Le 18 juillet 2018, La Commission Européenne a infligé à Google une amende record de 4,34 milliards d’euros pour son abus de position dominante sur le marché des constructeurs de mobiles par le biais du système Android dont elle est propriétaire. Le 9 octobre 2018, Google a choisi de contester cette décision devant le Tribunal de l’Union Européenne : c’est une nouvelle passe d’arme entre l’Union Européenne et l’un des GAFAM dans la réglementation du marché unique.
La position dominante de Google
La décision de la Commission européenne se justifie en plusieurs temps : il s’agit d’abord, en respect du droit de la concurrence, de caractériser la position dominante de Google.
La Commission a retenu trois marchés sur lesquels Google s’est assuré la part du lion :
- les services de recherche générale, dans lesquels Google occupe une position dominante dans chacun des 31 Etats Membres de l’Espace Economique Européen (EEE). Il est à noter que cette qualification avait déjà été retenue lors de l’affaire Google Shopping, lorsque Google avait été sanctionnée pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix.
- Les Systèmes d’exploitation mobiles sous licence : Android est, aux côtés de l’IOS d’Apple, un système d’exploitation pour smartphone. Android a été rachetée par Google en 2005. Mais il existe une différence fondamentale entre IOS et Android. La première est exclusivement utilisée par la société Apple, et n’est donc implémentée que sur les Iphones. Mais Android peut être implémentée sur les smartphones de n’importe quel constructeur s’acquittant du paiement de la licence à Google. Or, du fait de l’effet de réseau, le caractère majoritaire de Android la rend infiniment plus séduisante que n’importe quel OS développée par la concurrence. Ainsi, le marché se caractérise par une barrière à l’entrée très importante.
- Ce même effet de réseau justifie aussi que soit retenu la position dominante de Google sur le marché des boutiques d’applications en ligne sur l’OS Android, et ce sur le marché mondial. La seule autre offre comparable, l’Apple store, ne peut jouer le rôle de concurrence puisqu’elle n’est disponible que sur l’IOS.
Il faut rappeler que la position dominante de Google dans ces marchés n’est pas en soi un motif de sanction: en revanche, dès lors que ses pratiques commerciales s’appuient sur cet avantage pour contenir, voire éliminer la concurrence, l’abus est caractérisé.
Les pratiques abusives de Google
La vente illégale des applications de recherche et de navigation Google/ les accords MADA
Depuis 2005, Google a progressivement développé une politique d’octroi de licence extrêmement contraignante pour les constructeurs. Le processus s’est trahi en 2011 avec les accords MADA (Mobile Application Distribution Agreement) entre Google et les constructeurs, qui stipulaient à l’époque de nombreuses exigences à l’octroi de licences. Ainsi, les constructeurs voulant implémenter l’OS Android devaient en échange s’engager à préinstaller un certain nombre d’applications Google sur l’appareil, coupant par là même l’herbe sous le pied à tout développement de concurrence. L’enquête de la Commission (ouverte en 2015) a retenu deux pratiques particulièrement abusives :
- la préinstallation de l’application Google Search sur la quasi-totalité des appareils android dans l’EEE. Les applications de recherche étant l’un des 1er points d’entrée pour les recherches effectuées sur mobile, l’abus est d’autant plus important.
- L’application Google Chrome a été préinstallée de manière très similaire, par le biais d’une offre groupée d’application liée à l’octroi de la licence Android.
Les conséquences de la préinstallation sont facilement mesurables, grâce à la comparaison possible avec les windows phone, où ces applications ne sont pas préinstallées. Ainsi, en 2016, 95% des recherches sur android passaient par le moteur google search, tandis que sur les windows phone, elles passaient à plus de 75% par le moteur de recherche bing de Microsoft (par ailleurs préinstallé).
L’illégalité des incitations financières versées par Google
Les plus gros constructeurs de smartphones se sont vu accorder d’importants paiements, conditionnés au fait qu’ils préinstallent exclusivement Google search sur leur gamme d’appareils Android. Il est à noter que les opérateurs réseaux étaient eux aussi concernés. Or, non seulement cette pratique encourage les constructeurs à favoriser le moteur de recherche Google, mais cela empêche totalement la création d’une concurrence viable. En effet, il était impossible à un concurrent de compenser la perte de recettes liée aux « cadeaux de Google » : pour l’expliquer simplement, personne ne pouvait surenchérir sur Alphabet Inc, ce qui lui a permis de renforcer son avantage dans le marché des moteurs de recherche par ce biais entre 2011 et 2014.
La dénaturation du système ouvert Android par Google pour son profit
Le système Android se caractérisait dès ses débuts par son accès ouvert : n’’importe qui peut se saisir de la colonne vertébrale du système d’exploitation et l’exploiter pour développer sa propre version, que l’on appelle « Fork Android ». Les fabricants de mobiles qui conçoivent leur propre fork Android en sont propriétaires, ce qui n’était pas du goût de Google. Ainsi, les fabricants utilisant un fork Android, comme la Fire OS d’Amazon, se voyaient formellement interdit de préinstaller une quelconque application propriétaire de Google: ce sont les accords anti-fragmentation.
Ainsi, Google a profité de sa mainmise sur le marché des moteurs de recherche pour renforcer son influence (déjà considérable) sur le marché des systèmes d’exploitation. Et en retour, cette domination sur le marché des OS lui permet de s’assurer que son moteur de recherche soit préinstallé sur tous les téléphones mis en vente.
Le bras de fer entre Alphabet et la Commission
Déjà en 2017, la Commission avait condamné Google pour avoir profité de sa mainmise sur le marché des moteurs de recherche pour promouvoir son propre comparateur de prix : c’était l’affaire Google Shopping, pour laquelle la firme avait écopé d’une amende de 2,42 milliards d’euros. Ce fut leur première amende d’importance infligée par la Commission Européenne.
Un an après, l’affaire Google – Android nous montre que l’UE a fort à faire pour forcer Alphabet à se plier aux règles du marché unique. La volonté de la société de contester cette décision le 9 octobre montre que la firme de Moutain View compte se battre jusqu’au bout pour préserver la légitimité de ses pratiques commerciales. Ainsi, Google nie devant le tribunal de l’UE la position dominante d’Android et rappelle au passage que la finalité des accords anti-fragmentation est bien de préserver la compatibilité entre les appareils android, bien avant de juguler la concurrence.
Et ce n’est pas terminé : La Commission s’intéresse à la position dominante d’Adsense, la régie publicitaire de Google. Bruxelles se demande si Google ne limiterait pas la concurrence sur ce marché en les empêchant d’afficher leurs propres publicités contextuelles. Si cela devait se confirmer, ce serait pour Google une nouvelle amende, rendant l’accès au marché unique plus cher que jamais…
Sources :
Communiqué de Presse de la commission européenne du 18 juillet 2018
J. LAUSSON, “Google passe à l’offensive pour éviter l’amende de 4,3 milliards d’euros à cause d’Android“, NUMERAMA, 10/10/2018
M. TURCAN, “Google condamné à une amende de 4,34 milliards d’euros : que lui reproche la Commission européenne ?“, NUMERAMA, 18/07/2018
C. DUCOURTIEUX, ” Pourquoi la décision de Bruxelles concernant Google est historique“, Le Monde, 28/06/2017