Le 11 décembre 2019 Jack Dorsey, co-fondateur et PDG de Twitter, annonce la création du « projet « bluesky ». Une équipe d’experts qui prendra la lourde charge de lutter contre les « fake news » sur la plateforme. Ce n’est pas un coup d’essai pour le réseau social puisqu’il avait déjà lancé ce genre d’initiative en 2018 sous le nom de Fubula AI.
• L’aveu de faiblesse de Twitter.
La relation entre twitter et les fake news, aussi appelées fausses informations et infos en français, est établie depuis longtemps. Ce réseau social est le théâtre d’une masse de désinformation mais également de partages de ces tweets et articles erronés par les internautes. Pourtant la plateforme réunie plus de 330 millions d’utilisateurs. Paradoxalement à la quantité phénoménale de fake news qui circulent sur le réseau social, aux États-Unis, plus d’une personne sur cinq avoue s’informer majoritairement par ce biais.
Twitter, réel outil de partage de masse et de diffusion à grande échelle est cependant l’un des facteurs qui rendent possible la propagation de fausses informations. Derniers exemples en France de cas de désinformation de masse en date: les incendies de Lubrizol (traité ici) ou encore la soi-disant arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès (vu également ici). Les infos touchent toutes les générations et cela peu importe la localisation. Twitter est plus que conscient de ce phénomène et a lancé maintes initiatives pour essayer d’y mettre fin, ou à défaut de réduire la portée des fake news. La plus connue d’entre elles était jusqu’alors Fabula AI.
• Twitter et ses algorithmes centraux dans sa lutte contre les fake news.
Jusqu’ici, twitter était un réseau social basé sur un système central, c’est-à-dire qu’il gérait lui-même entièrement son fonctionnement. Il y a une seule version de la plateforme et c’est la même pour tout le monde. L’entreprise gère tout, du design de son interface jusqu’aux règles qui lui sont applicables. Pour ce faire, l’entreprise investie dans sa propre société mais également dans des start-up extérieures qui lui serviront à développer sa plateforme. Cela a été le cas pour l’entreprise fabula AI. Initialement, fabula AI était une start-up londonienne spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux. L’objectif de la manœuvre était de participer à rendre les contenus publiés sur Twitter plus fiables.
La principale activité de Fabula AI était le « graphe deep learning » c’est-à-dire qu’elle appliquait des techniques d’apprentissage par des machines (Deep Learning) utilisées sur des données structurées en réseau. Cette technique permet d’analyser des masses de données tout en dressant le portrait des relations et des interactions de la plateforme. L’intelligence artificielle ne se borne plus seulement à analyser le contenu (et donc détecter des anomalies ou des contenus illicites) mais plutôt la façon dont il se propage sur le réseau et les habitudes de partage de ce dernier. Cette technique permettrait de différencier un contenu valide d’un contenu erroné car en analysant la façon dont ils se répandent l’IA pourrait en déduire la véracité.
En juin 2018, Twitter avait annoncé que ces nouveaux algorithmes intégrés à celui de sa plateforme permettraient d’identifier 93% des fake news et d’endiguer très rapidement leur propagation. Pourtant un peu plus d’un an plus tard, la plateforme change de cap, avouant une défaite partielle dans son combat contre la désinformation. À défaut de trouver des techniques centrales internes à Twitter, elle décide de créer l’équipe Bluesky qui aura pour mission principale, nous allons le voir, de décentraliser les algorithmes de la plateforme et donc de décentraliser la liste contre les infos.
• Un projet de décentralisation ambitieux: une nouvelle manière pour Twitter d’envisager les réseaux sociaux.
En un simple tweet, le PDG de twitter a remué le WEB, en effet il annonce la création de Bluesky et par la même occasion ses nouveaux objectifs.
« Twitter finance une petite équipe indépendante de cinq architectes, ingénieurs et designers open source pour développer un standard ouvert et décentralisé pour les médias sociaux. L’objectif est pour Twitter d’être à terme un client de ce standard. »
L’équipe est donc composée d’un petit effectif mais a pourtant de grandes ambitions. Décentraliser un média social, c’est laisser l’utilisateur prendre le pouvoir sur la plateforme. Twitter, par cette volonté de décentraliser, souhaite que l’utilisateur puisse créer lui-même ses règles en créant sa propre version du réseau social. C’est un point de vue tout à fait novateur car pour l’instant tous les plus grands réseaux fonctionnaient de manière centralisée, que ce soit Facebook Instagram ou Linkedin. Ils ont tous un code propre dont eux seuls peuvent disposer.
– Vers un retour aux sources.
Décentralisation des plateformes est synonyme de retour à l’Open Source. Pour ne pas être trop techniques, actuellement, les plateformes fournissent un service clef en main à l’utilisateur. Avec la décentralisation, on mettrait plutôt un protocole entre les mains d’un utilisateur, qui pourrait s’en servir comme tel mais également le modifier selon ses besoins. Cette idée de retour à l’open source est évoquée par twitter même puisque Jack Dorsey a twitté suite à son annonce un article de Mike Masnick qui incitait à un retour à l’internet des protocoles, à «l’internet d’avant». L’internet qu’il y décrit est celui de la liberté où chacun peut tisser son propre fil sur la toile en contribuant à l’amélioration des protocoles. Pour imager prenons un exemple simple, tout le monde peut envoyer un mail peu importe la boîte mail de l’utilisateur, il peut envoyer un mail à Outlook aussi bien qu’à une messagerie personnelle. A contrario, on ne peut pas twitter su Facebook ou Instagram. Les plateformes de médias sociaux ont un modèle de fonctionnement centralisé ce qui a pour conséquence de les isoler les unes des autres. Cela les empêche parfois de collaborer alors mêmes qu’elles mènent des recherches similaires, notamment à propos de la lutte contre la désinformation et les fake news.
Recently we came across @mmasnick’s article “Protocols, Not Platforms” which captures a number of the challenges and solutions. But more importantly, it reminded us of a credible path forward: hire folks to develop a standard in the open. https://t.co/1kH7UcaNKO
— jack 🌍🌏🌎 (@jack) December 11, 2019
– Les conséquences d’une décentralisation potentielle de Twitter.
Rendre accessible le protocole de sa plateforme permettrait à twitter d’accéder à un ensemble plus large de conversations publiques ainsi que de mutualiser les efforts dans la création d’algorithmes toujours plus performants et précis. Cela aiderait les plateformes qui pour l’instant essayaient seules de parfaire ses algorithmes, avec ses protocoles en open source, des tiers pourraient créer leurs propres algorithmes et qui sait, ces efforts combinés pourraient arriver à des résultats probants. Toutefois, le projet est naissant et très idéaliste. En effet, plusieurs problèmes se posent, en ouvrant accès à leurs protocoles, twitter pourrait avoir des problèmes au niveau de la monétisation de ses contenus car les utilisateurs avertis pourraient modifier les algorithmes liés. Ensuite, ceux qui maitrisent les protocoles pourraient être capables de créer des réseaux décentralisés basés sur ceux de twitter mais en sélectionnant le contenu qu’ils souhaitent recevoir, parfois cela pourrait être une volonté de ne plus être pollué par des contenus erronés. A contrario des personnes mal intentionnées pourraient coder leur twitter pour ne recevoir que des publications malsaines ou complotistes. Certains parlent de « twitter de la haine ». Comme chacun pourrait devenir son propre modérateur sur le réseau social, Twitter n’est pas à l’abri d’une utilisation personnelle malveillante de son protocole. Une fois que les utilisateurs décident d’utiliser leurs propres serveurs en utilisant les protocoles du réseau social, il sera très difficile voire impossible pour twitter d’en contrôler l’utilisation.
Twitter, dans sa volonté de dynamiser sa plateforme et de chercher de nouvelles solutions de lutte collective contre les infox, a pensé un modèle ambitieux basé sur la décentralisation et la mutualisation des données. Toutefois cet idéal peut rapidement tomber dans l’utopie et paraître irréalisable. Il faut laisser au temps l’opportunité de montrer les résultats qu’apporteront l’équipe Bluesky, mais pour l’instant restons précautionneux à propos de la faisabilité d’un tel projet.
De Laget Lucie
Master 2 Droit des médias électroniques
AIX-MARSEILLE UNIVERSITE, LID2MS-IREDIC 2020
Sources:
Sébastien Dumoulin, Twitter veut dynamiser les réseaux sociaux, Les Echos, 12/12/19
LeBigData.fr, Open Data définition : qu’est-ce que c’est ? À quoi ça sert ?