Le mardi 20 octobre dernier, la justice américaine avait ouvert une procédure antitrust contre Google pour abus de position dominante sur le marché de la recherche et de la publicité en ligne. La plainte avait été déposée auprès d’un tribunal fédéral de la capitale Américaine Washington, DC. Ouvrant ainsi une affaire dont l’intitulé à lui seul laisse présager des enjeux :
UNITED STATES OF AMERICA et al v. GOOGLE LLC.
Le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley dit qu’il pourrait s’agir du « procès pour abus de position dominante le plus important en une génération ».
Ainsi, le département de la justice et la Federal Trade Commission (FTC), principale autorité fédérale en matière de concurrence, avaient ouvert l’an dernier des enquêtes visant Google, mais aussi Amazon, Apple et Facebook, soupçonnés de pratiques anticoncurrentielles pour conforter leur position sur leurs marchés respectifs. Les parlementaires américains du sous-comité antitrust de la Chambre des représentants dressaient un constat sans appel : « Ces géants qui étaient autrefois des petites start-up, remettant en question le statu quo, sont devenus le genre de monopoles que nous n’avions pas vus depuis l’ère des barons du pétrole et des magnats des chemins de fer. ».
La position dominante en droit de la concurrence est définie par un arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne « Hoffman Laroche » de 1979 comme étant une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis des concurrents, des clients et finalement des consommateurs.
Les barrières à l’entrée du marché contribuent aussi à une qualification d’entreprise dominante. Pour entrer sur le marché du « search », il faut des algorithmes aussi performants que les autres et une indexation exhaustive des contenus, ce qui va nécessiter de lourds investissements et beaucoup de recherches.
En effet, Google doit être regardé comme détenant une position dominante sur le marché du Search et de la publicité liée aux recherches. Son moteur jouit d’une forte notoriété et totalise aujourd’hui environ 90 % des recherches effectuées en France. Le géant Américain détient 80% des parts de marchés dans le domaine de la recherche en général, avec une part encore plus importante sur le marché de la recherche mobile. « Google est la passerelle vers Internet », a déclaré le procureur général adjoint Jeffrey Rosen lors d’une conférence de presse, « Il a maintenu son pouvoir par des pratiques d’exclusion qui sont nuisibles à la concurrence“, a-t-il poursuivi.
La position dominante n’est pas une infraction en soit, c’est l’objectif de toute entreprise finalement. C’est le fait d’abuser de cette position qui constitue une infraction au regard du droit de la concurrence. Ainsi, La justice américaine évoque les accords signés entre Google et d’autres géants du numérique. La plainte déposée par les États-Unis cite notamment :
- Les accords d’exclusivité, qui interdisent la pré-installation d’un moteur de recherche concurrent.
- Les accords apparentés à de la vente liée, qui forcent la pré-installation du moteur de recherche sur des smartphones.
- Les accords avec Apple pour que Google soit le moteur de recherche par défaut sur le navigateur Safari.
Le département de la justice reproche aussi à Google d’abuser de sa position dominante en privilégiant son moteur de recherche sur ses appareils et son navigateur. Ces pratiques, mêlées déjà aux barrière à l’entrée naturelles que présente ce marché, ont pour effet d’éliminer les concurrents et nuisent aux consommateurs en réduisant la qualité de la recherche (y compris sur certains aspects comme la confidentialité, la protection et l’usage des données des consommateurs).
Le marché du Search est étroitement lié au marché de la publicité en ligne, Google est dominant dans l’un, il est par conséquent dominant dans l’autre (avec Google adwords). Ainsi, « en supprimant la concurrence dans le domaine de la publicité, Google a le pouvoir de facturer aux annonceurs plus qu’il ne le pourrait sur un marché concurrentiel et de réduire la qualité des services qu’il leur fournit »[1].
Google n’est pas resté muet bien longtemps et a réagi en publiant un billet de blog. Kent Walker, en charge des affaires internationales et juridiques, y affirme que « cette procédure n’apportera aucun bénéfice aux consommateurs ». Au contraire, elle va provoquer « une augmentation des prix des téléphones et compliquer l’accès aux services »[2]. Le porte-parole de Google ajoute que « La loi antitrust américaine est conçue pour promouvoir l’innovation et aider les consommateurs, et non pour faire pencher la balance en faveur de concurrents particuliers ou pour empêcher les gens d’obtenir les services qu’ils souhaitent. Nous sommes convaincus qu’un tribunal conclura que cette poursuite ne correspond ni aux faits ni à la loi »[3].
Ainsi, le procès qui va suivre s’annonce historique pour Google, mais également pour tous les géants du numérique. Car si la justice américaine estime que Google entretient son monopole en favorisant ses services et bloque la concurrence, pourquoi Microsoft serait épargné lorsqu’il préinstalle Microsoft Edge sur nos PC ? Pourquoi Apple serait épargné lorsqu’il oblige les développeurs à passer par l’App Store et ses 30 % de commission pour distribuer leurs applications ? Une affaire qu’il faudra suivre de très près et dont les conséquences pourraient être majeures pour l’ensemble des géants du numérique….
[1] plainte déposée par la justice américaine – et par 11 procureurs généraux d’États américains – contre GOOGLE LLC, le 20 octobre 2020.
[2] www.Usine Digitale.fr
[3] idem