La première Journée internationale contre la violence et le harcèlement en milieu scolaire, y compris le cyberharcèlement, s’est tenue le 5 novembre dernier. Face à l’urgence de la situation mondiale, les États membres de l’UNESCO ont décidé de dédier chaque premier jeudi de novembre à la lutte contre ce fléau. A noter, la France y consacrait déjà une journée nationale au cours du même mois depuis 2015. Cet évènement a été l’occasion de revenir sur les chiffres de ce phénomène et d’apporter des réponses aux questions récurrentes de ces derniers mois.
Quel est l’impact de la pandémie Covid-19 sur le harcèlement et le cyberharcèlement scolaires ? A-t-elle diminué ou favorisé ces phénomènes ? Quel doit être le rôle des réseaux sociaux ? Quelle est la position du législateur français ?
Le harcèlement et le cyberharcèlement scolaires : des chiffres accablants
Cette première journée internationale a permis de rappeler que ces phénomènes sont de plus en plus présents et préoccupants. Selon les chiffres partagés par le ministère de l’Éducation nationale, au moins 5 à 10% des élèves français sont touchés chaque année (cela concerne 700 000 enfants et adolescents). Aucun collège ou lycée n’est épargné.
« Un adolescent sur dix dit avoir déjà été victime de cyberharcèlement », a déclaré Justine Atlan, directrice générale de l’association e-Enfance. A ce stade, on peut affirmer que ce fléau s’est banalisé.
Dans un rapport récent de 2019 intitulé « Derrière les chiffres : en finir avec la violence et le harcèlement à l’école », l’UNESCO a également communiqué des données inquiétantes :
- Un enfant sur trois est victime de violence ou de harcèlement en milieu scolaire ;
- Plus de 30% des élèves dans le monde sont victimes de harcèlement ;
- Les punitions corporelles sont toujours autorisées au sein des écoles dans 67 pays, etc.
Ces phénomènes prennent des formes variées (violences physiques ou psychologiques, insultes, menaces, etc.) et peuvent avoir de graves répercussions (échec scolaire, isolement, etc.) pouvant aller jusqu’au suicide. Dans la majorité des cas, il s’agit d’actes commis par des camarades de classe. Mais cela peut aussi venir du corps enseignant dans une plus faible proportion.
C’est dans ce contexte que le ministère français de l’Éducation et l’UNESCO ont organisé le 5 novembre une conférence internationale en ligne sur la lutte contre le harcèlement entre élèves, à laquelle le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a participé.
La hausse considérable du cyberharcèlement avec la crise sanitaire Covid-19
Le harcèlement via internet, appelé cyberharcèlement, avait déjà pris de l’ampleur ces dernières années avec la multiplication des réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat, TikTok, etc.). Or, ce phénomène s’est intensifié pendant la crise sanitaire liée au coronavirus.
Le harcèlement dans les cours de récréation a disparu avec le confinement et la fermeture des établissements scolaires mais il s’est reporté en ligne. En effet, Justine Atlan signale que la plateforme Net Ecoute a enregistré une hausse de 30% des appels pour des faits de cyberviolence et cyberharcèlement pendant le confinement. On peut notamment citer les cas d’élèves déclarés positifs à la Covid-19 sur les réseaux sociaux, ce qui a suscité des moqueries et un rejet de la part de certains camarades. La rentrée n’a pas atténué ce phénomène avec 26% de cas supplémentaires en septembre par rapport à 2019. La directrice générale de l’association e-Enfance craint que les usages numériques aient pris plus d’importance depuis la pandémie.
De plus, cette augmentation du cyberharcèlement est étroitement liée à l’intensification des outils numériques (rançongiciel, chantage à la webcam, etc.) durant la crise sanitaire et le confinement. Pour plus de détails sur le sujet, se référer à l’article « Cybermoi/s 2020 : la lutte contre le chantage numérique » de Marie Sanchez.
Que faire face à l’accélération des phénomènes de harcèlement scolaire ?
L’augmentation continue des cas de harcèlement et cyberharcèlement scolaires est inacceptable. Encore aujourd’hui, beaucoup d’élèves n’osent pas en parler par peur de représailles, de ne pas être pris au sérieux ou par honte. Dans un communiqué, Audrey Azoulay, la directrice générale de l’UNESCO, a précisé que « trop de gens pensent que le harcèlement en milieu scolaire, y compris le cyberharcèlement, est un rite de passage normal et inoffensif à l’âge adulte et que l’on ne peut faire grand-chose pour l’arrêter ».
Ainsi, le dialogue, la prévention, le soutien des victimes et la formation des enseignants sont indispensables. Porter plainte est également possible dans certains cas.
Pour impliquer les élèves eux-mêmes dans les campagnes de sensibilisation contre le harcèlement, le ministère de l’Éducation nationale a créé un prix « mention coup de cœur des professionnels de la communication » en 2017, attribué chaque année par un jury à la meilleure création (affiche ou vidéo).
De nombreux dispositifs ont aussi été créés, tels que :
- Des applications mobiles (Bodyguard par exemple) qui permettent de bloquer certains contenus haineux sur les réseaux sociaux ;
- Des numéros d’écoute et de conseils, anonymes, confidentiels et gratuits : le 3020 « Non au harcèlement » et le 0800 200 000 « Net écoute », dédié spécifiquement au cyberharcèlement ;
- Des mécanismes de signalement sur les réseaux sociaux. A ce propos, quel est leur rôle ?
Le rôle décisif des réseaux sociaux
Dans une vidéo tournée à l’occasion de cette journée de mobilisation mondiale contre le harcèlement et le cyberharcèlement scolaires, postée sur le compte Instagram du président de la République française Emmanuel Macron, la première dame regrette l’inaction des réseaux sociaux. Dans ce post très relayé de plusieurs minutes, cette ancienne professeure de français lit le message poignant d’une élève victime d’harcèlement scolaire.
« Les réseaux sociaux, dans leur grande majorité, n’ont toujours pas eu de réaction à la hauteur du problème. Ils se grandiraient à signaler un enfant ou un adolescent en danger, à supprimer immédiatement les contenus haineux et infamants, à dénoncer les menaces. Ils savent ce qu’ils ont à faire. Pourquoi ne le font-ils pas systématiquement ? », déplore Brigitte Macron.
Le rôle des réseaux sociaux est également très discuté depuis l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre dernier. Il s’agit d’un contexte différent mais une même question peut se poser : les réseaux sociaux sont-ils juridiquement responsables ?
L’article 6, modifié, de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) dispose que le principe est celui de l’irresponsabilité des hébergeurs. En cas de cyberharcèlement, les responsables sont les auteurs des propos litigieux.
Cependant, à chaque règle son exception, et la responsabilité civile ou pénale des hébergeurs peut être engagée dans les deux cas suivants :
- L’hébergeur avait connaissance du contenu illicite dès sa publication ;
- Le contenu illicite a été notifié à l’hébergeur mais il n’a pas agi promptement pour le retirer.
Toujours selon l’article 6 de la LCEN, la connaissance des faits litigieux par l’hébergeur est présumée acquise lors de la notification. Cette dernière suppose la mise en place d’un mécanisme de signalement des contenus sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un formulaire comprenant notamment la date de notification, la description du contenu litigieux et les motifs pour lesquels on pense que ce dernier est illicite.
Par conséquent, les réseaux sociaux ne sont pas dégagés de toute responsabilité et doivent agir !
Quelle est la position du législateur français contre le harcèlement et cyberharcèlement scolaires ?
En France, il y avait un vide juridique concernant le harcèlement scolaire. Seuls les faits de harcèlement moral au sein du couple ou dans le cadre du travail étaient prévus dans le Code pénal. Cependant, la loi du 4 août 2014 a ajouté l’article 222-33-2-2 au sein du même code qui dispose que tout fait de harcèlement est un délit punissable d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le cyberharcèlement est donc également visé par cette infraction.
Mais face à la multiplication des phénomènes de groupe sur les réseaux sociaux, l’article 222-33-2-2 du Code pénal a été modifié par la loi du 3 août 2018, dite « loi Schiappa ». Le harcèlement de meute a été ajouté. Pour plus de précisions, je vous renvoie à l’article de Virginie Anquetil qui évoque le harcèlement de meute dans le cadre de l’affaire Marvel Fitness.
De plus, cet article a été précisé car il est désormais indiqué que les peines sont doublées (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende) lorsque les faits de harcèlement « ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ».
En résumé, une nouvelle étape a été franchie avec cette première Journée internationale contre la violence et le harcèlement en milieu scolaire, y compris le cyberharcèlement. Mais la lutte est loin d’être terminée et beaucoup de personnes réclament des règles plus strictes.
Toutefois, il est parfois très difficile de concilier les divers intérêts en jeu. Par exemple, la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia », prévoyait dans ses propositions initiales que les opérateurs de plateforme en ligne et les moteurs de recherche devaient retirer certains propos dans un délai de 24 heures, voire d’une heure. Or, son contenu a été quasi-intégralement censuré par le Conseil constitutionnel. Mais il s’agit là d’un autre débat.
Sources
- ANQUETIL (V.), « Affaire Marvel Fitness : Les influenceurs systématiquement responsables du cyberharcèlement de meute commis par leur communauté ? », IREDIC, 3 novembre 2020
- CABOT (E.), « Cyberharcèlement et harcèlement scolaire : Brigitte Macron déplore l’inaction des réseaux sociaux », Paris Match, 6 novembre 2020
- COLOMBAIN (J.), « Le cyberharcèlement, ce fléau qui augmente avec le confinement », franceinfo, 6 novembre 2020
- DUNEAU (C.), « Le cyberharcèlement scolaire s’est complètement banalisé », Le Monde, 5 novembre 2020
- MOREL (A.), « Le harcèlement scolaire s’est massivement reporté sur les réseaux sociaux en cette période de Covid-19 », franceinfo, 5 novembre 2020
- SANCHEZ (M.), « Cybermoi/s 2020 : la lutte contre le chantage numérique », IREDIC, 31 octobre 2020
- « Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école », Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, novembre 2020
- « Un enfant sur trois est victime de violence ou de harcèlement en milieu scolaire, alerte l’UNESCO », ONU Info, 5 novembre 2020
- Art. 6, Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, Légifrance
- Art. 222-33-2-2, C. pén., Légifrance
- Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, Légifrance
- Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, Légifrance