Première mondiale, le 15 novembre dernier, Newen, la société de production de Plus Belle la vie, a annoncé recourir à la technique numérique du deepfake pour remplacer la comédienne Malika Alaoui atteinte du Covid-19. Mi-octobre, l’application de messagerie Telegram a diffusé plus de 100 000 images de faux nus interchangeant le visage de femmes inconnues avec des corps d’actrices pornographiques. Bien que ce phénomène de deepfake, appelé hypertrucage en français, a de nombreuses conséquences, il n’en demeure pas moins l’un des meilleurs subterfuges pour remplacer une personne.
Le deepfake, qu’est-ce que c’est ?
Le deepfake, contraction entre deep learning et fake news, est le fruit de l’émergence accrue de l’intelligence artificielle avec la potentialité d’une création quasi-infinie par les technologies. Autrement dit, c’est une méthode permettant de remplacer le visage d’une personne par un autre. Pour arriver à cette illusion parfaite, la machine absorbe un visage sous toutes ses coutures et l’intègre ensuite à l’image originale. Aujourd’hui, les prouesses techniques sont telles qu’il est parfois très difficile de faire la part du vrai du faux, et seuls quelques chercheurs habilités y parviennent.
C’est justement avec cette supercherie numérique que de nombreuses problématiques sont posées car rien est sans répercussions.
Un trucage qui a deux lourdes conséquences
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La diffusion aisée de fausses informations
Cette technique du deepfake permet de faire dire à n’importe qui n’importe quoi, des fausses informations sont alors facilement véhiculées. La loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information dite « loi anti fake news » empêche de fait toute diffusion d’informations falsifiées qu’elles nuisent à autrui ou non. Cependant, force est de constater qu’il est de plus en plus difficile de contrôler les répercussions d’une vidéo ou d’un discours oral non prononcé par la personne en question.
Par ailleurs, en 2018, une vidéo d’alerte avait été réalisée par Jordan Peele montrant Barack Obama insultant le président des États-Unis, Donald Trump. La visée était purement pédagogique, ces paroles n’ont jamais été prononcées puisque c’est le réalisateur lui-même qui parlait. L’objectif était de démontrer que ce qui circule sur internet n’est pas toujours vrai et que la vigilance doit rester de mise. Ces fausses vidéos témoignent de la capacité excessivement simple de manipulation des opinions publiques. Il est alors très facile de tenir des discours de propagande voire même de terrorisme en remplaçant le corps de quelqu’un tenant ces propos par un politicien. D’autant plus que les applications pour réaliser des deepfakes se démocratisent, la plus connue restant FakeApp pour sa prise en main très accessible.
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L’émergence du deepfake porn
Nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours et les faussaires d’images ont su faire foi de l’utilisation des deepfakes à leur bénéfice. Ils sont alors devenus une arme par le biais du revenge porn, c’est-à-dire le fait de diffuser publiquement un contenu pornographique, photos ou vidéos, dans un but d’humiliation et ce sans le consentement de la personne concernée. Cette pratique a été condamnée par l’ajout, via la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, d’un article 226-2-1 dans le Code pénal renforçant les sanctions pénales. Le caractère sexuel est donc devenu une circonstance aggravante à tout délit de transmission de propos, de vidéos ou de photos portant atteinte à la vie privée.
Que ce soit sur internet, à travers les réseaux sociaux ou dans la vie réelle, la réputation de la personne qui se retrouve avec ce contenu publié est forcément entachée. Sauf qu’avec la technologie afférente au deepfake, cela va encore plus loin avec l’émergence de ce que l’on a appelé le deepfake porn. C’est la même méthode que le revenge porn sauf que la personne n’a jamais réalisé le contenu en question, c’est un montage. Outre une atteinte au droit à l’image des personnes physiques ressortissant de l’article 9 du Code civil, il y a une atteinte à la réputation. Quiconque a sa photo sur les réseaux sociaux peut se retrouver malencontreusement avec un deepfake compromettant et c’est là un danger aux conséquences terrifiantes.
Des solutions mises en place pour contrôler ce fléau
Il existe pourtant des moyens prévus par les réseaux sociaux pour lutter contre cette pratique et son aisance de réalisation. Twitter avait décrété qu’à partir du 5 mars 2020, tout type de média falsifié sera mentionné comme tel voire supprimé s’il porte atteinte à la réputation d’autrui. En septembre dernier, dans la continuité du « Democracy Defending Program » luttant contre la désinformation et les deepfakes, Microsoft a dévoilé deux nouveaux outils, une intelligence artificielle pouvant détecter les vidéos truquées tout en donnant le taux de confiance image par image et une certification des contenus. Des campagnes de sensibilisation sont prévues afin d’attirer l’attention des Américains aux informations qu’ils postent et partagent. Très récemment, c’est Facebook qui se lance par le biais de son concours « Deepface Detection Challenge » pour créer des technologies et des logiciels capables de détecter tout maniement de ce système. Enfin, il y a quelques jours Adobe a annoncé que désormais sur Photoshop les créateurs de contenus pourraient intégrer des données d’auteur sécurisées et donc empêcher a posteriori la création de deepfakes par l’utilisation de ces images.
Ne nous leurrons pas, l’écueil reste grand, certains contenus réalisés en deepfake n’ont pour visée que le divertissement et non une retombée perverse, et c’est là que le futur de la création entrouvre ses portes.
Un bel avenir pour la supercherie se dessine…
Pendant le premier confinement, l’application Doublicat a permis à de nombreux utilisateurs de remplacer le visage d’un acteur ou d’un chanteur dans le support original par le leur puis de le publier sur Instagram. Ce 21 octobre, Kanye West a offert à son épouse Kim Kardashian l’hologramme de son père décédé en 2003 lui souhaitant bon anniversaire. La technologie du deepfake flirte avec la vie éternelle puisque tout à chacun pourrait « parler » après sa mort.
Ces faits anecdotiques montrent que le phénomène du deepfake n’en est pas encore à son paroxysme. Un acteur de cinéma peut désormais se faire remplacer virtuellement aisément, et même si la firme Marvel a refusé de digitaliser Chadwick Boseman pour le prochain Black Panther, il n’en demeure pas moins que les possibilités sont nombreuses. Si même une série nationale se permet de le faire sous argument de la pandémie, il ne serait pas étonnant que cette pratique devienne monnaie courante dans le cinéma pour pallier à l’absence des comédiens avec toutes les problématiques juridiques qui en découlent.
Les deepfakes sont peut-être un petit pas pour la création numérique mais ils sont un grand pas vers le danger…
Sources :
- « Ces chercheurs débusquent les deepfakes grâce aux mouvements incohérents du visage », 01net, 25 octobre 2020, 01net.com
- « Deep Learning, Definition », Futura Tech, futura-sciences.com
- HAMON-BEUGIN (V.), « Deepfake, vidéos falsifiées… Quelle politique appliquent les différents réseaux sociaux ? », Le Figaro, 6 février 2020, lefigaro.fr
- HOLUBOWICZ (G.), « Les deepfakes, une “arme d’illusion massive” ? », La revue des médias, 16 octobre 2020, larevuedesmedias.ina.fr
- HUOT (A.), « Et si on s’offrait des deepfakes pour Noël ? », L’ADN, 30 octobre 2020, ladn.eu
- « Internet : les deepfakes, comment ça marche ? », France Info, 12 septembre 2019, francetvinfo.fr
- « Les “deepfakes”, ces fausses vidéos créées pour nous influencer », The Conversation, 20 février 2020, theconversation.com
- « Microsoft lance un outil pour débusquer les deepfakes », Futura Tech, 5 septembre 2020, futura-sciences.com
- RAY (T.), « Adobe veut lutter contre les deepfakes en authentifiant les auteurs », ZDNet, 21 octobre 2020, zdnet.fr
- « Une actrice de Plus belle la vie positive au Covid19 remplacée grâce au “deep fake” : 4 questions sur ce turcage novateur », France Info, 15 novembre 2003, france3-regions.francetvinfo.fr