Qu’est-ce que l’affaire Agacinski
Sylviane Agacinski est une philosophe, qui devait participer à la conférence sur l’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique. Des syndicats et associations étudiants avaient dénoncé dans un communiqué la venue « d’une personne selon eux « transphobe et homophobe ». Ce qui pose problème pour ces associations ce sont les propos de cette philosophe sur la PMA et la GPA. A la suite de menace l’Université Bordeaux Montaigne a préféré annuler ce débat.
Que dit le droit
En matière de liberté d’expression, il est nécessaire de rappeler les textes fondamentaux.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » .
Dans l’article 11, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Au motif d’une protection de l’ordre public, la seule limite possible à la liberté d’expression doit être établie dans la loi ( du fait qu’elle est issu de la volonté générale). Donc ce qui nous intéresse c’est « la loi, toute la loi et rien que la loi ».
Or les propos que tient Madame Agacinski, peu importe la valeur que l’on donne à ces derniers, n’ont jamais fait l’objet de poursuite judiciaire, pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont pas condamnables. Ainsi les propos qu’elle tient ne tombent pas sous le coup de la loi.
Mais qu’en est il des menaces faites à l’encontre de sa venue ?
Ces menaces ne font l’objet d’aucune sanction par l’université, qui connait pourtant l’identité des auteurs de ces menaces. Ces actions commissent sont néanmoins pénalement répréhensibles. En effet, le code pénal énonce à l’article 431-1 que « le fait d’entraver d’une manière concertée et à l’aide de menaces l’exercice de la liberté d’expression est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende »
Une imitation des universités anglo-saxonnes
Nous tenons pour acquis que la conception anglo-saxonne de la liberté d’expression est plus permissive. En tête, les États Unis véhiculent l’image d’un pays où tout peut être dit, tels que les propos révisionnistes et négationnistes, alors que ces derniers sont condamnés en France.
Pourtant depuis le début de 21ème siècle, il y a eu une certaine évolution sur la manière d’appréhender la notion de liberté d’expression. Notamment par la volonté, dans les universités américaines, mais de manière générale dans les universités anglo-saxonnes, de créer des « Safe space ». c’est-à-dire un lieu où leurs opinions ne seraient pas mises à mal par d’autres opinions. L’université est par son but même l’oxymore d’un « Safe space ». L’université comme institution a pour rôle d’être le bastion du savoir, de la connaissance et de sa transmission, mais aussi de l’échange et du débat. Si débat il y peut y avoir, ce n’est qu’avec des idées qui s’opposent. Peut importe la valeur que l’on donne à ces idées, et quand bien même elles heurteraient la sensibilité de certain.
On a aussi vu la création d’expression tel que « deplatforming » et «no-platforming» ( qui peuvent se traduire par « déprogrammation » et « pas d’estrade »). Le but ici est de priver les personnes qui sont estimées comme problématiques d’une plateforme à travers laquelle elles pourraient s’exprimer. Ces expressions ne sont que la dénomination de boycott organisé par des étudiants dans le but d’annuler une conférence ou tout évènement qui risquerait de les exposer à des idées en totale contradiction avec leur intime conviction. Tout contenu qui par un étudiant sera estimé comme haineux ou offensant pourra faire l’objet d’une déprogrammation, ou d’une invisibilisation.
Le cas les plus connus étant celui de la fresque de Victor Arnautoff au lycée George Washington de San Francisco ou le cas de l’université d’Evergreen, où les dérives sont allées tellement loin qu’elles ont conduit à des affrontements, des menaces de morts, jusqu’au départ de plusieurs enseignants.
Ce genre de problème arrive en France, et l’affaire Agacinski n’est pas la seule, en effet on remarque de plus en plus une volonté, par des groupes étudiants, d’interdire des spectacles ou des conférences. On peut citer entre autre l’annulation d’une représentation de la tragédie « Les Suppliantes », des Danaïdes d’Eschyle à la Sorbonne, ou encore , l’annulation de la conférence de François Hollande à l’université Lille 2 et à Science Po, ou l’annulation de la formation à «la prévention de la radicalisation» par l’université Paris 1.
Qui peut déterminer ce qui doit être dit et qui peut être dire ? Mon côté juriste préfère se référer au juge, plutôt qu’à une foule en délire.
Dans ce genre de moment l’université n’a rien à envier à la place publique du Moyen Âge. De même les réseaux sociaux, places publiques modernes, ne font qu’augmenter ces modes de pensée et alimentent drastiquement ces dérives liberticides.
Conclusion :
Si ces groupes de pression souhaitent faire avancer leurs causes, quelles qu’elles soient, deux choix s’offrent à eux :
Premièrement militer pour que les lois établissant des limites à la liberté d’expression aient un champ d’application plus large, pour qu’elles prennent aussi en compte les opinions qu’ils jugent inadmissibles.
Pas très voltairien.
Deuxièmement faire ce qu’il sont censés avoir appris depuis l’école primaire jusqu’à l’université, échanger, comprendre le point de vue de l’autre, argumenter, débattre en somme.
Dans de telles circonstances, on peut se demander si la France, pays des Lumières, existe encore ? Avons-nous, en tant que société, perdu nos repères à tel point, que l’on refuserait de combattre ce que jadis on a appelé l’obscurantisme. En reculant à chaque menace, à chaque pression, qui sont de plus en nombreuses, et qui portent atteinte de manière irrémédiable à la liberté d’expression et d’opinion en France.
Ce qui ressort de ces multiples affaires, c’est que tout groupe exerçant un minimum d’influence peut se permettre d’annuler telle ou telle conférence sous prétexte que l’on apprécie pas ce que les participants ont à dire, sans aucune conséquence. Est-ce réellement le futur que l’on souhaite pour les universités françaises ?
Source :
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 article 10 et 11
Baudouin Eschapasse « Eschyle censuré à la Sorbonne ! », le Point, 1 avril 2019
Laurent Joffrin « Esprit de censure à l’université », Libération, 28 octobre 2019