L’émergence des services de vidéos à la demande par abonnement dans le paysage audiovisuel français demande à modifier et à adapter les règles en vigueur, notamment la chronologie des médias. Après de multiples tentatives et négociations, cette dernière pourrait enfin connaître une évolution.
La chronologie des médias en France
La chronologie des médias représente les écarts temporels fixés entre la diffusion d’un long métrage distribué en salle de cinéma lors d’une sortie nationale et sa mise à disposition sur d’autres supports. Elle permet ainsi de limiter la concurrence entre les différents diffuseurs d’une œuvre cinématographique, tout en donnant la possibilité aux producteurs de celle-ci de bénéficier des meilleurs conditions d’exploitation de leur œuvre dans le temps. Actuellement, après sa première diffusion dans un cinéma, une œuvre ne peut être disponible en DVD et en vidéos à la demande que 4 mois après sa sortie en salle et ne peut être diffusée sur une chaîne payante comme Canal+ avant un délai de 8 mois. La disponibilité sur une chaîne gratuite comme TF1 est plus longue, 22 mois. Un service de vidéos à la demande par abonnement, tel que Netflix, doit quant à lui attendre 36 mois.
La difficile mise en place d’une nouvelle chronologie des médias par les acteurs du secteur
Cette chronologie des médias fait l’objet de nombreuses controverses depuis ces dernières années, certains estimant qu’elle reste nécessaire afin de préserver les intérêts des différents acteurs du secteur, tandis que d’autres la considèrent obsolète, n’étant plus représentative du monde audiovisuel actuel. En effet, à l’heure de l’émergence des plateformes de vidéos à la demande, elle est de plus en plus perçue comme étant une contrainte empêchant de satisfaire pleinement aux besoins des consommateurs. La détermination d’une nouvelle chronologie des médias a provoqué de nombreux débats entre les différents acteurs audiovisuels et cinématographiques, puisqu’en France ils participent à la détermination des règles. L’ordonnance du 21 décembre 2020 ainsi que le décret n° 2021-73 du 26 janvier 2021 leur avait imposé de fixer une nouvelle chronologie des médias jusqu’au 31 mars 2021, mais les négociations furent difficiles et n’aboutirent à aucun accord. La société Canal Plus avait même formé, sans succès, un recours en référé devant le Conseil d’Etat, critiquant très fortement les délais imposés aux acteurs de l’audiovisuel par le Gouvernement pour la refonte de la chronologie des médias.
L’impatience des nouveaux géants de l’audiovisuel en l’absence de réforme
C’est dans ce cadre qu’est entré en vigueur, le 1er juillet 2021, le Décret n° 2021-793 imposant aux services de vidéos à la demande par abonnement, qui siègent en France comme à l’étranger, d’investir 20% à 25% de leur chiffre d’affaires réalisé dans l’hexagone, dans la création française et européenne. En contrepartie, il leur a été promis l’adoption d’une nouvelle chronologie des médias. Impatient de la mise en place de cette dernière réforme, le géant américain Netflix avait notamment déposé le 24 août 2021 un recours gracieux à l’encontre du décret en adressant une lettre à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Celui-ci ouvrait un délai supplémentaire de 2 mois afin que les acteurs du secteurs trouvent enfin un accord, avec la possibilité pour Roselyne Bachelot, dans le cas contraire, d’imposer unilatéralement par décret des nouvelles règles.
De même, il a été évoqué que la société Disney songerait à arrêter la diffusion de ses films en salles de cinéma pour ainsi les proposer directement sur sa plateforme de vidéos à la demande par abonnement, Disney Plus, dans l’objectif de contourner les règles françaises contraignantes. De surcroît, la société WarnerMedia a annoncé lors du projet d’expansion européen de sa plateforme HBO Max que ses productions cinématographiques seraient proposées sur celle-ci 45 jours après leurs diffusions au cinéma. Ce délai serait impossible à tenir en France, alors que le lancement de la plateforme pourrait avoir lieu aussi tôt que 2023 dans l’hexagone. WarnerMedia pourrait de ce fait songer à diffuser directement ses films sur son service streaming, comme l’envisagerait Disney. Le PDG de la société Pathé estime que cela pourrait entraîner des conséquences désastreuses pour le secteur, notamment pour la production des films français indépendants qui bénéficient grandement des entrées réalisées par les blockbusters produits par ces sociétés américaines.
Un accord inédit permettant l’avènement d’une nouvelle chronologie des médias
Pour le plus grand plaisir des acteurs du secteur de l’audiovisuel et des consommateurs, ces scénarios catastrophes vont être évités. En effet, le 2 décembre 2021, Canal+ a enfin passé un accord avec la filière du cinéma français. Celui-ci permettra à la société de rester le principal financeur et diffuseur du cinéma en France, puisqu’elle distribuera environ 190 millions d’euros par an dans le secteur. De plus, Canal+ a obtenu certains autres avantages, comme l’assurance qu’aucune chaîne gratuite puisse proposer simultanément plus de 10 films sur son service de rattrapage.
Mais le plus grand apport de cette convention inédite est qu’elle permet de débloquer une nouvelle chronologie des médias en France à partir de 2022. Ainsi, une chaîne cryptée à l’instar de Canal+ pourra à présent diffuser des films 6 mois après leur sortie au cinéma. Les plateformes de vidéos à la demande par abonnement pourront quant à elles le faire après une durée de 15 mois. C’est donc un changement important par rapport aux 36 mois d’attente requis actuellement, même s’il ne s’agit toujours pas d’une fenêtre de 12 mois comme elles l’avaient espéré.
Sources :
Décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande
CE, ord. 31 mars 2021, n° 450638, n° 450645
LE ROY M., Droit de l’audiovisuel: Le droit positif, ce qui va changer, ce qui pourrait changer, 2020, 139 p.
ARCELIN L., The growing convergence of audiovisual markets, Competition Forum, 2021, n° 0016
CHOPPIN D., « Netflix et les autres plateformes vont devoir respecter de nouvelles règles en France, voici ce que ça va changer », Business Insider France, publié le 24 juin 2021
RENAULT E., « Netflix a déposé un recours gracieux contre le décret Smad », Le Figaro, publié le 9 septembre 2021
KESLASSY E., « France’s Windowing Reform in Deadlock Over SVOD and TV Channels’ Conflicting Interests », Variety, publié le 20 septembre 2021
MIDDLETON R., « WarnerMedia eyes major European markets as HBO Max expands », Television Business International, publié le 5 octobre 2021
MADELAINE N., « EXCLUSIF – Canal+ fait la paix avec le cinéma français », Les Échos, publié le 2 décembre 2021, disponible sur www.lesechos.fr