Le lundi 25 octobre 2021 le Président du Brésil Jair Bolsonaro se voit suspendre sa chaine YouTube par la plateforme. En effet, Youtube affirme que de fausses informations ont été véhiculées par ce dernier à propos du Covid 19. YouTube justifie donc ce bannissement d’une semaine par le fait que le chef d’État du Brésil aurait violé leur politique de désinformation médicale sur le Covid-19 notamment en l’associant au Sida. Or seules les vidéos contenant des fake news ont été bannies. De plus, ces mêmes vidéos ont été supprimées sur d’autres plateformes comme Instagram ou encore Facebook pour les mêmes raisons.
Ce n’est pas la première fois qu’un homme politique se fait bannir d’une plateforme. En effet, Donald Trump s’est vu bannir plusieurs fois de Twitter et supprimé plusieurs fois certains de ces tweets pour des motifs de lutte contre la haine en ligne. En janvier 2021 il avait publié des tweets qui représentaient une menace grave et imminente pour la sécurité nationale. Ce dernier avait notamment menacé le pouvoir législatif par le biais de Twitter.
Les réseaux sociaux au cœur de nos démocraties : un enjeu pour nos sociétés actuelles
Ces dernières années, les réseaux sociaux ont mis en place des dispositifs afin de lutter contre toutes dérives sur leurs plateformes. Or l’une des critiques essentielles à la censure des publications d’hommes politiques sur les plateformes est que cela peut porter atteinte à la démocratie. En effet, les réseaux sociaux sont devenus un enjeu politique au cœur de nos sociétés actuelles. Aux États-Unis, la Cour Suprême, dans l’arrêt Packingham vs North Carolina du 19 juin 2017, avait jugé en l’espèce, qu’une loi de la Caroline du Nord qui interdisait aux délinquants sexuels de s’enregistrer et d’utiliser des plateformes de service de communication public en ligne était inconstitutionnelle parce qu’elle violait le premier amendement de la Constitution américaine, qui protège la liberté d’expression. Ainsi on a une première reconnaissance de l’importance des réseaux sociaux. En outre, à la suite de cet arrêt, le 23 mai 2018, la cour du district sud de New York a rendu une première décision concernant le compte Twitter de Donald Trump : elle a affirmé que le compte Twitter du président des États-Unis est un forum public et donc essentiel pour les débats d’intérêt général et au cœur de la démocratie. En effet, lorsqu’il était président Donald Trump s’exprimait sur des débats publics, des décisions gouvernementales ou des questions politiques justifiant donc son interdiction de bloquer des followers même lorsque ces derniers se montraient injurieux.
Par conséquent on peut donc voir que les réseaux sociaux ont pris une place primordiale dans nos démocraties notamment en ce qui concerne le principe de liberté d’expression, de pluralité d’opinion menant à des débats d’intérêt général.
Comment justifier le bannissement des plateformes de ces hommes politiques posant des questions sur le respect de la liberté d’expression ?
Cependant aujourd’hui les plateformes se doivent de respecter la liberté d’expression de chacun. En outre, elles sont souvent confrontées à des dérives issues de la liberté d’expression menaçant nos démocraties et donc se voient dans l’obligation de censurer certains propos tout en respectant la liberté d’expression de chacun. Ces dérives sont souvent caractérisées par le phénomène de fake news permettant la possibilité d’une manipulation de l’opinion menaçant nos démocraties. Or que se passe-t-il lorsque ces fakes news sont produites par un président lui-même garant de la démocratie et de la souveraineté étatique ?
Au Brésil, la régulation des contenus sur internet est soumise à la Marco civil da internet mise en place en 2014, qui affirme la liberté d’expression sur internet et la neutralité des acteurs sur internet. Elle n’interdit donc pas l’autorégulation de ces plateformes pour empêcher les fakes news et autres dérives. Face à cette régulation, le Président Bolsonaro a voulu en septembre dernier adopter un décret pour « la suppression arbitraire et injustifiée de comptes, profils et contenus par les fournisseurs » afin d’empêcher la suppression de ses publications sur les réseaux mais qui doit être validé par le parlement pour être mis en vigueur.
En outre, chaque pays tente aujourd’hui de réguler les contenus sur les plateformes. On peut voir qu’il existe des disparités entre les différents régimes obligeant parfois à une auto-régulation de ces plateformes. Par exemple, en France, c’est l’article 6 de la LCEN qui affirme l’irresponsabilité présumée des plateformes en cas de contenus manifestement illicites sur les plateformes, sauf à ce que ces dernières n’aient pas retiré ces contenus alors qu’elles avaient connaissance de leur existence. Les plateformes sont donc invitées à modérer leurs espaces bien qu’elles n’aient aucune obligation de surveillance selon ce même article. Or elles peuvent être responsables dans certains cas. Par conséquent, elles peuvent ou doivent supprimer tout contenu contraire à la loi européenne ou française.
Ces obligations ont été renforcées par la loi du 22 décembre 2018 relative à la manipulation de l’information dit loi “infox”, qui crée un devoir de coopération des plateformes dans la lutte contre les fausses informations renforçant ainsi leurs obligations initiales. Cette loi introduit un nouvel article dans le Code électoral, c’est l’article L. 163-2 affirmant que sont qualifiées de « fausses informations » les « allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité » d’un scrutin, « diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive ». Cet article va s’appliquer aux services de communication en ligne renforçant donc les obligations des plateformes vis à vis des fake news. Ainsi on a une auto-régulation limitée mais ce régime juridique n’est pas toujours satisfaisant car dans certains cas on voit un non-respect à l’État de droit.
Comment apprécier le caractère illicite des contenus ?
Les plateformes peuvent bien entendu s’aider de la loi mais en pratique elles font majoritairement appel à leur libre appréciation et leurs conditions générales d’utilisation pour décider de la suppression de certains contenus sur leurs plateformes. De plus, on a une auto-régulation qui est de plus en plus présente. En conséquence, le combat « contre la désinformation, le conspirationnisme ou les discours de haine dépend donc de la bonne volonté des plateformes, qui choisissent généralement de pratiquer une modération relative, sur le fondement de principes inclus dans leurs conditions d’utilisation ». Cependant cette justice privée qui semble aujourd’hui se développer fortement comme avec le développement d’un Conseil de surveillance au sein de Facebook, peut parfois être discutable notamment lorsqu’elle touche des hommes politiques ou encore le respect de l’État de droit. De plus, un rapport de la Commission Européenne affirme que seul deux tiers des contenus signalés sur les plateformes au sein de l’UE sont supprimés. Cette auto-régulation n’est donc pas toujours efficace.
Malgré tout, la suspension de certaines publications du président Bolsonaro et la suspension de son compte de matière temporaire par Youtube semble justifiée au vu du contenu, au nom de la protection de l’information de la liberté d’expression mais aussi de la démocratie. En effet la décision de Youtube semble proportionnelle, on a une suspension limitée dans le temps et seules les vidéos litigieuses ont été supprimées. Cependant bien que cette auto-régulation semble nécessaire à l’heure actuelle pour différentes raisons, on peut voir que plusieurs États souhaitent y mettre fin dont la Chine, affirmant qu’il faut donc mettre fin à l’autorégulation des géant américain d’internet par un mode de gouvernance permettant de replacer l’Internet entre les mains des États-Nations, par exemple par l’adoption d’un nouveau protocole internet ».
De plus, en ce qui concerne l’Union Européenne, elle s’appuie sur un Code de bonnes pratiques contre la désinformation présenté, le 26 avril 2018 par la Commission européenne. Ce code définit la désinformation comme l’ensemble des « informations dont on peut vérifier qu’elles sont fausses ou trompeuses, qui sont créées, présentées et diffusées dans un but lucratif ou dans l’intention délibérée de tromper le public et qui sont susceptibles de causer un préjudice public ». Or ce code de bonne conduite est un outil de droit souple constituant la principale défense contre la lutte des fausses informations ce qui pose problème car il n’est point contraignant.
C’est pour cela que la proposition du Digital Services Act portée par la Commission européenne veut limiter l’autonomie des réseaux sociaux en ce qui concerne l’exécution de leurs politiques de modération. Notamment en se définissant comme une extension du Code de bonnes pratiques contre la désinformation et par conséquent de devenir un véritable outil d’autorégulation des plateformes. Ainsi En conséquent, cette future législation européenne constitue un véritable plan d’attaque contre la désinformation en ligne.
Bibliographie :
Le Monde avec AFP « Brésil : des sénateurs demandent la suspension de Jair Bolsonaro sur Facebook, Twitter et Instagram » le Monde international 26 octobre 2021
Florence G’SELL « Remarques sur les aspects juridiques de la “souveraineté numérique ” » Revues des Juristes de Sciences Po n° 19, Octobre 2020, 13
Caroline Lequesne Roth, Valère Ndior « Réseaux sociaux et contre-pouvoirs : penser les nouveaux modes de régulation » Recueil Dalloz 2021 p.1091
Projet de loi 2.630/2020- Loi brésilienne sur la liberté, la responsabilité et la transparence sur Internet
Madhumita Murgia and Anna Gross, « Inside China’s controversial mission to reinvent the internet », Financial Times, March 27 2020.
Pierre Auriel « La liberté d’expression et la modération des réseaux sociaux dans la proposition de Digital Services Act » Revue de l’Union européenne 2021 p.413