« La très grande majorité des Français n’est pas sur Netflix. Nous espérons qu’ils viendront sur Salto » déclarait Thomas Follin, directeur général de Salto, dans un entretien accordé au Figaro en février 2020. La plateforme française de vidéo à la demande par abonnement (VàD), lancée tout récemment depuis le 20 octobre dernier, est le fruit d’une association entre les trois principaux groupes audiovisuels français, à savoir TF1, France Télévisions et M6. Progressivement, Salto se fait une place dans l’esprit du grand public. Les annonces à la télévision, ou même sur YouTube, se font d’ailleurs de plus en plus nombreuses…
Que propose la nouvelle plateforme française de VàD ?
Salto propose le visionnage de feuilletons quotidiens comme Scènes de Ménages, Un si grand soleil, et d’émissions telles que l’Amour est dans le pré, diffusés sur les chaînes de la TNT des sociétés mères, en avant-première et en replay. Des séries cultes étrangères figurent aussi au catalogue, à savoir The Handmaid’s Tale, Downtown Abbey, ainsi que des séries inédites, telles que The Pier, dont le créateur n’est autre que celui de la Casa de Papel. On peut également retrouver des films cultes et populaires, comme ceux de Jacques Demy, Truffaut, ou bien même Bridget Jones. Les enfants ne sont pas en reste, puisqu’un espace jeunesse leur est consacré. Au total, près de 15 000 heures de contenus sont proposés sur la plateforme. Par ailleurs, il est possible de suivre en direct les programmes diffusés sur les vingtaines de chaînes de la TNT des trois groupes.
Salto souhaite offrir à ses abonnés le meilleur de la création française. Pour profiter de son offre, il faudra débourser entre 6,99 euros et 12,99 euros par mois pour un à quatre écrans. A noter qu’un mois d’essai est offert. Pour se différencier de ses concurrents, le service de streaming vidéo français propose à ses utilisateurs des recommandations créées selon des catégories originales. Par exemple, il est possible de faire son choix selon la sélection de professionnels, tels que Télérama ou Télé-Loisirs, ou bien selon les notes des spectateurs d’AlloCiné. Plus surprenant encore, des catégories sont concoctées en fonction de notre signe astrologique !
L’application Salto est disponible sur ordinateur, smartphone, tablette et TV connectée équipée d’un système d’exploitation (Android TV, Apple TV) permettant de se connecter à Internet. La diffusion se fait en OTT (Over-The-Top), autrement dit « service par contournement », puisqu’il n’est pas possible à ce jour d’avoir accès aux contenus de la plateforme sur la télévision via une box TV ou la TNT. Cependant, la plateforme aurait récemment signé un accord de distribution avec Bouygues Télécom, à voir si ça sera le cas avec d’autres fournisseurs d’accès à internet. Par ailleurs, le nouveau service de vidéo à la demande (SVOD) mise sur la technologie HbbTV, permettant de diffuser des contenus hybrides sur un téléviseur connecté, c’est-à-dire des contenus provenant de la télévision à diffusion traditionnelle, d’Internet, ou des appareils connectés.
Un lancement à l’ère d’une nouvelle réglementation européenne des plateformes SVOD
La directive européenne « Services de médias audiovisuels » (SMA), en date du 14 novembre 2018, est en passe d’être transposée en France. Cette nouvelle réglementation a pour objectif de renforcer l’obligation pour les services de vidéos à la demande étrangers de participer à la production, ainsi qu’à la diffusion des contenus cinématographiques et audiovisuels européens, au regard du principe du pays de destination. En France, l’exception culturelle impose aux géants de la SVOD, tels que Netflix, Disney + ou encore Amazon Prime Video, d’investir davantage dans des programmes « made in France ». Cela se fera par l’entrée en vigueur du nouveau décret SMAD courant 2021, venant remplacer celui du 12 novembre 2010. Le projet de décret prévoit que les plateformes consacrent au minimum 20% de leur chiffre d’affaires dans la production cinématographique et audiovisuelle européenne, dont 85% dans la création française. En outre, et comme c’est déjà le cas, les plateformes doivent proposer dans leur catalogue au moins 60% d’oeuvres européennes, dont 40% d’origine française. Ce décret ne verra le jour qu’une fois la loi DDADUE adoptée, permettant de transposer la directive européenne SMA en France.
La création de Salto s’inscrit donc dans un contexte de soutien à la création et à la distribution de contenus audiovisuels européens. En ayant pour ambition d’être la plus grande vitrine de programmes tricolores, avec plus de 50% de créations françaises, la plateforme se présente comme l’alternative française à Netflix.
La plateforme SALTO parviendra t-elle à s’imposer sur le marché très concurrencé de la VàD ?
Salto comptabilise 100 000 abonnés après seulement un mois de lancement, chiffre encourageant pour la plateforme. Netflix, au moment de son lancement en 2014, comptabilisait 700 000 abonnés pour sa première année. Mais tout reste à prouver, puisque les premiers inscrits bénéficiaient d’un mois d’essai gratuit. Il sera donc intéressant de regarder si ces premiers utilisateurs ne vont pas, par la suite, se désabonner suite à ce premier mois d’essai. Un long chemin reste encore à faire pour Salto. En effet, on doute que la plateforme comptabilise un jour les 7 millions d’abonnés, comme c’est le cas aujourd’hui de Netflix en France.
Il est certain que le succès de la plateforme dépendra en partie de sa production originale, comme on peut le voir avec la série Le Jeu de la dame produite par Netflix. Salto n’a pas encore de contenus propres, mais compte en proposer dès avril 2021. La plateforme n’est cependant pas en reste. Elle a d’ailleurs fait le bon choix d’acheter la saison 4 de Fargo, série américaine, alors même que les saisons précédentes se trouvent sur Netflix. Salto s’est également emparée d’une série présentée au festival Cannes Séries, Becoming a God, qui sans nul doute contribue à enrichir la qualité de son catalogue. D’ailleurs, les sociétés mères dépensent beaucoup dans la création de contenus, ce qui lui donnera l’occasion d’alimenter régulièrement son catalogue.
Salto mise sur son côté « populaire ». En effet, 82% de ses abonnés habitent hors de Paris, tant dans les zones urbaines que non-urbaines. Plus de 60% des utilisateurs ont entre 25 et 49 ans, et un quart des abonnés a plus de 50 ans. Cependant, la création de Salto ne viendrait-elle pas accentuer le phénomène de « SVOD fatigue » ? En effet, il y a déjà beaucoup de monde sur le marché de la SVOD : Netflix, MyCanal, Disney+, Amazon Prime Video et OCS entre autres. Le prix de l’abonnement ne présente pas non plus une réelle attractivité, celui de Netflix étant proposé à partir de 7,99 euros par mois.
D’autre part, l’Autorité de la concurrence impose à Salto de respecter des engagements, afin de prévenir les risques de coordination entre TF1, France Télévisions et M6. Seulement 40 % des contenus disponibles sur la plateforme, en volume horaire et hors film, pourront provenir de ces trois groupes. Cela suppose que Salto paie des droits de diffusion pour avoir un contenu aux normes. Or, la plateforme française prévoit de mobiliser seulement 250 millions d’euros sur 3 ans. Un budget plus conséquent aurait été le bienvenu pour acquérir davantage de droits de diffusion, et pour créer des contenus originaux. On doute alors que Salto puisse, sur ce point, rivaliser avec les plateformes US. L’Autorité impose également que les prix de vente des chaînes des sociétés mères ne favorisent pas Salto. Ces sociétés ne peuvent pas non plus faire de la publicité gratuite sur leurs antennes pour la plateforme, ni mettre à disposition leurs propres salariés pour celle-ci.
Il convient également de prendre en considération la concurrence de Molotov, comptabilisant 13 millions d’utilisateurs, et permettant déjà de regarder gratuitement les chaînes de la TNT sur ordinateur, mobile et tablette. Cette concurrence s’intensifie avec Mango, l’offre AVOD de Molotov, qui est un service de streaming vidéo financé par la publicité. Le visionnage des contenus se fait alors gratuitement, bien qu’entrecoupé par des publicités.
Les jeunes, premiers consommateurs des SVOD, seraient-ils prêts à s’abonner à SALTO ?
Contactés via l’application Messenger, trois étudiants à Aix-en-Provence et Marseille ont bien voulu donner leur avis. Pour Hugo, la réponse est non, car selon lui « c’est trop cher par rapport à la richesse des contenus proposés par Netflix. On peut d’ailleurs retrouver des émissions télévisées en replay sur le site des chaînes qui les diffusent ». Pour Camille, c’est encore un « non », car elle ne se dit « pas prête à mettre plus de moyens pour avoir accès à d’autres films, Netflix et MyCanal (lui) suffisent ». Louise partage également ce point de vue : « Je ne pense pas m’y abonner. J’ai accès à une bonne partie du catalogue au travers de mes différents abonnements (Netflix, Disney+ et Prime Video), et les programmes exclusifs que propose Salto (notamment les séries françaises) ne me plaisent pas tellement. ».
Après seulement quelques semaines de lancement, toute reste encore à prouver pour ce « Netflix à la française ». La concurrence est bel et bien là face aux géants de la SVOD. Séduire le public français, et plus particulièrement les jeunes, ne se révèle donc pas aisé. En espérant que la plateforme puisse s’adapter au mieux aux nouveaux modes de consommation des programmes audiovisuels, et ainsi ne pas faire Salto arrière…
Sources :
- « L’Autorité de la concurrence autorise sous conditions la création de la plateforme Salto », Légipresse 2019, p.444
- « Salto aurait conclu un accord de distribution avec Bouygues Telecom », rédigé par Marina Alcaraz le 23 novembre 2020, Les Echos
- « Comment regarder Salto sur votre télé ? », rédigé par Marie Turcan le 20 octobre 2020, Numerama
- « Salto : les nouvelles contraintes imposées à France TV, TF1 et M6 n’augurent rien de bon », rédigé par Marie Turcan le 22 juillet 2019, Numerama
- « Salto démarre avec quelques handicaps », rédigé par Marina Alcaraz le 15 octobre 2020, Les Echos
- « Les plateformes comme Netflix contraintes d’investir dans la création française dès 2021 », rédigé par Marina Alcaraz le 6 mai 2020, Les Echos
- « La plateforme de streaming Salto va-t-elle devenir le Netflix à la française ? », rédigé par Louise Vandeginste le 20 octobre 2020, Les Inrockuptibles
- « Quelle place pour Salto, la plateforme de streaming de TF1, France Télévisions et M6, face à Netflix ? », rédigé par Maxence Fabrion le 20 octobre 2020, FrenchWeb
- « Salto a séduit 100.000 utilisateurs en trois semaines », rédigé par Caroline Sallé le 18 novembre 2020, Le Figaro