Le 21 janvier dernier fut annoncé la signature d’un accord-cadre d’une durée de trois ans entre Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), relatif à l’utilisation des publications de presse en ligne au titre des droits voisins. Selon Pierre Louette, président de l’Apig et PDG du groupe Les Echos-Le Parisien, cet accord « marque la reconnaissance effective du droit voisin des éditeurs de presse et le début de leur rémunération par les plateformes numériques pour l’utilisation de leurs publications en ligne ». Jusqu’alors, Google s’émancipait du droit à rémunération des éditeurs de presse lorsqu’il référençait sur son moteur de recherche ou dans l’onglet « Actualités » des articles issus des sites de presse. L’accord passé entre le géant américain et le représentant de plus de 300 quotidiens et hebdomadaires français, tels que Le Monde, Aujourd’hui en France, Ouest France ou encore La Provence, est une première en Europe. Un accord historique donc, dans un contexte où l’on cherche à mieux réguler les GAFAM.
Accord-cadre, droits voisins, c’est quoi ?
L’accord-cadre désigne un accord passé entre deux parties, et ayant pour objet de déterminer, à l’avance et en des termes généraux, le cadre aux transactions ultérieures. Un tel accord entre Google et les membres de l’Apig permet d’ouvrir la voie aux accords individuels de licence qui seront conclus avec chacun des éditeurs de presse et le géant américain. Quant aux droits voisins du droit d’auteur, ce sont les droits conférés à des intervenants considérés comme auxiliaires de la création. Pour bénéficier de la protection accordée par les droits voisins, cela suppose une intervention physique ou un investissement, c’est-à-dire d’avoir aidé à la réalisation ou à la diffusion de la création. De tels droits sont ainsi reconnus aux artistes-interprètes, aux producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, aux entreprises de communication audiovisuelle, et plus récemment encore, aux agences et éditeurs de presse.
Le droit voisin des éditeurs de presse a été créé par la directive européenne du 17 avril 2019, transposée en France par la loi du 24 juillet 2019. L’article L218-2 du Code de la propriété intellectuelle ainsi créé énonce que « l’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne », en contrepartie de laquelle ces éditeurs peuvent prétendre à une rémunération. Petite précision tout de même, ce droit expire deux ans après que le contenu de presse a été publié, alors que la durée de protection du droit d’auteur s’élève à soixante-dix ans. De plus, cette protection « ne s’applique pas aux actes hyperliens », ni à « l’utilisation de mots isolés » et ni à « de très courts extraits d’une publication de presse ».
Un combat de la presse française qui ne date pas d’hier
L’accord conclu avec l’Apig représente l’aboutissement de longs mois de négociations avec Google. D’ailleurs, l’Alliance fut créée en 2018 pour mener à bien ces négociations. En novembre 2019, l’Apig, l’Agence France-Presse (AFP) et le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine (SEPM) ont saisi l’Autorité de la concurrence afin de rendre compte des manières abusives des sociétés Google, consistant à contraindre les éditeurs de presse à accepter la reproduction de leurs contenus sans contrepartie financière, au risque sinon de voir leurs contenus déréférencés. Il était également reproché à Google d’abuser de leur situation de dépendance économique.
Le 9 avril 2020, l’Autorité de la concurrence rend son verdict : Google est contraint de négocier, de bonne foi et dans un délai de 3 mois, avec les éditeurs de presse concernant l’application des droits voisins. Mais il ne fallait pas compter sur le géant américain pour coopérer si facilement. En effet, Google forme un recours devant la Cour d’appel de Paris pour voir annuler cette décision. Il estime qu’aucune atteinte grave à l’économie générale et aux intérêts de la presse n’a été établie, et insiste sur la notoriété qu’il procure à ces mêmes éditeurs en reproduisant leurs contenus. Partant, il estime contribuer au pluralisme des médias.
Pourtant, le 8 octobre 2020, la Cour d’appel de Paris confirme la décision de l’Autorité de la concurrence, et énonce la nécessité pour une telle plateforme de payer un droit voisin aux éditeurs. Hasard du calendrier, c’est ce même jour qu’est nommé Pierre Louette en tant que président de l’Apig. C’est donc dans ce contexte que Google, trois mois après l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, a conclu ce fameux accord-cadre avec l’Apig, première grande étape à d’autres accords de ce genre.
En quoi consiste cet accord-cadre ?
Quelques accords individuels avaient déjà pu être signés par Google avec certains titres de la presse française comme Le Monde, Le figaro ou encore L’Express dans l’attente de cet accord. Mais ce dernier permet de fixer un cadre général inédit aux prochaines négociations. Ainsi, les éditeurs signeront individuellement avec Google pour obtenir une rémunération de leurs contenus au titre du droit voisin, mais également au titre de l’accès à l’onglet News Showcase, un programme de licence de publications de presse qui verra probablement le jour à la fin du printemps. L’espace Showcase proposera aux internautes, en accès libre, des articles habituellement payants sur les sites d’information. En contrepartie, ils devront s’inscrire auprès des éditeurs. Autre particularité prévue par l’accord-cadre, les accords individuels porteront uniquement sur les publications reconnues d’information politique et générale. Par ailleurs, la rémunération des éditeurs sera basée sur la contribution à l’information politique et générale, le volume quotidien de publications et sur l’audience Internet mensuelle. Pour l’instant, le montant de cette rémunération reste confidentiel.
Une négociation indispensable dans le contexte d’une crise de la presse
Depuis plusieurs années maintenant, la presse française traverse une crise structurelle. En effet, l’insertion du numérique a bouleversé nos modes de consommation, et le secteur de l’information n’échappe pas à cette tendance. Le lectorat papier se raréfie, la distribution des journaux imprimés fait faillite, et les recettes publicitaires connaissent une forte baisse, alors qu’elles comptent parmi les premières sources de revenus du secteur. En plus de cela, la pandémie de Covid-19 que nous traversons actuellement a contraint de nombreux kiosques à fermer. Cette crise de la presse profite donc aux plateformes numériques.
La pratique de Google, consistant à indexer des articles et des dépêches d’agence sur son onglet « Actualités », génère certes des revenus publicitaires pour les éditeurs en ce que ses services renvoient les internautes vers les sites d’information, mais cela profite davantage à Google. En effet, cela lui permettait jusqu’alors de monétiser les informations par le trafic qu’elles génèrent sur son moteur de recherche, et ce sans contrepartie financière aux éditeurs de presse. D’où le besoin urgent pour les membres de l’Apig de conclure un accord-cadre avec la plateforme, afin qu’ils ne se retrouvent pas priver du bénéfice de leurs investissements. Par ailleurs, l’accord-cadre nouvellement signé permettra aux éditeurs d’accéder à News Showcase, qui sans nul doute améliorera leur visibilité, tout en faisant contribuer Google à leurs investissements. En revanche, on peut craindre que cela les rende encore plus dépendants de la plateforme.
Cet accord bénéficie-t-il vraiment à la presse française ?
Le premier reproche qui est fait à cet accord est qu’il ne couvre pas toute la presse écrite française. En effet, cela profite uniquement aux membres de l’Apig, et non à l’ensemble des titres d’information politique et générale. En outre, Google s’oppose fermement à une rémunération de la presse spécialisée ou de divertissement. Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) a ainsi maintenu sa plainte devant l’Autorité de la concurrence, afin d’obtenir de Google qu’il rémunère tous les titres de presse, peu importe qu’ils soient d’information politique et générale ou non, quelle que soit leur famille de presse ou leur organisation représentative. A titre d’exemple, des médias emblématiques tels que L’Équipe, Paris Match, Le Point ou encore Vogue sont exclus de l’accord-cadre. Quant à l’Agence France-Presse, celle-ci est toujours en négociation avec le groupe américain.
L’autre problème soulevé par les éditeurs est la rémunération. En effet, l’accord conclu avec le conseil d’administration de l’Apig s’apparenterait à la première proposition faite par Google en juillet 2020, proposition qui avait d’ailleurs était jugée insatisfaisante. Ainsi, la somme s’élèverait autour des 25 millions d’euros, loin de la centaine de millions d’euros espéré par l’Apig au début des négociations.
Enfin, l’Alliance souhaitait avant tout conclure un accord de licence globale avec Google, et non recourir à des accords individuels de licence. L’espoir de voir un jour un organisme indépendant chargé de récolter et de redistribuer les bénéfices au titre des droits voisins, à l’instar de la Sacem pour l’industrie musicale, semble donc s’affaiblir.
Le combat de la presse française continue
Ainsi, du chemin reste encore à faire pour la reconnaissance du droit voisin des éditeurs et agences de presse par les plateformes numériques. Même si l’accord-cadre conclu fin janvier entre l’Apig et Google marque une étape historique dans cette reconnaissance, on ne peut qu’espérer que cela puisse un jour bénéficier à toute la presse française, sans considération de genre. Contrairement à l’Allemagne qui elle ne croit pas en cette solution juridique, les éditeurs français continueront sans nul doute le combat consistant à concilier leurs intérêts à ceux des plateformes numériques.
Sources :
– « Droits voisins : l’Alliance de la presse trouve un accord avec Google », par Nicolas Madeleine le 21 janvier 2021, Les Echos
– DERIEUX (E.) « Droits voisins des agences et éditeurs de presse : Confirmation, par la Cour d’appel de Paris, des mesures provisoires ordonnées à l’encontre de Google, par l’Autorité de la concurrence », Revue Lamy Droit de l’immatériel, n° 177, paru le vendredi 1er janvier 2021
– « Droits voisins : Google signe un accord… et déchire la presse française », par Nicolas Jaimes le 21 janvier 2021, site du JDN
– « Droits voisins: Google signe avec la presse », par Alexandre Debouté le 21 janvier 2021, Le Figaro
– « Rémunération des médias par Google : accord trouvé en France mais vives tensions et menace de censure en Australie », publié le 27 janvier 2021 par l’Observatoire du journalisme