel le 20 décembre 2018.
Dans le contexte d’un Internet hyperconnecté et d’une vitesse de propagation des nouvelles (avérées ou fausses) de plus en plus rapide, la nécessité d’instaurer un débat et de réfléchir à des garanties démocratiques sur l’information et la liberté d’opinion, ces mesures semblent les bienvenues.
En effet, avec la révolution numérique, la possibilité de diffuser et propager de fausses informations s’est étendue. Par ailleurs, les « fake news » ne sont pas les seules à sévir à l’heure d’internet, il existe aussi aujourd’hui les « deep fake » qui sont des vidéos truquées visant à détourner une vidéo pour transmettre un message biaisé.
Ces vidéos et messages faussés deviennent très rapidement viraux, du fait de la création de l’espace d’information et de communication globalisé qu’est le net.
Ces lois visent donc à empêcher ce genre de pratique, particulièrement dans le cadre de la période pré-élection.
Elles soumettent l’information à trois critères cumulatifs : elle doit présenter un caractère trompeur et inexact, doit faire l’objet d’une propagation artificielle et doit créer une altération de la sincérité du scrutin.
Ces dispositions ont pour but de permettre à un candidat ou un parti de saisir le juge des référés pour faire cesse la diffusion de « fausses informations » sous 48h durant les 3 mois précédant un vote national (élections présidentielles ou européennes par exemple).
L’adoption par l’assemblée nationale au mépris du refus des sénateurs a entrainé de vives critiques, ainsi 140 sénateurs ont déposé un recours devant le Conseil Constitutionnel le lendemain de l’adoption du texte par l’assemblée nationale. Selon les personnes opposées à la loi, cette dernière est critiquable sur de multiples points.
Une loi liberticide ?
Certains détracteurs de la loi craignent notamment que celle-ci soit liberticide. En effet, ils estiment qu’il s’agit d’un risque de museler les médias et ainsi amoindrir considérablement leur liberté d’expression.
Toutefois, les craintes des opposants quand à cette menace de la liberté d’expression ou encore de la protection des sources du journaliste, qui selon eux empêcherait la révélation de certaines informations a été écartée par l’assemblée nationale qui délimité les possibilités de recours aux actions rapides à des cas très particuliers et encadrés par la loi : la fausse nouvelle doit donc être manifeste, diffusée massivement et de manière artificielle et doit contribuer à troubler la paix publique ou la sincérité du scrutin.
En principe, il n’y aura donc aucun impact sur le travail des journalistes, qui seront toujours en mesure de faire des révélations au grand public quelle que soit la période. Seule les publications non vérifiées et volontairement faussées seront dans la ligne de mire des institutions et des organisations chargées de la régulation.
Se pose toutefois la question de déterminer ce qui est la vérité : qui est bien placé pour en décider ? Est-ce que l’État doit déterminer ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ?
La réponse à cette question sera probablement très pragmatique et nécessitera de vérifier les preuves existantes de la véracité ou non d’une information.
La crainte des pouvoirs des GAFAM
Les détracteurs de la loi s’inquiètent également du pouvoir donné aux GAFAM. En effet, il est prouvé que le classement et le référencement des informations ne répondent pas à une logique de recherche de la vérité mais à une logique strictement mercantile et commerciale.
La hiérarchie des informations est déterminée selon le nombre de liens (intérêts commerciaux, nombres de clics…) plutôt que selon la fiabilité du contenu.
Toutefois, cette loi tend à responsabiliser les hébergeurs, qui seront forcé de faire disparaitre les contenus encore plus rapidement, et sur injonction du juge des référés.
Les GAFAM seront donc probablement poussés à développer d’autant plus leurs algorithmes qui traquent les fake news aussi bien que les discours de haine ou autres délits en ligne, ce qui est plutôt positif.
L’éternelle peur du gouvernement des juges et du CSA
La loi aspire à donner aux juges des référés des pouvoirs supplémentaires en matière de fake news. En effet, ceux-ci pourront prendre « toute mesure utile pour cesser et faire cesser l’atteinte ».
Selon certaines personnes, on confère ici à un juge un pouvoir qui devrait revenir à chacun : le sens-critique. En effet, ces personnes estiment que le droit ne doit pas remplacer le bon sens de chacun et que chaque personne doit être à même de se créer son avis et de réfuter ce qui lui semble faux.
Le CSA est maintenant doté de prérogatives en matière de sanction assez fortes et importantes.
En effet, il peut à présent suspendre la diffusion d’une chaine étrangère dans certaines conditions en période électorale, s’il agit dans l’intérêt fondamental de la nation (liberté des élections). Dans certains cas, le CSA dispose même du pouvoir de résilier unilatéralement sa convention avec un chaine étrangère dans les mêmes conditions.
La menace d’une telle sanction pourrait entrainer les chaines à une certaine auto-censure qui selon certain est dangereuse.
Toutefois, une fois encore, la sanction est bien encadrée avec la possibilité de « suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés par un état ou sous l’influence de cet état s’ils diffusent de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin » ou de manière plus générale s’ils portent atteinte aux intérêts de la nation ou au fonctionnement des états.
Cette loi pose par ailleurs un problème de discrimination entre les sociétés de presse française et les sociétés étrangères qui sont soumise à un régime plus sévère.
Le doute sur l’utilité de la loi
D’aucuns reprochent également à la loi d’être trop difficile à appliquer.
En effet, le législateur demande ici un acte délibéré, ce qui peut être particulièrement difficile à prouver. En outre, il opère un renversement de la charge de la preuve.
Effectivement, dans le droit de la presse traditionnel, c’est le journaliste qui doit prouver la véracité des informations qu’il divulgue. Au contraire, ici, ce sera au demandeur (candidat ou parti) de dresser les preuves de la fausseté de l’information.
Par surcroît, la preuve devra s’effectuer dans les 48h, ce qui est un délai particulièrement court.
Ces conditions cumulatives très strictes laissent donc à penser que peu de contenu sera finalement concerné par les dispositions litigieuses.
Une autre partie des détracteurs estiment que cette loi est inutile car selon eux il existe aujourd’hui suffisamment de moyens de lutte contre les fake news comme les 150 ONG créées à cet effet ou encore les fake checks des organes de presse qui font la chasse aux fake news.
Enfin, l’une des critiques majeures, est qu’il existe déjà aujourd’hui plusieurs dispositions visant à en substance à lutter contre la diffusion de fausses informations/ fausses nouvelles dans le code pénal et dans le code électoral (c’était d’ailleurs une crainte soulevée par le Conseil d’état).
Malgré tout, on peut comprendre la volonté du législateur de maintenir et garantir le bon déroulement du procédé démocratique de l’élection, la loi empêchant désormais de biaiser le vote des citoyens par des informations erronées.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 20 décembre 2018, s’est prononcé et a validé les lois contestées sous certaines conditions. En effet, les procédures de blocage de la diffusion des contenus ne pourront être mises en œuvre que pour des contenus « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » et « dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective ». Sont exclus de ce blocage « les opinions, les parodies, les exactitudes partielles et les simples exagérations ». La Haute cour précise également que le caractère inexact ou trompeur de l’information devra être manifeste, de même que le risque d’altération du scrutin, dans une visée de protection de la liberté d’expression.
Ainsi, malgré les nombreuses polémiques, cette loi sera bien applicable lors des prochaines élections nationales.
Sources :
– Débat sur RT France (Russia Today France), Interdit d’interdire, 28 novembre 2018, avec Jérémie Assous, avocat, Christophe Deloire, ancien directeur du CFJ et secrétaire général de Reporters sans frontières, François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS, David Lacombled, président de La villa numeris, ainsi que Cédric Mathiot, créateur de Check News de Libération.
– France culture, le numérique est politique, peut-on lutter contre les Fake News ? avec Séverin Naudet, CDO et membre du comité exécutif d’Amaris, entreprise de conseil et d’accompagnement sur la transformation technologique et digitale, fondateur d’Etalab et Christian Paul, ancien ministre et ancien député PS de la Nièvre (7 janvier 2018).
– Deux propositions de loi contre les fake news – Marie-Christine de Montecler – AJDA 2018. 1361
– Adoption définitive des propositions de loi contre la manipulation de l’information – Marie-Christine de Montecler – AJDA 2018. 2270
– Diffusion de « fake news » dans un contexte électoral : propositions de loi – Cloé Fonteix – 13 mars 2018 – DAlloz Actualité
– Fake news : « une loi qui fera date au nombre des grandes lois de défense des libertés publiques » – Pierre Januel – 11 juin 2018 – Dalloz Actualité
– Adoption par les députés de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information – Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 153, 1er novembre 2018
– Diffusion des fausses informations : rejet par les commissions de la culture et des lois du Sénat de deux propositions de loi – Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 151, 1er août 2018
– Fausses nouvelles – Des fausses nouvelles bien difficiles à cerner – Veille par Florence Meuris – Communication Commerce électronique n° 12, Décembre 2018, alerte 97
– Fausse information – Fake news et vérité – Édito par Nicolas Molfessis – La semaine juridique Edition Générale n° 50, 10 Décembre 2018, 1295