Linky est un compteur communiquant d’électricité installé par le gestionnaire du réseau de distribution Enedis. Ce type de compteur est l’une des composantes des réseaux de distribution d’énergie intelligents qui optimisent la production et l’acheminement de l’électricité, notamment grâce à la télétransmission des informations de consommation des usagers. Ils permettent également aux distributeurs de réaliser, de manière automatique, certaines opérations techniques à distance comme la relève des consommations, la coupure ou le changement de puissance du compteur. Dorénavant la facturation s’effectue sur la base de données réelles et non plus d’estimations, évitant ainsi les régularisations des factures estimées.
Linky répond au besoin de modernisation des réseaux d’électricité. L’objectif fixé par la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité est d’équiper 80% des foyers d’un compteur communiquant d’ici 2020. Le décret du 31 août 2010, pris en application de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, a rendu obligatoire la mise en œuvre des compteurs communicants en imposant la mise à disposition des données de comptage à l’abonné ainsi que le principe d’une transmission journalière des index de comptage aux fournisseurs d’électricité.
C’est dans un climat de grande méfiance que ces compteurs se déploient. Les réfractaires à Linky craignent une atteinte à leur vie privée et ne souhaitent pas que leurs données soient commercialisées.
C’est en ce sens qu’une question ministérielle a été posée à la garde des Sceaux : « les citoyens auront [-ils] la possibilité de refuser, sans conséquence négative pour eux, toute commercialisation de la moindre de leur donnée » ?
Deux sortes de données collectées par Linky
La ministre de la justice y a répondu le 19 septembre 2019 en distinguant deux sortes de données :
- Les données permettant de déterminer la consommation journalière du foyer. Elles sont nécessaires au calcul de la consommation d’électricité et à la facturation des clients. C’est pourquoi leur collecte est encadrée par les articles L341-4 et suivants du Code de l’énergie et sont collectées même en l’absence du consentement de l’usager par le gestionnaire de réseau de distribution.
- Les données de consommation plus fines permettant de déduire les habitudes du foyer, appelées courbe de charge. La collecte de ces données est soumise au Règlement européen sur la protection des données (RGPD) et à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. Ainsi, elles ne sont collectées qu’avec l’accord de l’usager ou, de manière ponctuelle, lorsqu’elles sont nécessaires à l’accomplissement des missions de service public confiées au gestionnaire de réseau.
Focus sur la courbe de charge
La courbe de charge est constituée d’un relevé, à intervalles réguliers, de la consommation électrique de l’abonné. Plus les intervalles sont réguliers, plus il est possible d’obtenir des informations précises sur les habitudes de vie des personnes concernées. Par exemple, la courbe de charge peut permettre d’identifier les heures de lever et de coucher, les périodes d’absence et le nombre de personnes présentes dans le foyer au travers du volume d’eau chaude consommé.
Une question parlementaire visant la courbe de charge a été posée le 13 mars 2018. Les opposants au compteur intelligent considéraient qu’aucune société ne devrait connaitre de leurs habitudes de vie à des fins de prospection commerciale, que rien ne permet de préfigurer de l’usage qui sera fait de Linky en cas d’évolution de la législation sur la collecte des données personnelles et qu’à l’instar de tout système connecté, Linky n’est pas à l’abri d’attaques pirates.
En réponse, l’anonymisation et la sécurisation des données, mais aussi la nécessité du consentement préalable de l’usager. Ainsi, l’article R 341-21 du code de l’énergie précise que la courbe de charge est enregistrée localement dans les compteurs au pas horaire, sauf refus exprès du consommateur et que la collecte de cette courbe dans le système informatique du gestionnaire de réseau ne peut être effectuée qu’à la demande du consommateur.
Dans sa réponse du 19 septembre 2019, la garde des Sceaux rappelle, comme en 2018, que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a défini des règles strictes relatives à la gestion des compteurs intelligents. La courbe de charge a fait l’objet d’une délibération par la CNIL du 15 novembre 2012 dans laquelle elle préconise :
- Dans le cadre de la gestion du réseau de distribution : la courbe de charge ne peut être collectée que lorsque des problèmes d’alimentation ont effectivement été détectés
- Pour la mise en place de tarifs adaptés à la consommation et la mise en place de services complémentaires : la courbe de charge ne peut être collectée qu’avec le consentement exprès des personnes concernées. Celui-ci doit être libre, éclairé et spécifique.
- Sur les modalités de la collecte : les paramètres de réglage des compteurs doivent être, par défaut, les plus protecteurs possibles pour les usagers et toute modification du pas de mesure ainsi paramétré soit justifiée par la finalité poursuivie.
- Sur le temps de conservation des données : la courbe de charge ne doit être conservée que le temps nécessaire aux finalités pour lesquelles elle est collectée (temps de la résolution du problème, de la réalisation de la simulation ou de la prestation).
De plus, la CNIL a édité en mai 2014 un « pack conformité compteurs communicants » qui précise qu’en matière de prospection commerciale le prestataire peut librement utiliser les données de son client qui sont strictement nécessaires à la réalisation des opérations de prospection commerciale, sauf opposition de celle-ci. Cependant, la CNIL recommande de recueillir systématiquement le consentement de la personne avant toute transmission des données à un tiers.
L’expression du consentement de l’usager
Ainsi, le 19 septembre 2019, la garde des Sceaux énonce les trois phases de l’expression du consentement de l’usager :
- En amont du traitement le consentement explicite et écrit de l’utilisateur est un prérequis nécessaire à la transmission des données de consommation fines (courbe de charge) à des sociétés tierces, notamment à des fins commerciales.
- L’exigence de la délivrance d’une information claire et précise sur les données collectées et les finalités poursuivies, conformément aux articles 12 et suivants du RGPD.
- En aval l’abonné conserve la possibilité de désactiver la relève des données de consommation fines et de demander leur suppression via son espace sécurisé, conformément à l’article D. 224-27 du Code de la consommation.
Toutefois, il est à noter que repose sur l’usager la charge de faire la démarche de désactiver la collecte de la courbe de charge. Combien d’utilisateurs avertis cela concerne-t-il ? Malgré les mesures de protection des données personnelles mises en place, on est proche d’une présomption de consentement.
Sources :
Rép. min. à QE n° 04410, JO Sénat Q. 19 sept. 2019, p. 4794
Assemblée Nationale, question nº 6292, du 13 mars 2018, JO du 12 Juin 2018, p. 5123
CNIL, Délibération n° 2012-404 du 15 novembre 2012 portant recommandation relative aux traitements des données de consommation détaillées collectées par les compteurs communicants
CNIL, Pack de conformité : les compteurs communicants, mai 2014
DIRECTIVE 2009/72/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE
MARRAUD DES GROTTES (G.), « Les données Linky peuvent elles être commercialisées », Lamy, 23 septembre 2019