Alors que le réseau 4G est encore absent de certaines zones du territoire français, notamment rurales, il se peut que la Lune connaisse cette technologie bien avant. En effet, le 14 octobre 2020, l’agence spatiale américaine, connue sous le nom de la NASA (National Aeronautics and Space Administration), a officiellement confié pour mission à l’entreprise multinationale de télécommunications finlandaise Nokia d’installer le tout premier réseau LTE/4G sur la Lune d’ici à 2022.
L’installation d’un réseau 4G sur la Lune : Une mission confiée dans le cadre du programme Artemis orchestré par la NASA
La mission de déploiement d’un réseau 4G sur la Lune trouve sa justification première dans le projet porté par la NASA baptisé « Artemis », initié sous la présidence de Barack Obama et vivement conforté sous la présidence de Donald Trump. Ce programme spatial possède une double ambition qu’est d’une part, une présence humaine durable de la Lune d’ici à 2024 et d’autre part, une exploitation des connaissances acquises sur et autour de cet astre dans l’objectif ensuite d’envoyer des astronautes sur Mars. Pour ce faire, ce projet aura lieu en trois étapes. D’abord, lors de la première étape « Artemis I » prévue pour 2021, aura lieu un premier vol sans équipage pour tester le lanceur Space Launch System et le vaisseau spatial Orion. La deuxième mission « Artemis II », planifiée pour 2023, consistera en un vol essai d’une dizaine de jours avec équipage durant lequel celui-ci devra valider les systèmes de communications et de navigation et s’assurer en outre que le système de survie est fiable. Enfin, si les deux missions précédentes ont eu le succès escompté, aura lieu en 2024 l’ultime étape « Artemis III » qui projète d’envoyer la première femme et le prochain homme sur la surface lunaire pour la première fois depuis 1972.
L’édification d’un tel programme est rendue possible grâce au large panel de partenaires commerciaux nationaux et internationaux choisis par la NASA, ceux-ci œuvrant au développement des technologies nécessaires à l’exploration lunaire envisagée. Parmi ces plus gros équipements physiques, nous retrouvons le Centre spatial Kennedy spécialement modernisé pour la mission, la fusée Space Launch System qui enverra humains et marchandises sur la Lune, accompagnée de la capsule Orion à son sommet qui transportera l’équipage jusqu’à la mini-station en orbite lunaire Gateway. Sur cette passerelle, aura préalablement été livré l’alunisseur, c’est-à-dire le système d’atterrissage, chargé d’amener l’équipage sur la surface lunaire et de le ramener en orbite lunaire.
Toutefois, ce programme qui tend vers une expédition humaine durable de la Lune ne peut être effectif qu’à la condition qu’il y ait de solides infrastructures de communications et de navigation spatiales. Parmi elles, la mise en service d’un réseau est essentielle dans la communication permanente entre les astronautes et la Terre et les astronautes entre eux et dans l’utilisation d’un certain nombre d’applications par les astronautes pour l’accomplissement de leur mission. C’est ainsi que l’agence spatiale américaine a choisi de faire confiance à l’entreprise Nokia en lui octroyant un budget conséquent de 14, 1 millions de dollars pour déployer le premier réseau LTE/4G sur la surface lunaire.
Le réseau 4G lunaire sous son angle technique
Ce sont précisément les innovations de Nokia Bell Labs, laboratoires appartenant au centre de recherche et de développement d’Alcatel-Lucent racheté par Nokia en 2016, qui seront utilisées dans le déploiement et la construction du réseau. Dans un communiqué de la firme Nokia en date du 19 octobre 2020, le directeur de la technologie chez Nokia et président de Nokia Bell Labs, Marcus Weldon, a déclaré qu’ « En construisant la première solution de réseau sans fil haute performance sur la Lune, Nokia Bell Labs plante à nouveau le drapeau de l’innovation pionnière au-delà des limites conventionnelles. ».
L’entreprise finlandaise, au sein du même communiqué, dresse le paysage des technologies qui seront mises en œuvre dans l’élaboration de ce réseau lunaire.
D’abord, elle entend se doter d’une station de base LTE équipée d’un réseau cœur appelé EPC (Evolved Packet Core), d’un équipement utilisateur, d’antennes RF et d’un logiciel de contrôle d’exploitation et de maintenance à haute fiabilité. L’entreprise de télécommunications a fait le choix de la technologie 4G (quatrième génération de téléphonie mobile)/LTE (Long Term Evolution faisant référence à la technologie des réseaux sans fil), d’une part car la technologie LTE est utilisée et déployée dans le monde entier depuis un certain temps et qu’il demeure une multitude de fournisseurs de technologies et de composants utiles à ce domaine et, d’autre part, du fait que les communications commerciales standards et notamment la 4G soient « matures, prouvées fiables et robustes, facilement déployables et évolutives ». La firme prévoit que le réseau déployé sur la Lune sera capable d’accueillir la 5G.
En outre, Nokia a pris soin d’étudier le réseau pour que celui-ci puisse répondre aux conditions imposées d’un décollage de fusée et d’un atterrissage lunaire ainsi qu’aux conditions environnementales périlleuses de la vie sur la Lune. Des paramètres tels que la puissance, le poids, la taille, l’efficacité opérationnelle et la fiabilité seront alors revisités.
Enfin, quant au déploiement de la technologie, celui-ci se fera via l’alunisseur de la société américaine Intuitive Machine avec qui Nokia s’est associée. Il est prévu que le réseau s’auto-configurera lors du déploiement.
Le réseau 4G lunaire pour une présence humaine à long terme sur la Lune
Marcus Weldon, au sein du communiqué précité, indique que « Des réseaux de communications fiables, résilients et de grande capacité seront essentiels pour soutenir une présence humaine durable sur la surface lunaire. », sans oublier que ces innovations, outre le fait qu’elles soient vitales dans les opérations lunaires projetées, ont vocation seconde à permettre une future mission sur la planète rouge.
Le réseau qui sera établi par l’entreprise finlandaise a plusieurs finalités. Premièrement, le réseau fournira « des capacités de communication pour de nombreuses applications de transmission de données différentes, y compris des fonctions vitales de commande et de contrôle, le contrôle à distance des rovers lunaires, la navigation en temps réel et la diffusion en continu de vidéo haute définition », exprime Nokia au sein de son communiqué. Deuxièmement, le réseau fournira une connexion sans fil pour toutes les activités que les astronautes effectueront dans le cadre de leur travail. Cette connectivité permettra les communications vocales et vidéo, l’échange de données télémétriques et biométriques et offrira enfin la capacité de déployer et de contrôler des charges utiles robotiques et des capteurs.
En espérant que la récente élection de Joe Biden en tant que 46ème Président des États-Unis ne contrevienne pas aux plans élaborés par la NASA, ceux-ci ayant largement été encouragés et même avancés sous l’impulsion de l’ancien Président américain Donald Trump.
La cadre juridique de la Lune en danger ?
Cette nouvelle exploration spatiale pose inévitablement la question de la propriété de la Lune et plus largement des corps célestes et de l’exploitation de leurs ressources.
C’est après la course à l’espace, événement majeur de la guerre froide, que le droit international s’est saisi de la question du statut juridique de la Lune. Les grands principes régissant le cadre juridique de la Lune et des autres corps célestes sont posés par deux textes internationaux adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies : d’une part, le Traité de l’espace du 27 janvier 1967 largement ratifié au plan mondial et notamment par l’ensemble des principales puissances spatiales (États-Unis, Russie, Chine, France et Japon) et d’autre part, l’Accord sur la Lune établi en 1979 venu compléter le précédent traité mais signé par peu d’États et aucune puissance spatiale.
Le Traité de l’espace, texte majeur en la matière, affirme le principe de liberté d’exploitation et d’utilisation de la Lune et des autres corps célestes, lequel permet de mettre en place le libre et égal accès de tous les États aux activités spatiales ainsi que la liberté de la recherche scientifique. Il découle naturellement de cette liberté d’exploitation et d’utilisation le principe de non-appropriation de la Lune qui prohibe toute revendication de propriété de la Lune par un État ou encore à titre purement privé (Art. 2). Des limites s’imposent toutefois aux opérations spatiales menées par les États. Parmi elles, les activités spatiales doivent satisfaire aux principes généraux du droit international. Sont ainsi exigées une utilisation pacifique de l’espace (Art. 4) qui se traduit par l’interdiction de la mise en orbite de tout type d’armes de destruction massive ainsi qu’une coopération internationale (Art. 1) qui veut que toute exploration de la Lune et autres corps célestes se fasse dans l’intérêt de tous les pays.
L’Accord de 1979, lui, est venu classer la Lune, les corps célestes et leurs ressources naturelles au rang de « patrimoine commun de l’humanité » et dispose que les États s’engagent à établir « un régime international régissant l’exploitation des ressources naturelles de la Lune lorsque cette exploitation sera sur le point de devenir possible » (Art. 11). Les États-Unis n’étant pas partie à cet accord, quid de l’exploitation des ressources naturelles de la Lune dans le cadre du programme Artemis?
En 2015, les États-Unis adoptent la loi SPACE Act qui autorise les entreprises américaines impliquées dans la récupération des ressources spatiales à se prévaloir de celles-ci et donc à les commercialiser. La puissance américaine assure avec conviction que le principe de non-appropriation de la Lune posé par le Traité de l’espace n’interdit pas l’appropriation des ressources de cette dernière. On comprend alors que la course aux ressources spatiales est lancée par les États-Unis. En sus de cette législation, un décret présidentiel du 6 avril 2020 vient consacrer la position juridique adoptée par le SPACE Act et marque la volonté de trouver des positions communes sur l’exploitation des ressources spatiales avec les autres pays.
S’en sont suivis les Artemis Accords (accords Artemis) de la NASA pris dans le cadre du programme Artemis dont l’objectif, dit-elle, est de « renforcer et mettre en œuvre le traité de 1967 sur les principes de coopération communs régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique » et ce dans un objectif pacifique. L’épineuse question de l’exploitation des ressources spatiales est à l’évidence évoquée par ces accords. A ce jour, la collecte de la signature des États par l’agence spatiale américaine n’a pas eu le résultat espéré, celle-ci espérant voir davantage d’États prendre part à ces accords et notamment les grandes puissances spatiales.
Les Artemis Accords, en comblant certains vides juridiques du Traité de l’espace, viendront sûrement créer de nouvelles normes juridiques concernant les activités spatiales, chose plutôt embarrassante, l’ONU (Organisation des Nations unies) étant théoriquement le cœur de l’élaboration de cette réglementation.
Sources :
- ARTEMIS – HUMANITY’S RETURN TO THE MOON, NASA, https://www.nasa.gov/specials/artemis/
- Nokia, Communiqué « Nokia selected by NASA to build first ever cellular network on the Moon », Nokia, https://www.nokia.com/about-us/news/releases/2020/10/19/nokia-selected-by-nasa-to-build-first-ever-cellular-network-on-the-moon/, 19 octobre 2020
- WELDON (M.), Communiqué « Nokia selected by NASA to build first ever cellular network on the Moon », Nokia, cf lien ci-dessus, 19 octobre 2020
- KLEIN (T.), « Fly my network to the Moon », Nokia Bell Labs, https://www.bell-labs.com, 26 octobre 2020
- DECOURT (R.), « La Nasa confirme qu’elle se posera sur la Lune en 2024 », Futura sciences, https://www.futura-sciences.com/sciences/, 25 septembre 2020
- DECOURT (R.), « Tout l’intérêt du programme Artemis est de “préparer une première mission à destination de Mars” », Futura sciences, https://www.futura-sciences.com/sciences/, 25 septembre 2020
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, adopté le 19 décembre 1966, ouvert à la signature le 27 janvier 1967, entré en vigueur le 10 octobre 1967
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes, adopté le 5 décembre 1979, ouvert à la signature le 18 décembre 1979, entré en vigueur le 11 juillet 1984
- LESAGE (N.), « À quoi servent les accords Artémis de la Nasa? », Numerama, https://www.numerama.com, 13 mai 2020
- MARIEZ (J.), « A qui appartient la Lune et ses ressources naturelles? », L’édition du soir par Ouest-France, https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/, 15 juillet 2020
- TUMANYAN (A.), « Quel est le statut juridique de la Lune? », SpaceLaw, https://www.spacelaw.fr, 31 janvier 2019
- États-Unis, SPACE Act de 2015, adopté et entré en vigueur le 25 novembre 2015
- États-Unis, Décret exécutif pour encourager le soutien international à la récupération et à l’utilisation des ressources spatiales, 6 avril 2020
- États-Unis, NASA, accords d’Artemis, ouverts à la signature le 13 octobre 2020