Cyber-violence : l’Union Européenne sous pression

Sept femmes sur dix ont été victimes de cyberharcèlement au cours de leur vie. 

 

Le décès par suicide, en date du 22 décembre 2021, de la youtubeuse âgée de 32 ans prénommée « Mava Chou », victime de cyber-harcèlement depuis plusieurs années, relance activement le débat sur la question de l’encadrement de ce nouveau délit, n’ayant pas seulement un impact dans le monde numérique, mais véritablement dans le monde réel.

Le cyberharcèlement est un délit prévu et réprimé par l’article 222-33-2-2 du Code Pénal. C’est notamment la loi du 3 août 2018 qui a élargi la notion de « harcèlement » pour y inclure la notion de « cyberharcèlement » qui en est une circonstance aggravante. Le cyber-harcèlement est défini comme « une violence verbale ou psychologique répétée qui emprunte les canaux numériques, principalement les réseaux sociaux. »

Cette violence peut se présenter sous différentes formes : insultes, menaces, intimidation, rumeurs, ou encore usurpation d’identité. Depuis l’essor des réseaux sociaux, on assiste à un phénomène de décuplement de violence, en effet, sous le couvert d’internet, les harceleurs peuvent rester anonymes et se sentent intouchables.

La violence prend de l’ampleur grâce à la rapidité avec laquelle les publications peuvent se propager. Le phénomène peut toucher les adultes, les enfants, mais les jeunes adultes, constamment connectés, sont plus fréquemment visés et davantage impactés. 

 

L’encadrement du cyber-harcèlement, insuffisant, face aux vagues de violences toujours plus nombreuses sur les réseaux sociaux 

 

 

Les nouvelles règles européennes relatives à la protection des données ont introduit le droit à l’oubli, permettant ainsi aux victimes de demander la suppression de leurs données personnelles. En effet, le cyberharcèlement est d’autant plus grave que les publications ne disparaissent pas avec le temps et peuvent être difficiles à supprimer.

Le cyber-harcèlement n’est pas couvert d’une législation européenne particulière, en revanche, les discours racistes, la xénophobie ou encore le harcèlement sexuel d’un mineur de moins de 18 ans, le sont. L’Union européenne destine également des fonds aux actions de terrain contre les violences faites aux femmes, aux enfants et aux jeunes, y compris en ligne.

Elle a adopté la stratégie intitulée « Un internet mieux adapté aux enfants » pour protéger les enfants et les adolescents. Il s’agit de les armer des connaissances et des outils afin de leur permettre d’utiliser internet de façon responsable et en toute sécurité. L’Union européenne cofinance les centres au niveau national, pour un internet plus sûr, regroupés au sein du réseau appelé Insafe.

Tous les centres disposent d’un point de contact prêt à fournir des conseils et toute forme d’assistance aux enfants et aux adolescents confrontés à des contenus ou à des comportements en ligne potentiellement toxiques. Le cyberharcèlement est d’ailleurs la question majeure traitée par ces points de contact. 

Néanmoins, ces mesures semblent minimes par rapport à l’ampleur de la situation et le nombre de victimes, toujours plus nombreuses de cyber-harcèlement. 

 

Cyberviolence à caractère sexiste : la nécessité de sanctions harmonisées 

 

 

À l’aube de la pandémie covid-19, les victimes de violences sexistes augmentent considérablement. Au début de novembre 2021, les commissions des libertés et des droits des femmes ont plaidé en faveur d’une législation pour lutter contre la cyberviolence à caractère sexiste.

Le projet de rapport d’initiative législative adopté par 76 voix pour, 8 contre et 8 abstentions, souligne le manque voire le vide de cadre juridique européen pour lutter contre la cyberviolence à caractère sexiste ainsi que les lacunes en matière de mécanismes de protection et de soutien pour les victimes.

En effet, les députés européens considèrent que la violence à caractère sexiste en ligne et hors ligne sont les deux faces d’un problème commun. Ils soulignent que l’effet néfaste de la cyberviolence fondée sur le genre se répercute généralement dans le monde réel, ce qui signifie qu’elle tend à ne pas être signalée.

Les députés rappellent par ailleurs que tous les types de discrimination sont d’autant plus exacerbés en ligne, visant souvent les personnes vulnérables telles que les femmes migrantes ou issues de minorité, les personnes s’identifiant comme LGBTIQ et les adolescents.

Ainsi, les députés en appellent activement à une directive stricte pour fixer une définition juridique commune de la cyberviolence à caractère sexiste afin d’harmoniser plus facilement les sanctions visant les agresseurs. 

 

Un objectif de responsabilisation des grandes plateformes pour endiguer le phénomène

 

 

L’Union européenne ne veut rien laisser passer en ce qui concerne les « propos haineux » sur internet. On se rappelle notamment de la polémique, à la suite des publications « antisémites » qui ont visé la première dauphine lors de l’élection de Miss France 2021. Le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, a tenu à rappeler que ces contenus sont « punis par la loi ».

Surtout, les plateformes doivent « se donner les moyens » de répondre « aux injonctions des autorités ». Proposé en décembre 2020 par la Commission européenne, et après plusieurs mois de négociations et de débats, le Parlement européen a largement adopté en ce début d’année 2022, sa version du Digital Services Act (DSA) qui constituera son mandat dans le cadre des prochaines réunions en trilogues.

Le DSA contient de nombreuses dispositions relatives à la régulation des contenus sur Internet, des obligations de transparence et de responsabilité pour l’ensemble des acteurs du numérique. Il s’agit d’une étape clé pour l’Union européenne et pour tous ses États-membres.

Ce nouveau texte vise à responsabiliser les grandes plateformes, qui devront notamment fournir des moyens afin de modérer les contenus illicites, et de coopérer au mieux avec les autorités.

Ces “très grandes plateformes” sont définies par le règlement comme celles comptant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs chaque mois (soit 10 % de la population européenne). Leur influence conséquente constitue un critère qui soumet en particulier les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) à un régime plus sévère, avec des sanctions pouvant atteindre jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires.

 

Les utilisateurs français, abandonnés de la justice en matière de protection numérique

 

Selon une étude publiée par l’IPSOS (spécialiste mondial des études de marché), 8 français sur 10 jugent insuffisantes les actions de lutte contre le cyberharcèlement mises en œuvre dans le pays.

Parmi les sondés, on en compte 66% qui ont déjà dû mettre en place une stratégie pour éviter de subir des violences en ligne comme, utiliser la fonction « signaler », mettre son compte personnel en privé, supprimer ou bloquer des individus, masquer sa véritable identité, ne pas publier de photos de soi…

Face à une vague de harcèlement numérique, ils se sentent d’abord en colère (33%), mais aussi impuissants (15%) et démunis (9%). Seuls 4% portent plainte. Les Français se sentent ainsi démunis et sont plus que demandeurs d’une régulation de l’espace numérique quant au cyberharcèlement et aux cyberviolences.

Le droit français comme européen peine souvent à s’adapter face au monde digital qui va toujours plus vite, et pourtant en quelques années le cyber-harcèlement s’est imposé comme un enjeu de société. Encore difficile à encadrer et à sanctionner, ce nouveau délit numérique, pourtant bien réel, n’a pas fini de faire parler de lui et de faire des victimes.

Le législateur doit continuer de mettre en place des barrières juridiques afin de contrer ce phénomène de cyberviolence grandissant.

Liens:

https://www.betterinternetforkids.eu/practice/awareness/article?id=1733931

https://what-europe-does-for-me.eu/fr/portal/2/P05

https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2016/571367/IPOL_STU(2016)571367_EN.pdf

https://www.20minutes.fr/societe/2936879-20201221-cyberharcelement-union-europeenne-va-forcer-plateformes-agir

https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20211124IPR18012/cyberviolence-a-caractere-sexiste-sanctions-harmonisees-et-aide-aux-victimes

https://www.20minutes.fr/arts-stars/web/3205975-20211227-mort-mava-chou-vlog-familial-cyberharcelement-youtubeuse-disparue-age-32-ans

https://www.bienpublic.com/societe/2021/12/14/cyberharcelement-comment-lutter-contre-et-se-proteger

https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-des-reseaux-sociaux/le-cyberharcelement-entre-action-publique-et-angles-morts