Le 18 novembre 2019, le centre national de la recherche scientifique ( ci-après CNRS ) a dévoilé sa feuille de route pour la science ouverte. Le but de cette démarche étant de fournir l’ensemble des publications du centre de recherche en libre accès courant 2020. Cette ouverture fait suite aux annonces de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal mais également à la volonté d’une grande partie de la communauté scientifique, notamment portée par Marin Dacos, chercheur au CNRS.
Plus généralement, cette démarche s’inscrit dans la logique de libre accès aux données publiques initiée par la Loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
Les motivations derrières cette mesure sont multiples. Les recherches scientifiques étant majoritairement financées par de l’argent public, l’idée est de donner l’accès à ces contenus à l’ensemble de la population, que ce soit des chercheurs, des étudiants ou de simples curieux. Permettant ainsi à chacun de consulter le fruit des recherches qu’ils ont participé à financer.
L’accès libre à ces travaux a également pour avantage de faciliter la recherche, en limitant la rétention volontaire ou non d’informations. Les publications scientifiques constituent un outil primordial pour le travail du chercheur, lui permettant de n’avoir pas à constamment « réinventer la roue » pour progresser. La science ouverte permet de connaître l’état actuel des connaissances scientifiques.
Cette connaissance étant nécessaire pour appréhender de manière efficace et rapide des problèmes d’ordre environnemental, social ou sanitaire. Ainsi dans une tribune de novembre 2019, le président directeur général du CNRS Antoine Petit rappelle que la la recherche est « une arme pour les combats du futur ».
La science ouverte face aux éditeurs privés
Dans le domaine des sciences, les éditeurs occupent une place centrale. Les principales maisons d’éditions, en situation d’oligopole dictent leurs normes. Historiquement, ces éditeurs permettaient de mettre en relations les différents scientifiques, garantissaient la qualité des articles en assurant la relecture par les pairs et permettaient la diffusion via des revues. Pour un chercheur, voir un de ses articles, synthèse de ses recherches, publié dans une revue prestigieuse lui permet d’espérer une plus grande visibilité. Cette logique s’applique autant pour les sciences dures que pour les sciences humaines.
Or aujourd’hui ces éditeurs sont la sources de vives critiques. Notamment en ce qu’il est courant que le chercheur cède ses droits d’auteurs à l’éditeur, qui pourra ensuite librement en faire commerce. Mais également qu’il en résulte un situation paradoxale. Les chercheurs, majoritairement financés par l’argent public, doivent payer des éditeurs privés pour accéder à des recherches issues du travail d’autres chercheurs eux-aussi financés par de l’argent public.
Le coût des abonnement à ces revues scientifiques augmentant constamment alors que les outils numériques ont permis une baisse drastique des coûts d’éditions. Le chiffre d’affaires des principales maisons d’éditions se chiffrant en milliards d’euros.
Pour lutter contre cette situation, la communauté scientifique a plusieurs fois appelé au boycott de ces éditeurs. Mais il reste très difficile pour les chercheurs de ne pas recourir à leurs services.
Certains ont fait le choix de l’illégalité, c’est notamment le cas d’Aaron Swartz, qui avait rendu publiques de nombreuses publications et qui est devenu un symbole de la science libre suite à son suicide. L’on peut également citer Alexandra Elbakyan, créatrice du site Sci-Hub, qui permet de consulter des articles scientifiques sans payer les éditeurs ou les chercheurs, ce site étant interdit dans de nombreux pays dont la France, en ce qu’il viole les droits des maisons d’éditions et sa créatrice condamnée à verser plusieurs millions de dollars.
En parallèle les institutions ont également réagi, notamment via des initiatives internationales visant à promouvoir le libre accès. Plusieurs archives ouvertes sont créées, ArXiv au États-Unis, HAL en France et plus récemment les recherches de la National Aeronautics and Space Administration ( NASA ).
Les États ont également légiféré sur la question. Ainsi en France depuis la loi pour une République numérique de 2016, l’article L533-4 du Code de la recherche donne la possibilité aux chercheurs financés publiquement, de publier gratuitement en ligne leurs articles dans le cas où l’éditeur ne l’aurait pas préalablement fait lui-même. Sans que l’accord de droits exclusifs à l’éditeur n’y fasse échec. La seule condition étant de respecter un délai de six mois pour les sciences dures et douze mois pour les sciences humaines.
Le libre accès aux publications scientifiques, ne signifie pas une absence de droits pour les chercheurs. Ils conservent le statut protecteur du droit d’auteur ainsi que les prérogatives qui en découlent et la mise en ligne de découvertes ne fait en aucun cas obstacle à la brevetabilité de ces dernières. L’enjeu majeur de ce bouleversement réside dans les nouveaux moyens qui seront mis en place pour évaluer le chercheur, ce qui se faisait et se fait toujours en fonction de ses publications dans des revues prestigieuses.
SOURCES :
- Article L533-4 du Code de la recherche
- Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 4e section jugement en la forme des référés le, 7 mars 2019
- La feuille de route CNRS
- A. Grondin, La Nasa publie ses recherches en accès libre sur internet, Les Echos, 22 août 2016
- S. Khoo, Boycotting Elsevier Is Not Enough, The Scientist, 22 octobre 2019
- D. Kwon, Plan S: The Ambitious Initiative to End the Reign of Paywalls, The Scientist, 19 décembre 2018
- D. Larousserie, Marin Dacos, héraut de la science ouverte, Le Monde, 4 décembre 2018
- A. Oury, Édition scientifique : les chercheurs rejettent le système traditionnel, ActuaLitté, 8 juillet 2019
- A. Petit, Tribune : La recherche, une arme pour les combats du futur, Les Echos, 26 novembre 2019
- Q. Schiermeier, US court grants Elsevier millions in damages from Sci-Hub, Nature, 22 juin 2017
- J-B. Veyrieras, Science ouverte : la révolution nécessaire, CNRS le journal, 8 janvier 2020