Malgré sa position de marché le plus lucratif dans le domaine du jeu vidéo, la Chine s’est lancée dans une politique de censure et de restriction à l’encontre de l’industrie vidéoludique, et les conséquences se font déjà ressentir avec la fermeture d’un total de 14 000 studios chinois sur l’année 2021. Ces fermetures s’expliquent par le ralentissement considérable de l’approbation de nouveaux jeux tout au long de l’année 2021, poussant même certaines grandes sociétés chinoises du jeu vidéo à anticiper les pertes futures par des campagnes de licenciements. Néanmoins, ces conséquences sont le résultat d’un ambitieux projet élaboré par le gouvernement chinois, le principal objectif avancé étant la préservation de la jeunesse et la diffusion de valeurs dites convenables dans ce secteur dont l’influence accroit au fil des années.
Des limitations accrues autour du temps de jeu des mineurs
En effet, déjà en août 2021, la National Press and Publication Administration (NAAP), autorité régulatrice compétente en matière de jeu vidéo en Chine, mettait en place de nouvelles mesures qui renforçaient, par ailleurs, de précédentes restrictions visant le temps de jeu en ligne des personnes âgées de moins de 18 ans. Désormais, ce temps est limité à 3 heures de jeux par semaine en période scolaire, à savoir le vendredi, le samedi et le dimanche et seulement entre 20h et 21h, et tous les jours en période de vacances sur la même tranche horaire. De même, il est interdit aux joueurs mineurs de diffuser leurs parties en ligne. Si ces limitations ne concernent que les jeux en ligne, elles n’en restent pas moins considérables pour la communauté des joueurs chinois.
En outre, afin de contrôler le respect desdites mesures, le gouvernement se réfère aux données concernant les comptes des joueurs localisés en Chine, ce qui leur permet notamment de connaître l’âge des utilisateurs. La NAAP justifie cette décision par la volonté de protéger les jeunes face à « l’opium spirituel » que représenterait le jeu vidéo, associée à la défense des intérêts vitaux du pays, particulièrement dans un contexte de rajeunissement national.
Ralentissement des approbations des nouveaux jeux en ligne, et censure plus sévère des contenus
En septembre 2021, une décision du gouvernement a été mise en lumière au cours d’une réunion entre le Département de la propagande du Comité central du Parti communiste chinois, la NAAP, le Cyberespace Administration of China, le ministère de la Culture et du Tourisme, et d’autres acteurs particulièrement impliqués tels que Tencent et NetEase. Celle-ci visait à ralentir considérablement les approbations de nouveaux jeux en ligne, renforçant un précédent décret de 2018 qui avait gelé les approbations durant une période de neuf mois, avant d’être de nouveau mises à l’arrêt entre février et avril 2019, ce qui a eu pour effet la fermeture d’un total de 28 000 sociétés de jeu vidéo. De plus, la durée du nouveau ralentissement n’a pas été précisée et perdure encore aujourd’hui.
Afin d’assurer l’effectivité de ces mesures, les principales sociétés chinoises en matière de jeu vidéo, Tencent et NetEase, sont tenues d’effectuer des vérifications automatiques de l’âge des joueurs en imposant la liaison de chaque compte à une identité, et afin d’éviter les contournements, il a été mis en place un système de reconnaissance faciale préalable à la connexion au jeu. Par ailleurs, les autorités chinoises ont expliqué à Tencent et NetEase de ne pas se focaliser sur le seul objectif de générer des bénéfices pour davantage se dédier à la modification de la structure des jeux pouvant générer de l’addiction chez les joueurs.
Ces mesures ont pris effet en fin août 2021, accompagnées une nouvelles fois par des directives supplémentaires publiées par le Conseil d’Etat chinois. Il y est indiqué que les fournisseurs de services en ligne, particulièrement ceux relatifs aux jeux, au streaming et aux réseaux sociaux, se doivent de limiter autant que possible l’activité des mineurs sur internet, notamment au sujet des dépenses qu’ils peuvent y effectuer et du temps qu’ils peuvent y passer. De même, il leur est demandé de ne plus autoriser les mineurs de moins de 16 ans à s’inscrire sur les sites de streaming pour y diffuser du contenu.
En supplément des outils déjà utilisés pour vérifier leur activité, les directives posent également comme objectif l’implantation d’un système d’authentification en ligne nationalisé afin de contrôler plus aisément le comportement de ces derniers. L’objectif principal de cette politique est davantage précisé à cette occasion : Faire augmenter à 96% le taux de réussite au programme éducatif qui s’étend sur une période de 9 ans, plus précisément de l’âge de 6 ans à 14 ans.
L’exigence de « valeurs convenables » imposées aux développeurs de jeux vidéo
En dépit des nombreuses restrictions imposées par le gouvernement chinois, il est rappelé aux régulateurs que le jeu vidéo doit être considéré comme un art et non seulement comme du divertissement, et que donc, il se doit de véhiculer des « valeurs convenables ». Dès lors, à titre d’exemple, un mémo précise qu’un jeu qui encouragerait le joueur à tuer des personnages fictifs devra faire l’objet d’une censure. La liberté de choix face à certains dilemmes moraux, composante de plus en plus présente dans les productions récentes, se voit grandement altérée par ces mesures.
De même, l’attention est particulièrement portée vers les jeux ayant une dimension historique, puisqu’il est demandé à ce qu’ils ne modifient pas les faits et ne cherchent pas à provoquer volontairement la polémique. En outre, les jeux vidéo proposant une réalité alternative du monde réel à partir de faits historiques feront l’objet d’une analyse, d’autant plus si le Japon et l’Allemagne Nazie sont impliqués. Il est à noter que depuis septembre 2013, les entreprises chinoises du jeu vidéo ont signé un accord d’autorégulation qui les contraint à restreindre ou supprimer les contenus jugés inappropriés par le gouvernement chinois.
La perspective d’une uniformisation du marché
Au regard du poids titanesque que représente le marché chinois dans l’industrie du jeu vidéo, ces mesures restrictives inquiètent les investisseurs de par le monde. En effet, d’après le site Marketing to China, le marché vidéoludique en Chine s’élèverait à 665 millions de joueurs. Ainsi, se priver d’une telle communauté semble inenvisageable pour les éditeurs et développeurs étrangers, même si cela implique de se confronter à la sévère censure chinoise, expliquant qu’une grande majorité des jeux ne sont pas publiés en Chine.
Même si les jeux mobiles constituent une large majorité des bénéfices réalisés en Chine, on peut se demander si le développement des jeux à budget important sur consoles et PC ne va pas, dans une certaine mesure, s’aligner sur les standards chinois pour être éligible à une publication sur le territoire. Par ailleurs, une partie des grandes entreprises de jeu vidéo ont déjà formé des accords avec les sociétés chinoises. Par exemple, Blizzard s’est associé à NetEase pour que ces derniers gèrent la publication de World of Warcraft, ou encore Nintendo qui laisse soin à la société Tencent de publier ses jeux.
De surcroît, la Chine a récemment rendu inaccessible la version globale de Steam en fin d’année 2021, qui présentait la seule alternative à la version chinoise de la plateforme. En conséquence, les joueurs n’ont désormais plus accès aux 110 000 jeux que proposait Steam Global, et seulement à la petite centaine de jeux de la version disponible sur le territoire chinois.
Dès lors, au regard de l’intensification des mesures décrétées par le gouvernement chinois, une amélioration de la situation ne semble pas être envisageable. En revanche, un intérêt devra être portée sur l’évolution de cette situation en 2022 ainsi que la réaction des principaux éditeurs et développeurs étrangers face aux différentes contraintes de publication sur le territoire chinois, et tout particulièrement si ce ralentissement des approbations venait à s’étendre sur plusieurs années.
Sources :
- GOH Brenda, « Three hours a week: Play time’s over for China’s young video gamers », Reuters, 31 août 2021
- YE Josh, « China’s regulators said to slow their approval of new online games, as Beijing’s campaign against gaming addiction heats up », South China Morning Post, 9 septembre 2021
- QU Tracy, « China seeks more curbs on gaming and live-streaming in 10-year plan on children’s development », South China Morning Post, 27 septembre 2021.
- YE Josh, « New video game approvals dry up in China as internal memo shows that developers now have many red lines to avoid », South China Morning Post, 29 septembre 2021
- YE Josh, « China gaming crackdown: freeze on new video game licences extends into 2022 as 14,000 gaming-related firms shut down », South China Morning Post, 31 décembre 2021