Préalablement à l’instauration de l’article 17 de la directive du 17 avril 2019, les plateformes de partage de contenus en ligne bénéficiaient du statut des hébergeurs. Grâce à ce dernier, les plateformes ne pouvaient être jugées responsables de violation des droits de propriété intellectuelle que dans deux situations : soit lorsqu’elles ont participé à la violation des droits, soit lorsque la violation leur a été notifiée et qu’elles n’ont pas agi promptement pour y mettre un terme.
Le régime instauré par l’article 17 de la directive n° 2019/790
Depuis la transposition de l’article 17 de la directive (UE) n°2019/790 dans les articles L 137-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, le régime applicable aux fournisseurs d’un service de partage de contenus en ligne a été modifié.
Cet article impose à ces derniers d’obtenir une autorisation des titulaires de droit avant tout acte de communication au public ou de mise à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés. Partant de ce postulat, en l’absence d’une telle autorisation, « les fournisseurs de partage de contenus en ligne sont responsables des actes non autorisés de communication au public, y compris à la mise à disposition du public, d’œuvres protégées par le droit d’auteur et d’autres objets protégés ».
Toutefois, l’article prévoit une possibilité d’exonération de responsabilité des fournisseurs s’ils parviennent à démontrer les trois conditions suivantes :
« a) ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation ; et
b) ils ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires ; et en tout état de cause
c) ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient téléversés dans le futur, conformément au point b) ».
Ce sont précisément les points b) et c) de l’article 17 qui ont fait l’objet d’un recours initié par la République de Pologne devant la Cour de justice de l’union européenne estimant que le régime instauré par cet article ne respecte pas les droits fondamentaux que sont les droits à la liberté d’expression et d’information. Ainsi, l’obligation de surveillance imposée aux fournisseurs sur les contenus mis en ligne par les utilisateurs représente selon la Pologne une atteinte trop importante aux droits préalablement énoncés.
La CJUE reconnait l’obligation de filtrage mis en place par l’article 17
La Cour reconnait que les fournisseurs de partage de contenus en lignes sont « contraints de recourir à des outils de reconnaissance et de filtrage automatiques ».
Par ailleurs, elle vient souligner le fait que « ni les institutions défenderesses, ni les intervenants n’étaient en mesure, lors de l’audience devant la Cour, de désigner des alternatives possibles à de tels outils ».
Dès lors, elle vient affirmer qu’« un tel contrôle et un tel filtrage préalables sont de nature à apporter une restriction à un moyen important de diffusion de contenus en ligne et à constituer, ainsi, une limitation du droit garanti à l’article 11 de la Charte », garantissant les droits à la liberté d’expression et d’information.
En outre, elle relève que l’article 17 « précise expressément que la « coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droit ne conduit pas à empêcher la mise à disposition d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par les utilisateurs qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins, y compris lorsque ces œuvres ou autres objets protégés sont couverts par une exception ou une limitation » à ces droits ».
Le régime instauré par l’article 17 ne doit pas permettre aux plateformes de restreindre des contenus qui ne portent en aucun cas atteinte au droit d’auteur ou aux droits voisins. Les contenus téléversés qui revêtent un caractère licite ne doivent pas faire l’objet d’une restriction ou d’un blocage par le système de filtrage des fournisseurs de contenus.
Ce point précis vient soulever des questionnements et poser une limite au régime de l’article 17. En effet, la Cour vient rappeler qu’« un système de filtrage qui risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de telle sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entrainer le blocage de communications à contenu licite, serait incompatible avec le droit à la liberté d’expression et d’information, garanti par l’article 11 de la Charte, et ne respecterait pas le juste équilibre entre celui-ci et le droit de la propriété intellectuelle ».
Limite de l’obligation de filtrage mis en place par l’article 17
En ce sens, les juges précisent que doivent passer le barrage des contenus considérés comme licites les œuvres relevant du domaine public, les œuvres faisant l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs, ainsi que les contenus faisant exception au droit d’auteur.
Ainsi, concernant cette dernière catégorie, le filtrage des contenus téléversés ne doit pas empêcher les utilisateurs de partager des « contenus par eux aux fins spécifiques de la citation, de la critique, de la revue, de la caricature, de la parodie ou du pastiche ».
Or, on peut se poser la question de l’efficacité de ce système de filtrage à deux niveaux.
Dans un premier temps, permet-il d’empêcher le moindre contenu illicite d’être posté par un utilisateur ?
Dans son arrêt, la Cour évoque uniquement le fait que, dans certaines situations, « la disponibilité de contenus non autorisés protégés par le droit d’auteur ne puisse être évitée que sur notification des titulaires de droit ».
Dès lors, elle reconnait que ce système ne saurait être considéré comme étant fiable à 100%, ce qui implique que la notification ne doit pas être complètement délaissée au profit de ce système de filtrage dans l’hypothèse où un contenu illicite réussirait à passer à travers les mailles du filet.
A l’inverse, on peut se poser la question de savoir si ce système de filtrage permet à tous les contenus bénéficiant d’une exception au droit d’auteur de pouvoir être postés sans être censurés.
En effet, on peut envisager l’hypothèse où ce système de filtrage va instantanément bloquer le moindre morceau d’une œuvre protégée, alors même que celui-ci a été utilisé dans le cadre d’une exception au droit d’auteur, telle qu’une œuvre parodiée.
A cet égard, l’article 17 prévoit « plusieurs garanties de nature procédurale » dans le cas où le système automatisé aurait commis une erreur en ayant retiré un contenu bénéficiant d’une exception.
Considérant ces limites, il incombe aux États membres « de veiller à se fonder sur une interprétation de cette disposition qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par la Charte ».
La Cour rappelle qu’il est de leur devoir de mettre en œuvre cette disposition tout en respectant scrupuleusement le principe de proportionnalité, ainsi que les droits fondamentaux.
Pour autant, l’arrêt rendu par la Cour ne permet pas d’éclairer d’avantage les États membres sur la manière de concilier, concrètement, ce système de filtrage avec le respect des exceptions au droit d’auteur.
Elle sera possiblement amenée à apporter des précisions dans des décisions futures.
Sources :
Décision de la CJUE 26 avril 2022 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:62019CJ0401
Directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019L0790&from=DA
Article de Next Inpact : “Article 17 : la justice européenne valide le filtrage, s’il respecte les exceptions au droit d’auteur” : https://www.nextinpact.com/article/69015/article-17-justice-europeenne-valide-filtrage-sil-respecte-exceptions-au-droit-dauteur
A. Lucas, “Rejet du recours de la Pologne contre l’article 17 de la directive (UE) n° 2019/790”, L’essentiel du droit de la propriété intellectuelle : https://www-labase-lextenso-fr.lama.univ-amu.fr/lessentiel-droit-de-la-propriete-intellectuelle/DPI200v6?em=CJUE%2026%20avril%202022