Le 21 octobre 2021, Facebook et l’Alliance de la Presse d’Information Générale (APIG) ont annoncé avoir signé un accord sur la rémunération des contenus de presse en ligne après plusieurs mois de négociations. Pierre Louette, président de l’APIG a affirmé, en réaction à cet accord « Je suis très heureux de parvenir à cet accord, qui est le résultat d’un dialogue franc et fructueux entre des éditeurs et une plateforme numérique de premier plan. Les termes auxquels nous sommes parvenus permettront à Facebook d’appliquer la directive et la loi française, tout en générant des financements importants pour les éditeurs de l’Alliance, notamment les plus petits d’entre eux. » Cet accord fait suite à la rapide transposition du 24 juillet 2019 par la France, de la Directive 2019/790 du 17 avril 2019 qui instaure en son article 15 un droit voisin permettant l’utilisation en ligne des publications de presse par les plateformes numériques.
Les droits voisins : qu’est-ce que c’est ?
Les droits voisins du droit d’auteur sont accordés aux personnes qui ne sont pas considérées comme auteurs principaux mais qui se sont impliquées dans la création d’une œuvre. Il en existe de plusieurs types, dont celui accordé aux éditeurs de presse. En effet, ces éditeurs permettent aux journalistes de publier des articles de presse. Ce droit accordé aux éditeurs de presse, a pour objet les publications de presse. La directive 2019/790 du 17 avril 2019 donne une définition limitative des publications de presse ; « cette notion ne couvre que les publications journalistiques, publiées dans les médias quels qu’ils soient, y compris sur papier, dans le contexte d’une activité économique qui constitue une fourniture de services en vertu du droit de l’Union. ». La directive donne ensuite des exemples de publications concernées par ce droit « Les publications de presse qui devraient être couvertes comprennent, par exemple, des journaux quotidiens, des magazines hebdomadaires ou mensuels généralistes ou spécialisés, y compris les magazines vendus sur abonnement, et des sites internet d’information. » En revanche, certaines publications sont exclues du champ du droit voisin ; c’est le cas des publications périodiques publiées à des fins scientifiques ou universitaires, mais également les sites internet fournissant des informations qui ne sont pas le résultat d’une activité réalisée « à l’initiative, et sous la responsabilité et le contrôle éditorial, d’un fournisseur de services tel que l’éditeur de presse ». Ainsi, tous les actes de reproduction et de représentation en ligne des publications de presse vont être saisis par le droit voisin du droit d’auteur des éditeurs de presse. Et ce droit sera valable pour une durée de deux ans.
La directive pose trois exceptions à l’application du droit voisin. En effet, ce droit ne s’applique pas aux utilisations dites privées ou non commerciales ainsi qu’à l’utilisation de mots isolés ou de courts extraits d’une publication. Ces deux exceptions correspondent à des exceptions déjà existantes en droit d’auteur.
Néanmoins, une troisième est mise en place par la directive ; le droit voisin ne s’applique pas aux actes d’hyperliens. Cette exception reprend l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 13 février 2014, Svensson. La directive a préservé cette jurisprudence qui concourt à la liberté d’expression, et le partage de liens hypertextes participe à la liberté de communication.
Afin que les plateformes numériques puissent utiliser les publications de presse, il faut qu’elles rémunèrent les éditeurs au titre des droits voisins. Cette rémunération est donc une contrepartie équitable de l’utilisation de la publication, et doit être à la hauteur des profits réalisés durant son utilisation. Pour qu’il y ait rémunération, un accord doit être trouvé entre les deux parties, ce qui n’est pas évident, chacune voulant toujours gagner plus, ce que prouve la durée des négociations entre Facebook et l’APIG ; deux ans ont été nécessaire. Des critères ont tout de même été mis en place par le législateur français pour encadrer ce droit à rémunération. Il faut donc prendre en compte :
- L’importance de l’utilisation du contenu de presse faite par les services de référencement,
- L’importance des investissements des éditeurs ou agence de presse dans le développement des services numériques,
- L’importance de la contribution des publications à l’information politique et générale.
Un accord entre Facebook et l’APIG
C’est donc le 21 octobre dernier que Facebook et l’APIG ont annoncé avoir signé un accord qui permettra, d’une part, aux utilisateurs et aux éditeurs de partager librement une information de qualité au sein de leurs communautés sur Facebook, et d’autre part, pour les éditeurs qui le souhaitent, d’alimenter le fil « Facebook News » qui devrait être lancé en France en janvier 2022. Cet accord entre les éditeurs de presse et Facebook fait suite à l’amende de 500 millions d’euros infligée à Google pour ne pas avoir négocié de bonne foi avec les éditeurs de presse. Cette sanction a probablement permis aux éditeurs de presse d’obtenir des conditions, notamment financières, plus avantageuses, et d’appeler la plateforme à plus de vigilance sur les conditions de rémunérations afin d’éviter une situation analogue à celle de Google.
Concernant le contenu de l’accord, peu de choses sont dévoilées. Il s’agit d’un accord-cadre d’une durée de trois ans renouvelable. Des accords individuels seront donc passés entre les éditeurs membres de l’APIG et Facebook. Ils concerneront le contenu que les éditeurs publient, mais aussi, si ces derniers le souhaitent, le service « Facebook News ». La rémunération due par Facebook sera calculée selon des critères objectifs comme les audiences de l’APIG, le nombre de followers Facebook, les interactions, etc. Il y aura également un niveau plancher de rémunération qui s’appliquera aux plus petits titres ; c’est pourquoi le président de l’APIG se félicite de cet accord, les petits titres ne sont pas exclus, et peuvent bénéficier de Facebook pour être mis en avant.
Cet accord est-il réellement bénéfique pour la presse ?
Tout d’abord, outre la rémunération accordée par Facebook, la plateforme offre des outils utilisés par 3,45 milliards de personnes, et son fil d’actualité a permis aux éditeurs de presse de recevoir 180 milliards de clics en 2020. D’ailleurs, par cette affirmation, Facebook rappelle bien qu’il s’agit d’un système de “coopétition” entre les éditeurs de presse et les plateformes du numériques. En effet, une coopération d’opportunité est nécessaire, toutefois, ils restent concurrents entre-eux notamment au regard des revenus que ce système génère (9 milliards de dollars de recette publicitaire pour la presse en 2020 selon Laurent Solly, PDG de Facebook France).
Ensuite, l’accord est conclu entre Facebook et l’APIG. L’APIG représente 284 médias de presse quotidienne nationale, régionale, départementale et hebdomadaire régionale. Quid des autres éditeurs ? Même si l’APIG représente une majorité des éditeurs majeurs, certains restent exclus. Que va faire Facebook pour ces autres titres de presse ? Laurent Solly a indiqué au Figaro « avoir des discussions constructives avec d’autres éditeurs » ; peut-être que de nouveaux accords interviendront par la suite, comme celui signé en août 2021 avec Le Monde et Le Figaro.
Cet accord est-il bénéfique pour Facebook ?
Après l’annonce de cet accord, Facebook a pu déclarer « Nous sommes heureux d’annoncer un accord autour des droits voisins avec l’Alliance de la Presse d’Information Générale, permettant aux éditeurs et aux utilisateurs de continuer à partager des contenus d’actualité de qualité sur Facebook ». En effet, le but de Facebook est de promouvoir un journalisme de qualité, mais surtout de limiter la propagation de fake news qui est l’une des plus grosses critiques exprimées à l’égard des plateformes du numérique.
Par ailleurs, Facebook s’attribue un rôle prépondérant en se permettant de choisir les médias qualitatifs, et cela notamment avec l’apparition de « Facebook News ». Ce service existe déjà au Royaume-Unis et en Allemagne. Comme en France, participe à ce service les éditeurs qui le souhaitent. Ainsi, en Allemagne, l’un des plus gros éditeur, le groupe Axel Springer propriétaire de Bild, a refusé d’y participer. Par conséquent, il reste à espérer que le pluralisme des médias ne sera pas trop mis à mal avec ce mode de fonctionnement.
Sources :
– DIRECTIVE (UE) 2019/790 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE
– CJUE, 13 février 2014, Nils Svensson e.a. contre Retriever Sverige AB, Affaire C‑466/12
– Communiqué de presse Alliance de la presse d’information générale et Facebook, publié le 21 octobre 2021
– « Droits voisins : après Google, Facebook va rémunérer une partie de la presse française », publié le 21 octobre 2021, Le Parisien avec AFP
– « Droits voisins : Le Monde a signé un accord avec Facebook », publié le 24 septembre 2021, Le Figaro avec AFP
– « En Allemagne, Facebook lance un fil d’actualités avec de grands médias », publié le 2 mars 2021, Les Echos