Dans un objectif de formation du personnel lié en particulier à la communication et/ou dans un souci évident d’évaluation de ses salariés en relation directe avec la clientèle (appréciation de la gestion de la relation client), les employeurs souhaitent mettre en place et généraliser l’enregistrement de l’historique des « actions informatiques » issues des conversations téléphoniques avec des parties prenantes financières (clients, fournisseurs, prestataires ou tout autre interlocuteur).
Mais alors que l’utilisation d’Internet au travail ne fait pas l’objet d’une réglementation spécifique concernant l’encadrement de bonnes pratiques « digitales » ; il convient donc de se référer aux principes généraux de respect de la vie privée ainsi qu’aux règles à respecter posées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Le 17 septembre dernier, la CNIL publie sur son site les conditions dans lesquelles l’employeur peut enregistrer l’historique des actions informatiques de ses employés. Où se situe l’équilibre entre droit de l’employeur à « surveiller », voire encadrer les actions de son salarié et la vie privée de ce dernier ?
L’enregistrement vidéo ou la capture d’écran couplé à l’enregistrement des conversations téléphoniques au travail
L’action de couplage des actions informatiques et des conversations téléphoniques consiste à enregistrer l’image de ce qui apparait à l’écran d’ordinateur de l’employé, sous la forme de captures d’écran ou d’une vidéo, parallèlement à l’enregistrement des conversations téléphoniques.
Sur l’aspect technique, l’autorité considère qu’il ne peut pas y avoir, en principe, de capture d’écran couplée à l’enregistrement des conversations téléphoniques. La CNIL définit une capture d’écran comme « susceptible de n’être ni pertinente ni proportionnée puisqu’il s’agit d’une image figée d’une action isolée de l’employé, qui ne reflète pas fidèlement son travail ». A l’inverse, l’enregistrement vidéo de l’écran couplé aux conversations téléphoniques permet de « refléter les actions les plus fidèles de l’employé » à condition de l’utiliser pour le seul objectif de formation du personnel et sous réserve de la mise en place de garanties.
Il convient donc d’informer les employés de cet enregistrement et de le limiter à la/aux fenêtre(s) de l’application métier sur laquelle porte la formation. La CNIL préconise également des actions complémentaires telles que ce dispositif soit mis en place exclusivement pour des personnes qui ont un besoin réel de formation ou encore que le dispositif soit actif uniquement pendant un appel téléphonique.
Balance entre droit de l’employeur à l’enregistrement des actions informatiques de ses salariés et vie privée
Le principe du respect de la vie privée fait partie d’un des principes généraux du Droit posé à l’article 9 du Code Civil : « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce principe, même si atténué par l’article L 1121-1 du Code de Travail « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », prévaut dans le cadre d’une relation employeur-salarié. De ce fait, cette nouvelle intention des employeurs à enregistrer les actions informatiques de ces salariés pose la question de l’équilibre entre le principe du droit au respect de la vie privée de chaque salarié sur leur lieu de travail mais également le désir de l’employeur à ce que chacun de ces salariés répondent au mieux au fonctionnement de son entreprise.
L’usage de l’enregistrement vidéo de l’écran couplé aux conversations téléphoniques peut très vite être intrusif dans la vie privée des employés. La consultation d’Internet sur son lieu de travail à des fins personnelles n’est pas interdite à condition que celle-ci reste dans une limite raisonnable. Ces enregistrements peuvent donc intercepter des actes de la vie privée du salarié et porter atteinte à ce principe général. Mais la CNIL autorise les employeurs à justifier les enregistrements vidéo de l’écran couplé aux conversations téléphoniques car elles peuvent rentrer dans un « but recherché », la formation du personnel en l’espèce, comme l’indique l’article L 1121-1 du Code du Travail.
C’est sur ce point précis que la CNIL joue donc un rôle de contrôle et peut-être de médiateur entre la demande de l’employeur de formation de ses employés et la vie privée de ces derniers dans l’entreprise pour améliorer leur niveau de performance dans la gestion de la relation clients. Si l’autorité manque à sa mission, cela peut rendre responsable l’autorité qui s’engage auprès des salariés au respect d’un de leur droit inaliénable.
Compte tenu des impacts et risques de détournement et de surveillance associés à ce dispositif, le couplage des enregistrements téléphoniques avec l’image des actions de l’employé est disproportionné lorsqu’il est utilisé pour d’autres finalités que la formation du salarié et peut porter atteinte au principe de la vie privée de ce dernier. Pour toutes autres actions telles que la lutte contre la fraude interne, l’évaluation du personnel, l’employeur devra trouver d’autres alternatives à ce type de dispositif.
Amandine DELIAUNE
Sources :
- « L’enregistrement vidéo ou la capture d’écran couplé à l’enregistrement des conversations téléphoniques au travail » La CNIL – 17/09/2019
- Article 9 du Code Civil
- Article L 1121-1 du Code du Travail