La mission interministérielle composée de sept experts et trois rapporteurs avait en charge l’écriture du rapport sur la régulation des réseaux sociaux. Ces derniers ont remis leurs travaux au Secrétaire d’Etat en charge du Numérique en mai 2019. L’objectif de cette mission est de proposer un cadre garantissant une modération des contenus hébergés sur les réseaux sociaux, et avec pour vocation d’étendre à l’échelle européenne ces dispositifs nationaux. En effet, après plusieurs rencontres entre le chef d’Etat français et le PDG de Facebook, il était devenu nécessaire de responsabiliser les grandes plateformes, puisque leurs démarches d’autorégulations ( algorithmes ) restent insuffisantes face aux excès des discours haineux. De surcroît ce rapport invite à des pistes de réflexion qui devraient aussi nourrir les travaux parlementaires sur la proposition de loi dite “Avia”.
Dès lors, les auteurs du rapport proposent une démarche proactive reposant sur la coopération publique-privée, il s’agit de les inciter à intervenir systématiquement auprès de leurs utilisateurs pour prévenir, anticiper ou bloquer les dérives engendrés au sein de leurs services. La nouvelle politique de régulation repose sur 5 piliers distincts:
Premier pilier : “Une politique publique de régulation garante des libertés individuelles et de la liberté d’entreprendre des plateformes”.
Les réseaux sociaux ont révolutionné les mode de communications en offrant à 2 milliards d’utilisateurs un support d’expression écrite. En d’autres termes, ces plateformes ont favorisé la liberté d’expression. C’est pourquoi les auteurs du rapport soulignent une volonté de défendre l’ensemble des droits et des libertés exercés sur ces plateformes. Cette proposition de régulation pour lutter contre les discours haineux prend en considération la difficulté de réprimer les abus, due au flou juridique. Toutes les définitions juridiques actuelles du discours de haine sont assez problématiques, car il n’existe aucune définition qui fasse l’unanimité au niveau européen ou au niveau mondial.
Deuxième pilier : “Une régulation prescriptive et ciblée sur la responsabilisation des réseaux sociaux mise en œuvre par une autorité administrative indépendante”. Celle ci repose sur 3 obligations incombant aux plateformes:
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- La transparence de la fonction d’ordonnancement des contenus;
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Les autorités publiques ont été insatisfaites des mécanismes mis en œuvre par les réseaux sociaux, dû au du manque d’information et de l’asymétrie des pouvoirs publics avec les plateformes dans la régulation. Ainsi, la fonction d’ordonnancement permettrait d’agir efficacement et rapidement sur les dérives des contenus.
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- La transparence de la fonction de mise en œuvre des CGU et de modération des contenus. Les services des réseaux sociaux entraînent des abus inacceptables de la part d’individus isolés ou de groupes organisés. Les services de réseau social développent chacun de leur côté leur propre modèle d’autorégulation, ce qui engendre une faible crédibilité auprès des utilisateurs. L’autorégulation doit se faire superviser par les pouvoirs publics tout en conservant la liberté d’entreprendre. L’idée serait d’imposer des obligations fortes de transparence, au sein des règles d’utilisations et par le recours à des algorithmes de ciblage et d’individualisation des contenus. Pour reprendre la formule « Privacy by design » du RGPD en matière de données personnelles, on pourrait parler de « Accountability by design » pour le traitement des contenus par les réseaux sociaux.
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- Un devoir de diligence vis-à-vis de ses utilisateurs (dont une obligation de moyens). Le modèle d’intervention publique ne vise pas à réglementer l’activité, c’est-à-dire à imposer des contraintes fonctionnelles ou techniques sur les services fournis, mais à responsabiliser les acteurs. Le rapport souhaite instaurer un devoir de diligence des réseaux sociaux vis-à-vis de leurs membres et par ricochet, une crédibilisation de l’autorégulation ( cela se traduit par une obligation des plateformes à retirer, assez rapidement, les contenus haineux). Le rapport pose à titre d’exemple, le cas de l’Allemagne ayant déjà adopté une loi obligeant les sociétés de médias sociaux à retirer les propos à caractère haineux et d’autres contenus illégaux, sous peine d’une amende pouvant atteindre 50 millions d’euros. Les réseaux sociaux, contrairement aux médias traditionnels, n’interviennent pas sur le contenu publié. Il s’agit là d’une caractéristique inhérente à ces services. L’action répressive soulève des questionnements, puisque la plateforme se voit attribué le rôle de censeur a posteriori. Par ailleurs, la logique répressive impose aux plateformes de juger elles-mêmes de l’illégalité manifeste d’un contenu. Celle-ci est difficile à évaluer au regard des différents niveaux de lecture et de la volonté du législateur.
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Troisième pilier : “Un dialogue politique informé entre les acteurs, le gouvernement, le législateur, le régulateur et la société civile”.
Le rapport montre l’importance de la collaboration entre les entités. En effet, la régulation et l’équilibre résidera dans la communication de toute information utile afin de lutter efficacement contre les contenus toxiques et maintenir la protection des libertés fondamentales.
Quatrième pilier : “Une autorité administrative indépendante partenaire des autres branches de l’État et ouverte sur la société civile. Cette autorité serait garante de la responsabilisation des réseaux sociaux au bénéfice du gouvernement et de la société civile”.
Cette autorité serait dotée de larges pouvoirs d’accès à l’information détenue par les plateformes, et elle n’a pas pour mission de réguler directement les contenus des réseaux sociaux. En outre seuls les grands réseaux sociaux, dont les utilisateurs mensuels dépassent un certain pourcentage de la population de l’État seront concernés par cette surveillance. Ainsi, cette nouvelle autorité pourrait contrôler plusieurs paramètres, comme les délais de retrait, les principes algorithmiques…etc. Il est primordial que l’autorité administrative joue un rôle de tiers de confiance pour assurer l’équilibre entre les intérêts économiques des plateformes et la préservation des libertés individuelles.
Cinquième pilier : “Une ambition européenne pour renforcer la capacité des États membres à agir face à des plateformes globales, et réduire le risque politique lié à la mise en œuvre dans chaque État membre”.
Le rapport constate que la règle actuelle dite “du pays d’installation”, selon laquelle seul le pays qui accueille le siège du réseau social peut intervenir pour réguler ce réseau, s’avère inefficace. La mission préconise la mise en place d’une régulation européenne fondée sur le principe de compétence du pays de destination. Celui-ci requiert un cadre commun, en adoptant un règlement européen qui garantirait cohérence et uniformité de la norme juridique dans l’ensemble des géographies. Ainsi l’État devant lequel le réseau social pourrait être tenu responsable doit être celui où le dommage s’est produit.
Pour conclure, il est nécessaire que le gouvernement et les plateformes corégulent ensemble les excès d’internet. Autrefois plus désinvolte, la compagnie américaine semble convaincre les États de sa bonne volonté à coopérer, et ainsi éviter une réglementation trop lourde ou restrictive comme il a été le cas en Allemagne.
Sources:
- “Rapport de la mission, Régulation des réseaux sociaux – Expérimentation Facebook “, Secrétaire d’État en charge du numérique, Mai 2019.
- “Contenus haineux sur Internet : vers une responsabilisation des réseaux sociaux”.
- Myriam Quéméner, Adel Jomni., ” Le rapport de la mission sur la régulation des réseaux sociaux – Analyse et perspectives” Dalloz IP/IT 2019. 517