Lors de sa candidature à la présidence de la Commission européenne en 2019, Mme Ursula von der Leyen avait fait de la protection du mode de vie européen et de la défense de l’État de droit l’une de ses orientations politiques. Elle rappelait dans son Programme pour l’Europe que « les menaces qui pèsent sur l’état de droit ébranlent les fondements juridiques, politiques et économiques de notre Union ». Aussi, elle soutenait l’idée de mettre en place un mécanisme permettant d’assurer la protection de l’État de droit.
Cette action débute alors par l’établissement d’un rapport annuel évaluant le respect de l’État de droit au sein des États membres, dont le premier exemplaire a été publié le 30 septembre 2020 à la suite d’un travail collectif d’un an unissant la Commission et l’ensemble des États membres. Le rapport résume les développements tant positifs que négatifs des actions des États à travers quatre grands piliers : les systèmes de justice nationaux, la lutte contre la corruption, les questions institutionnelles liées à l’équilibre des pouvoirs ainsi que le pluralisme et la liberté des médias.
La défense de l’État de droit : une valeur fondatrice de l’Union européenne protégeant la liberté de la presse.
L’Union européenne a été fondée sur des valeurs communes visant à assurer la liberté, le respect des droits de l’Homme, la démocratie ainsi que l’État de droit, tel que le rappelle le deuxième article du Traité sur l’Union européenne. Dans son discours sur l’état de l’Union en 2020, la Présidente von der Leyen rappelait que :
« L’État de droit est le garant de nos droits et libertés les plus élémentaires, au jour le jour. Il nous permet d’exprimer nos opinions et d’être informés par une presse libre. »
La question du pluralisme et de la liberté des médias est fondamentale dans toute société démocratique, ces valeurs sont consacrées sur le plan international par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Elles ont par ailleurs été protégées lors de litiges auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a rappelé à de nombreuses reprises le rôle de la presse « de chien de garde de la démocratie » (Arrêt CEDH Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996).
Pluralisme et liberté des médias dans l’Union Européenne : une « pierre angulaire » qui s’érode ?
Dans son rapport, la Commission commence par rappeler que globalement les citoyens de l’Union européenne bénéficient de normes élevées protégeant le pluralisme et la liberté des médias. Elle souligne que les Constitutions nationales ou le droit dérivé protègent et consacrent la liberté d’expression, le droit d’accès et de recevoir de l’information et le pluralisme des médias.
En prélude de ses développements et en rapport avec la crise sanitaire actuelle, la Commission met en lumière le rôle important qu’ont les médias dans la lutte contre la désinformation et la fourniture d’informations vérifiées. De plus, l’institution bruxelloise s’inquiète de l’importante baisse des revenus publicitaires engendrée par la crise sanitaire, qui risque selon elle de « nuire à la force et à la diversité du secteur des médias ».
Pour pouvoir composer ce rapport, les États membres et autorités compétentes ont fourni à la Commission diverses informations sur l’indépendance des autorités de régulation, la transparence de la propriété des médias, la répartition de la publicité publique, les pressions politiques et la sécurité des journalistes.
En premier lieu, le rapport relate que le caractère indépendant des autorités de régulation est nécessaire vis-à-vis des intérêts économiques et politiques. Un risque de politisation de l’autorité nationale est soulevé pour trois États membres : la Hongrie, Malte et la Pologne. La Commission évoque aussi le manque d’efficacité de ces autorités en Bulgarie, Grèce, Roumanie, Slovénie et au Luxembourg. Cependant, un bon point est attribué à la Tchéquie qui envisage d’accroître l’indépendance de son autorité de régulation.
Quant à la transparence de la propriété des médias, de bons élèves existent comme l’Allemagne ou le Portugal qui ont des obligations nationales imposant le rendu public de l’identité des propriétaires et la divulgation publique des intérêts que détiennent les partis politiques dans les médias. En revanche, la Tchéquie, Chypre et la Bulgarie font l’objet de préoccupations par l’absence d’outil de transparence.
La Commission regrette que certains États membres n’aient aucune législation qui prévoit un encadrement transparent et équitable de la publicité publique. Est soulevé le fait que le gouvernement hongrois a exercé une « influence politique indirecte sur les médias » en accordant d’importants volumes de publicité publique à certains médias progouvernementaux. L’Autriche est pointée du doigt pour les mêmes raisons.
D’autre part, la Bulgarie, la Hongrie, Malte et la Pologne s’illustrent pour leur manque de réactivité quant aux pressions politiques exercées sur les médias : de nombreux acteurs politiques sont liés à des propriétaires de médias ce qui fait courir une menace sur le pluralisme.
La sécurité des journalistes est une question importante de ce rapport qui souligne la multiplication des attaques et des menaces physiques et en lignes, qui est de nature à créer un effet dissuasif sur les journalistes. La Commission félicite cependant certains États qui ont développé des bonnes pratiques : la Belgique a mis en place une ligne téléphonique permettant de dénoncer les agressions des journalistes, les Pays-Bas ont créé un protocole « PersVeilig » dont le but est de réduire les menaces et la violence à leur égard. La Suède a pour sa part renforcé l’efficacité des enquêtes relatives aux crimes de haine.
Une France partagée entre forte protection et augmentation des menaces.
En France, le pluralisme et la liberté des médias sont fortement protégés : la liberté de communication des pensées et des opinions est consacrée dans le bloc de constitutionnalité. Des décisions des plus hautes autorités confirment cette protection comme la célèbre « Décision entreprises de presse » rendue le 11 octobre 1984 par le Conseil constitutionnel, visant à garantir le pluralisme de la presse.
Le rapport sur l’État de droit en France rappelle que l’État soutient le pluralisme des médias grâce à un cadre juridique et institutionnel conséquent. L’indépendance légale du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) permet l’application d’un contrôle effectif des informations relatives à la propriété des médias. Les entreprises doivent rendre publics les noms des trois principaux actionnaires, et doivent aviser le régulateur de toute prise de contrôle d’une chaîne de télévision ou de radio dépassant un seuil de 10%. Le CSA fait aussi respecter la représentativité des partis politiques dans les médias et veille à leur temps d’antenne afin que le débat politique soit équitable.
Le rapport souligne qu’en France les journalistes bénéficient d’une certaine liberté éditoriale grâce à l’existence des clauses de conscience et de rupture leur permettant le cas échéant de rompre leur contrat sans préavis et sans perdre leur couverture sociale. Le secret des sources journalistiques est aussi respecté sauf exception légale.
Cependant, la montée en France des menaces envers les journalistes inquiète puisque les professionnels de la presse font depuis des années l’objet de menaces et d’attaques, aussi bien d’acteurs étatiques que non-étatiques, liées au terrorisme ou à diverses manifestations. Le rapport rappelle que 19 alertes concernant la sécurité et la protection des journalistes en France ont été émises entre 2019 et 2020 par la plateforme du Conseil de l’Europe. Cela explique l’enregistrement par le Media Pluralism Monitor d’un « risque moyen pour ce qui concerne les normes de protection des journalistes ».
Si dans l’ensemble les médias bénéficient d’une grande liberté et d’un pluralisme réel en France, reste à savoir si de nouvelles mesures seront mises en place pour protéger les journalistes qui sont la cible d’une certaine défiance mais surtout d’attaques terroristes notamment depuis 2015. Au cours de l’automne 2020, le Conseil et le Parlement européen ainsi que les parlements nationaux et autorités nationales seront amenés à examiner ce rapport et auront alors une année pour améliorer la protection de l’État de droit, du pluralisme et de la liberté des médias au sein de l’Union européenne.
FERNANDEZ Ludovic
Sources :
- Programme pour l’Europe, Mme Ursula von der Leyen, 2019.
- Rapport annuel sur la situation de l’État de droit dans l’Union européenne.
- Traité sur l’Union européenne.
- Discours de la présidente von der Leyen sur l’État de l’Union, 2020.
- Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée par la loi n°2004-669 du 9 juillet 2004.
- Rapport 2020 du Media Pluralism Monitor.
- Article L.7112-5 3° et L.7112-5 1° du Code du travail.
- Reporters sans frontières, Profil de pays : France.