Face aux révélations des effets néfastes d’Instagram sur la santé mentale des adolescents, Facebook a annoncé la suspension du projet d’« Instagram Kids », version de l’application adaptée aux enfants de moins de 13 ans.
Cet abandon fait suite aux révélations du 14 septembre 2021 [1] faites par le Wall Street Journal. L’article en question avait notamment révélé que Facebook avait connaissance des dangers d’Instagram sur la santé mentale de ses utilisateurs. En effet, une étude interne divulguée par un lanceur d’alerte démontrait que l’application amplifiait le mal-être d’une bonne partie des adolescentes. Selon cette étude, « 32% des adolescentes ont déclaré que lorsqu’elles se sentaient mal dans leur corps, Instagram les faisait se sentir pires ».
Les opposants du réseau social y voient une victoire face à la prédominance des réseaux sociaux dans la vie des plus jeunes utilisateurs. De nombreuses associations de défense des droits de l’enfant s’étaient levées au moment de l’annonce du projet. Les études mises en avant par ces associations montraient déjà que les réseaux sociaux constituaient des facteurs de risques pour la santé physique et le bien-être des adolescents, certaines datant de 2017 [2].
Quant à Facebook, la société est restée évasive dans son communiqué et n’a divulgué aucune étude concernant les effets d’Instagram sur ses utilisateurs. Cette attitude donne un air de « déjà vu », certaines GAFAM préfèrent maintenir le doute sur les potentiels dangers de leurs services à l’instar des industriels du tabac au cours des années 50.
Des enfants déjà présents sur les réseaux :
Le géant américain a néanmoins justifié la nécessité de ce projet en mettant en avant le fait que les enfants utilisaient déjà ces réseaux et que le développement d’une version adaptée aux enfants était nécessaire pour leur sécurité.
La firme n’est d’ailleurs pas la première à avoir créé une plateforme adaptée aux moins de 13 ans, des versions de Youtube ou de Tiktok pour enfants sont déjà proposées.
Si le bien-fondé de la nécessité de créer une telle version d’Instagram est discutable, on ne peut nier que les enfants sont déjà présents sur ces plateformes. En effet, même si les conditions d’utilisation imposent un âge minimum de 13 ans, ces plateformes laissent la possibilité de mentir sur l’âge et n’effectuent aucune vérification d’identité. La possibilité de signaler un compte soupçonné d’appartenir à un enfant de moins de 13 ans est le seul outil proposé par l’application pour limiter ces utilisations frauduleuses.
Une enquête menée par l’Association Génération Numérique a d’ailleurs révélé que 63 % des moins de 13 ans ont au moins un compte sur un réseau social[3].
Un accès aux réseaux non règlementé :
Cette annonce met en lumière la nécessité de réglementer l’accès des mineurs aux réseaux sociaux. Même si l’on préfère s’abstenir de parler de « vide juridique », aucune disposition légale ou réglementaire ne régit à ce jour l’ouverture par un mineur d’un compte sur un site ou un réseau social [4].
Si l’on essaie de qualifier juridiquement ces faits, nous pouvons entrevoir un régime applicable à l’ouverture d’un compte sur un réseau social. En effet, la création d’un compte sur un réseau social peut être qualifié de conclusion de contrat. En créant un compte et en signant les conditions générales d’utilisation du service (CGU), un mineur s’engage de fait dans un lien contractuel.
Si l’article 8 du RGPD accorde la possibilité aux mineurs âgés de plus 15 ans à accepter un traitement de données, il n’en demeure pas moins que ce même article prévoit la supériorité du droit commun des contrats des états membres.
Du point de vue du droit commun des contrats, le mineur est incapable de contracter (Article 1146 du Code civil). Toutefois, l’article 388-1-1 du Code civil reconnait à l’enfant la possibilité d’effectuer certains “actes de la vie courante”. Il appartient donc au juge de déterminer si la création d’un compte sur un réseau social peut être considérée comme tel.
Certaines décisions se sont penchées sur la question. La Cour d’Appel d’Agen avait considéré que l’ouverture d’un compte Facebook pour un jeune enfant pouvait être considérée comme une mise en danger de celui-ci [5].
Dans sa décision du 25 juin 2015, la Cour d’appel de Versailles [6] a considéré que la publication de photographies de l’enfant sur un réseau social ne constituait pas un acte usuel et nécessitait l’accord des deux parents.
On ne peut que regretter ce « besoin de loi » dans un secteur qui impacte la vie des plus jeune. La position du législateur sur la question de l’accès des mineurs aux réseaux sociaux sera surement abordée dans un avenir proche, la prise de conscience des effets néfastes sur les enfants n’étant qu’à ses prémices.
Sources :
[1] Facebook Knows Instagram Is Toxic for Teen Girls, Company Documents Show – https://www.wsj.com/articles/facebook-knows-instagram-is-toxic-for-teen-girls-company-documents-show-11631620739
[2] Instagram Ranked Worst for Young People’s Mental Health – https://www.rsph.org.uk/about-us/news/instagram-ranked-worst-for-young-people-s-mental-health.html
[3] CNIL, Recommandation 1 : encadrer la capacité d’agir des mineurs en ligne -https://www.cnil.fr/en/node/121210
[4] BONFILS (P.) et GOUTTENOIRE (A.), Droit des mineurs, 3° édition, Dalloz, Juin 2021, p. 457
[5] CA Agen, ch. mat. 1, 16 mai 2013, n° 11/01886 : JurisData n° 2013-009716
[6] CA Versailles, 25 Juin 2015, RG 13/08349