Le gouvernement zimbabwéen a récemment installé un couvre-feu numérique sur l’ensemble de son territoire afin d’empêcher tout accès à Internet à ses habitants, et parer toute tentative de renversement du pouvoir. Dans un Etat autoritaire de ce modèle, les dirigeants despotes s’attaquent aux principes démocratiques les plus chers du XXIème siècle sous couvert de grandes promesses d’avenir.
Le Zimbabwe, de l’ancienneté dans la pratique du pouvoir mais de l’innovation dans la rébellion
A l’instar du mouvement français des gilets jaunes, les zimbabwéens se sont révoltés en 2017 contre leurs conditions de vie déplorables, notamment suite à l’augmentation du prix du carburant de 150% décidée par le président Mnangagwa récemment. Dans un pays où le PIB se tient autour de 890 dollars par habitant et fait état d’une inflation perdurant depuis 2000 (avec un pic de taux à 231 000 000% en 2008), le niveau de vie ne cesse de régresser et et ce malgré l’étendue de ses ressources naturelles et de ses terres fertiles.
Avec un taux de chômage actuel de 94%, le pays ne parvient pas à sortir la tête de l’eau et encore moins depuis les dernières élections présidentielles contestées de 2018. La lutte de la population s’établit donc grâce aux réseaux sociaux et à Internet, en suivant des modèles logiques précédemment rencontrés notamment lors du printemps arabe. L’AFP et Quartz relève la nouveauté de la révolte comparée à la précédente des années 2000, dont les protestations s’organisent en majorité via Whatsapp puisque Internet est à 98% mobile au Zimbabwe. Raison essentielle du gouvernement d’installer un couvre-feu numérique sur son territoire : en empêchant ses citoyens de converser et débattre de l’état de leur pays, les dirigeants du parti d’Emerson Mnangagwa s’assurent la prise de contrôle totale de la situation.
La répression d’Etat s’abat sans limite sur sa population : Amnesty International fait état de centaines d’arrestations par l’armée mi-janvier, ainsi qu’une douzaine de morts et des dizaines de blessés. Si selon le secrétaire pour l’information du parti au pouvoir George Charamba ce n’est « qu’un avant-goût de choses à venir », le gouvernement a exigé aux opérateurs locaux de couper l’accès au réseau sur tout le pays. Cette tactique a déjà été employée sous Mugabe en 2016 mais ne laissant cette fois-ci aucune solution alternative aux citoyens désireux de contourner l’interdiction en raison de l’inutilité des réseaux privés virtuels (VPN).
« #Zimbabwe has just experienced its first total #InternetShutdown. The country’s 3MNOs & ISPs have no access. No explanation has been given by either the service providers or govt #ZimbabweShutDown cc @accessnow @CPJAfrica @OSISA @kubatana @unescoROSA @guyberger @forfreemedia »
— MISAZimbabwe (@misazimbabwe) 15 janvier 2019
Si cette solution paraît antidémocratique aux yeux du reste du monde, les textes législatifs du pays légitiment les décisions du gouvernement en lui octroyant la possibilité d’actionner le levier de la loi avant même l’intervention de la justice en cas d’urgence, en se basant sur l’absence de résistance des acteurs du marché pour imposer un couvre-feu numérique.
Un processus naturel et encourageant : du Printemps arabe à aujourd’hui
Internet n’en est pas à son premier coup dans sa complicité avec un peuple dans son combat pour ses droits fondamentaux. Les peuples porteurs d’un sentiment d’oppression ont toujours trouvé solution dans la communication : pour réussir à retrouver ses acquis de révolution, il faut apprendre à assembler ses forces et se concerter sur les revendications et les moyens d’action disponibles. C’est ainsi le rôle premier des réseaux sociaux, qui ont su unifier des populations révoltées durant le Printemps arabe de la Tunisie à la Syrie.
Néanmoins, c’est en fermant leur principal canal de discussion que les gouvernements parviennent à étouffer les voix du peuple : Internet reste le seul lieu d’expression libre et puissant, donc le seul espoir de soulèvement populaire. Au risque de détériorer leur légitimité, la cyber censure devient insuffisante et les fournisseurs d’accès à Internet se retrouvent contraints de trahir leur propre clientèle, sous la pression du pouvoir en place.
La crise sociale et politique vénézuélienne suscite également l’inquiétude de sa population depuis le début de son inflation en 2014 : l’ONG Netblocks a récemment émis des alertes quant à la tourmente actuelle dans le pays depuis le renversement de Nicolás Maduro par le président du Parlement Juan Guaido. L’ONG spécialisée en cybersécurité fait état de « perturbations majeures » affectant les principaux réseaux sociaux, notamment Facebook et Instagram, ainsi que de grandes plateformes comme Youtube ou Google. Les restrictions aux services visés auraient été constatées après 20 000 analyses du fournisseur d’état CANTV sur la journée du 22 janvier 2019. Selon Netblocks, les raisons du blocage ne peuvent être clairement établies mais ces derniers ressemblent étrangement à d’autres incidents du même genre survenus précédemment dans le pays en période de tourmente depuis début janvier. Il n’y a donc aucun hasard dans ce type de coupure : la responsabilité est entièrement imputée au pouvoir en place.
« Confirmed: Major Internet disruptions in #Venezuela amid protests; YouTube, Google search and social media knocked largely offline #KeepItOnhttps://t.co/ZMKgc4SU81 pic.twitter.com/XqXZStWQcG »
— NetBlocks.org (@netblocks) 23 janvier 2019
En Algérie, la ministre de la Poste, des TIC et du numérique Houda Image Faraoun a également suspendu tout accès à Facebook et Twitter et complètement planté l’activité sur Internet sur le territoire durant cinq jours en juin dernier. La mesure a simplement été justifiée par le besoin de « préserver » les lycéens passant les épreuves du baccalauréat de toute distraction et tout moyen de triche.
En dehors de toutes les conséquences économiques sur les citoyens et entreprises d’un pays qui souhaite introduire son entrée dans le e-commerce, une certaine atteinte aux droits numériques des Algériens est caractérisée en toute impunité et sans inquiétude face aux textes. Sans aucune couverture juridique, le gouvernement algérien a compromis les intérêts économiques des acteurs économiques du pays et les droits fondamentaux des Algériens pour éviter toute fraude aux épreuves des lycéens, quand bien même l’utilisation de VPN et de pare-feux suffisaient à dévier la suspension d’Internet : la mesure est abusive et les moyens d’action médiocres.
L’excès de pouvoir retrace le manque de conscience sur le sujet des pays émergents et le despotisme partiel des autorités, qui n’hésitent pas à employer des moyens démesurés pour des problèmes d’une importance modérée. L’emploi de ce type de couvre-feu rappelle à l’opinion publique que les gouvernements détiennent le pouvoir cybernétique : couper l’accès à Internet revient à empêcher toute connexion extra-nationale, donc toute ouverture du monde. Le modèle de répression politique numérique semble finalement s’appliquer à des profils étatiques particuliers : en crise démocratique, un pouvoir en place contesté pour ses pratiques douteuses ou son illégitimité, ou souvent une économie en chute libre.
Les cas de coupure d’accès à Internet sur le territoire d’un État ne sont pas dénombrables tant ils se répètent, et touchent en majorité des États en crise politique et sociale. Du Tchad à la Corée du Nord, sans oublier le Congo ou le Bangladesh, les interventions de restrictions pointent finalement la puissance du message d’un internaute. Les droits accordés aux citoyens de tous pays sur l’espace internet gagnent en crédibilité et en force au fil des décennies, puisque le réseau décentralisé et neutre permet à tout un chacun de libérer ses idées et s’insurger contre un gouvernement. Le principe de neutralité du net intervient dans cet intérêt : les autorités se rendent ainsi coupables d’une violation du principe dès lors qu’elles organisent un blocus contre le libre accès de ses citoyens au réseau mondial. Il reste néanmoins à déplorer l’absence de mesures pertinentes à l’échelle internationale contre ce type de mesures, visant à étouffer les revendications d’un peuple en manque de libertés.
SOURCES :
BURGEL (T.), « Couper Internet pour tuer en silence », korii.slate.fr, publié le 24 janvier 2019, consulté le 3 février 2019 ; https://korii.slate.fr/tech/zimbabwe-couvre-feu-internet-silence-on-tue
CHUTEL (L.), « Zimbabwe’s internet blackout shows how powerless major telcos are against governments », qz.com, publié le 17 janvier 2019, consulté le 6 février 2019 ; https://qz.com/africa/1526754/zimbabwe-shutdown-econet-blames-government-whatsapp-still-off/
SAÏDOUN (N.), « Un couvre-feu numérique pour le bac », liberte-algerie.com, publié le 9 juin 2018, consulté le 3 février 2019 ; https://www.liberte-algerie.com/actualite/un-couvre-feu-numerique-pour-le-bac-294398
« Bac 2016, un couvre-feu numérique en Algérie », maghrebemergent.info, publié le 25 juin 2018, consulté le 3 février 2019 ; https://www.maghrebemergent.info/bac-2016-un-couvre-feu-numerique-en-algerie/
ROUJOL PEREZ (G.), « Crise au Venezuela : comment s’informer au pays de la censure ? », le Parisien, publié le 27 janvier 2019, consulté le 3 février 2019 ; http://www.leparisien.fr/international/crise-au-venezuela-comment-s-informer-au-pays-de-la-censure-27-01-2019-7997856.php
« La crise politique censurée au Venezuela », Reporters sans frontières, publié le 29 janvier 2019, consulté le 3 février 2019 ; https://rsf.org/fr/actualites/la-crise-politique-censuree-au-venezuela
« Coupure totale de l’accès à Internet en Corée du Nord », Le Monde, publié le 22 décembre 2014, consulté le 3 février 2019 ; https://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/12/22/coupure-massive-de-l-acces-a-internet-en-coree-du-nord_4545129_4408996.html
« RSF dénonce le nouveau black-out internet en RDC », Reporters sans frontières, publié le 26 février 2018, consulté le 3 février 2019 ; https://rsf.org/fr/actualites/rsf-denonce-le-nouveau-black-out-internet-en-republique-democratique-du-congo
« Nouvelle coupure des réseaux au Tchad », Reporters sans frontières, publié le 13 avril 2018, consulté le 3 février 2019 ; https://rsf.org/fr/actualites/nouvelle-coupure-des-reseaux-sociaux-au-tchad
« Zimbabwe Internet shutdowns amid fuel price protests », netblocks.org, publié le 15 janvier 2019, consulté le 6 février 2019 ; https://netblocks.org/reports/zimbabwe-internet-shutdowns-amid-fuel-price-protests-OxAGDdBz
« Major Internet disruptions in Venezuela amid protests », netblocks.org, publié le 23 janvier 2019, consulté le 6 février 2019 ; https://netblocks.org/reports/major-internet-disruptions-in-venezuela-amid-protests-4JBQ2kyo
DE VERGES (M.), « L’effondrement de l’économie du Venezuela en six chiffres », Le Monde, publié le 14 novembre 2017, consulté le 6 février 2019 ; https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/11/14/l-effondrement-de-l-economie-du-venezuela-en-6-chiffres_5214803_3234.html