« Quand on a de grands pouvoirs, on a de grandes responsabilités » a estimé Isabelle De Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence. C’est dans cette perspective que l’instance française a infligé à Google, le vendredi 20 décembre, une amende d’un montant de 150 millions d’euros pour abus de position dominante sur le marché de la publicité liées aux recherches (Google Ads).
Ce n’est pas la première fois que le géant du numérique se retrouve mis en cause pour abus de position dominante. Le groupe avait ainsi écopé, en 2017, d’une première amende de 2,42 milliards d’euros pour avoir favorisé son service de comparaison de prix, Google Shopping.
Un an plus tard, une deuxième amende tombe concernant le système d’exploitation mobile, Android. Enfin, en mars 2019, Google avait été sanctionné d’une amende de 1,49 milliard d’euros pour pratiques abusives en matière de publicité en ligne. Voici que quelques mois plus tard, le service de publicité soit encore mis en cause…
Les règles encadrant le fonctionnement de la plateforme publicitaire Google Ads
Le fonctionnement de la plateforme Google Ads est encadré par des règles, définies par Google. Ces règles précisent les conditions dans lesquelles un annonceur peut diffuser de la publicité ; règles que doit expressément respecter l’annonceur.
La finalité de certaines d’être elles est de protéger l’internaute afin qu’il ne soit pas exposé à des annonces le renvoyant vers des sites pouvant porter atteinte à ses intérêts. Notamment, Google Ads interdit aux annonceurs de vendre des produits ou services normalement gratuits ou de présenter un contenu aux internautes qui soit différent de celui présenté à Google. Elle impose aussi la transparence vis-à-vis des consommateurs sur la façon dont ils vont être facturés.
En cas de non-respect de ces règles, Google se permet de refuser les annonces, bloquer les sites ou même suspendre les comptes des annonceurs, qui ne peuvent alors plus passer aucune annonce via le service Google Ads.
La saisine de l’Autorité de la concurrence
La société Gibmedia édite des sites d’information sur la météo, les données d’entreprises et les renseignements téléphoniques, dont certains offrent des services payants.
A la suite de la suspension sans préavis de son compte Google Ads, elle a saisi le gendarme de la concurrence par une demande de mesures conservatoires et une saisine au fond pour pratiques anticoncurrentielles, en estimant que la procédure suivie par Google et les motifs de la suspension n’étaient pas objectifs, transparents et non discriminatoires.
Par sa décision 15-D-13 du 9 septembre 2015, l’Autorité avait rejeté la demande de mesures conservatoires présentée par Gibmedia, en estimant que les conditions d’urgence n’étaient pas réunies, c’est-à-dire qu’aucune atteinte grave et immédiate aux intérêts des consommateurs, du secteur ou de l’entreprise plaignante n’était caractérisée. Elle avait cependant décidé de poursuivre l’instruction au fond du dossier, laquelle aboutit aujourd’hui.
La manière de procédé de Google à revoir
Des éléments au dossier montrent que Google a eu un comportement ambiguë à plusieurs égards.
Compte tenu de sa position dominante avec + 90% des recherches effectuées en France, Google est tenu de définir les règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire de manière objective, transparente et non discriminatoire. Or, la formulation des règles ne repose sur aucune définition précise et stable, ce qui donne toute latitude à Google pour les interpréter selon les situations. Ainsi, la règle sur la vente d’article gratuit interdit le fait de « facturer des frais aux utilisateurs pour des produits ou services qui sont normalement gratuits », sans autre forme de précision. Mais le caractère « normalement gratuit » d’un service n’est pas défini de façon précise.
Également, Google modifie fréquemment sa position sur l’interprétation des règles. Cette instabilité a pour effet de maintenir certains annonceurs dans une situation d’insécurité juridique et économique, étant exposés à des changements de position de Google, et donc à la suspension de leur site ou même de leur compte, qu’ils ne peuvent pas anticiper.
De plus, le contenu des règles évolue à de nombreuses reprises sans que ces changements de contenu n’aient fait l’objet d’une information ou d’une notification auprès des annonceurs concernés.
Enfin, Google a temporairement suspendu le(s) site(s) de Gibmedia ou son compte Google Ads à plusieurs reprises, avant de les suspendre définitivement en 2015 pour violation de différentes règles protectrices des internautes. Pourtant, dans le même temps, Google a continué à diffuser des annonces similaires.
La présidente de l’Autorité de la concurrence ajoute qu’il « est parfaitement légitime qu’un opérateur comme Google ait des règles mais il faut que ces règles soient claires (…), qu’elles ne soient pas à la tête du client ou appliquées de façon erratique ».
La justification de l’amende prononcée
Au vu des éléments du dossier, l’Autorité décide de prononcer une sanction de 150 millions d’euros à l’encontre de Google. Elle ordonne également à Google de clarifier la rédaction des règles de sa plateforme publicitaire Google Ads, de clarifier les procédures de suspension des comptes afin qu’elles ne revêtent pas un caractère brutal et injustifié et de mettre en place des procédures d’alerte, de prévention, de détection et de traitement des manquements à ses règles afin que les mesures de suspension de sites ou comptes Google Ads soient strictement nécessaires et proportionnés à l’objectif de protection de consommateur.
Google devra présenter à l’Autorité de la concurrence deux rapports. Dans deux mois, un premier rapport détaillant les mesures et procédures qu’elle compte mettre en œuvre pour se conformer aux injonctions et dans un délai de six mois, un deuxième rapport détaillant l’ensemble des mesures et procédures qu’elle a effectivement mises en place.
« C’est la troisième sanction la plus importante jamais prononcée pour abus de position dominante par l’Autorité de la concurrence » précise dans une conférence de presse la présidente de l’instance française. Mais le géant numérique n’a pas décidé de se laisser faire car le groupe a d’ores et déjà annoncé de faire appel de la décision.
SOURCES :
- Le Monde – “Pourquoi Google s’est vu infliger une amende de 150 millions d’euros par l’Autorité de la concurrence” 20/12/2019
- Autorité de la Concurrence – Décision du 20 décembre 2019
- France 24 – ” L’Autorité de la concurrence en France inflige à Google une amende de 150 millions d’euros” 20/12/2019