Après de longues batailles légales, sociales, européennes et internationales, l’année 2006 sera la dernière pour la publicité du tabac en Formule 1. En effet, la FIA ( Fédération Internationale de l’Automobile ) l’instance régulatrice du sport, s’est engagée publiquement, en 2001 puis 2003, à bannir définitivement, dès le premier octobre 2006, tout parrainage du tabac dans la discipline automobile, conformément à la convention cadre pour la lutte anti-tabac de l’OMS ( l’organisation mondiale de la santé ).
Mais la publicité des cigarettes est étonnement de retour. Une étude, publiée le 29 juillet 2020 et dirigée par le magazine Formula Money ainsi que l’organisation non gouvernementale STOP ( Stopping Tobacco Organizations & Products ), a révélé que les entreprises PMI ( Philip Morris International ) et BAT ( British American Tobacco ) ont réinvesti le sport en 2019 et forment des partenariats approchant la centaine de millions de dollars avec les équipes prestigieuses de Formule 1, Ferrari et McLaren. Cette somme devrait atteindre cent quinze millions en 2020.
Pour la Scuderia Ferrari le nom « Mission Winnow » est présenté sur la livrée de la voiture de 2019 et 2020 ainsi que sur les combinaisons des pilotes. Il s’agit d’un logo en forme de triangle sur fond rouge ressemblant étrangement à un paquet de cigarette Marlboro.
« Mission Winnow » est une organisation liée à PMI qui a pour objectif de « conduire le changement en recherchant constamment de meilleures façons de faire les choses ». L’objectif de l’organisation est volontairement flou. L’organisation encourage aussi la transformation de « non seulement notre société, mais tout un secteur pour les 1,1 milliard de fumeurs et ceux qui les entourent ». L’organisation fait allusion aux nouvelles alternatives « sans fumée », les cigarettes électroniques.
Pour l’équipe McLaren, le slogan « A Better Tomorrow » est apposé sur la formule 1 et l’équipement des pilotes pour les saisons 2019 et 2020, ce logo appartient à une filiale de BAT qui ne cache pas son objet social, les cigarettes électroniques. Elle fait la promotion du glo, un produit du tabac qui ne brûle pas mais chauffe.
Ces pratiques vont à l’encontre de la convention cadre de l’OMS de 2003 interdisant la publicité pour le tabac. La convention énonce dans son article 13 « une interdiction globale de toute publicité en faveur du tabac et de toute promotion et de tout parrainage du tabac. Cette interdiction […] inclut l’interdiction globale de la publicité, de la promotion et du parrainage trans-frontières à partir de son territoire. »
En France, l’article L3512-4 du code de la santé publique interdit « Toute opération de parrainage […] lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients … »
Alors pourquoi de tels partenariats sont-ils toujours présents en Formule 1 ?
Depuis les débuts de la Formule 1, plus de quatre milliards de dollars ont été investis par les cigarettiers dans le sport. La Formule 1 a une longue histoire de partenariats avec les grandes marques de cigarettes. En 1988, l’année qui verra naître probablement la plus grande rivalité du sport, Ayrton Senna rejoint Alain Prost chez McLaren-Honda et gagne le championnat du monde dans un combat épique face au pilote français déjà sacré double champion. La voiture, ainsi que les combinaisons sont recouvertes du sponsor Marlboro. Le monde du tabac bénéficie encore aujourd’hui, à travers ces moments inoubliables de l’histoire de la Formule 1, de ces partenariats. Les cigarettiers ne veulent pas abandonner ce marché très lucratif.
Le rapport précise qu’en 2019 ces investissements ont rapporté cent cinquante millions de dollars à Mission Winnow et vingt sept millions et six cent mille dollars à BAT. En 2020, BAT a quasiment doublé la publicité des alternatives du tabac sur la voiture et la combinaison des pilotes en étant désormais partenaire principal. Les profits sont donc conséquents, PMI et BAT ont un très bon retour sur investissement.
Ces investissements sont loin d’être hasardeux. Le public du sport automobile est la cible rêvée des cigarettiers. La formule 1, en analysant la période 2019 – 2020, est composée de 62% de fans en dessous de l’âge de 35 ans. « Faire de la publicité pour ces produits attire de nouveaux fumeurs, spécialement les jeunes, ce qui cause un préjudice aux générations futures », déclare le docteur Rüdiger Krech, médecin de l’OMS. Il ajoute que « nous ne devons pas revenir en arrière dans la lutte contre le tabac », qui tue plus de sept millions de personnes chaque année dans le monde selon les chiffres de l’OMS.
La saison 2019 a vu le retour des partenariats avec les cigarettiers, la saison 2020 a confirmé leur intention de rester durablement dans le sport.
L’industrie du tabac profite d’un manque de recul sur les recherches scientifiques des nouveaux produits et dérivés du tabac. BAT et PMI se tournent donc vers ce nouveau marché.
Il n’existe pas de législation commune contre la publicité du tabac des pays accueillant la Formule 1 sur leurs territoires. En France, l’article L3512-6 du code de la santé publique assure que « La retransmission des compétitions de sport mécanique, contenant de la publicité directe ou indirecte en faveur des produits [ du tabac ] et qui se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée, peut être assurée par les chaînes de télévision. »
Dans certains pays, la législation autorise la publicité du tabac à la télévision. Les pays qui sont plus fermes sur la publicité du tabac veulent tout de même pouvoir diffuser la compétition à la télévision et accueillir les courses sur leurs territoires. Les cigarettiers en profitent pour s’imposer.
Le retour déguisé des géants de la cigarette n’est pas passé inaperçu :
À l’arrivée des cigarettiers, le département de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne a immédiatement annoncé une enquête sur ces nouveaux partenariats. Dès mars 2019, avant le premier grand prix de la saison, l’OMS a rappelé au monde entier que les lois nationales interdisant la publicité du tabac devaient être appliquées « de la manière la plus forte possible ». L’OMS enjoint aussi la FIA qui déclare qu’elle « restait fermement opposée à la publicité en faveur du tabac et continue à se tenir à ses recommandations de 2003 » mais qu’elle n’est « toutefois pas dans une position où [elle pourrait] interférer avec les accords commerciaux privés entre les écuries et leurs sponsors ». Une position vivement critiquée car trop tolérante.
L’enquête a d’ailleurs révélé que « Mission Winnow » avait été enregistrée en tant que marque par PMI dans la catégorie « produit du tabac » entre autres.
La première course étant à Melbourne, le ministère de la santé australien, qui est très ferme dans la lutte contre le tabac, a enquêté aussi. Ces enquêtes ont conduit PMI à abandonner la marque à l’ouverture de la saison mais elle sera de retour dès le deuxième grand prix. Une lutte va démarrer et perdurer tout au long de la saison suivant les pays d’accueil de la course. Finalement, « Mission Winnow » apparaîtra dans dix des vingt et un grands prix, la plupart des pays européens n’acceptant pas ce logo.
BAT sera beaucoup plus habile dans son partenariat publicitaire. Le cigarettier dispose de plusieurs marques sur de nombreuses alternatives au tabac comme Lyft, Vuse, Vype, Velo avec ces slogans « A Better Tomorrow » et « Accelerating Transformation ».
Au vu des restrictions contre la publicité du tabac et des nombreuses enquêtes ouvertes contre PMI, BAT choisit, avec beaucoup de prudence et de subtilité, de ne pas afficher l’ensemble de ses marques pour tout les grands prix. En effet, en 2019, sa marque de vapotage Vype est apparue à Bahreïn, en Azerbaïdjan, à Monaco et au Mexique. Vuse fera son apparition aux Etats-Unis, Lyft apparaîtra en Espagne, Autriche, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie et Russie, et les slogans « A Better Tomorrow » et « Accelerating Transformation » sont apparus respectivement en Chine et à Abu Dhabi. Cette pratique rend l’interdiction de la publicité des marques des cigarettiers bien plus difficile.
En cette période de pandémie mondiale, la lutte contre le tabac risque de passer en second plan. PMI et BAT disposent d’équipes d’avocats performantes, habituées aux batailles juridiques de la lutte contre le tabac, il faudra donc redoubler d’effort pour bannir définitivement les cigarettiers de la catégorie « reine » du sport automobile.
Maxime Dannière
Sources :
MARTINET Y., « Retour de la publicité du tabac en Formule 1 », 2020, ( www.cnct.fr )