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Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.
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« Touche pas à mon poste ! », une émission dont on connait inévitablement le nom sans pour autant être friand de tels programmes télévisés. Une émission qui a pour habitude de se retrouver souvent au cœur de polémiques. En effet, son animateur, Cyril Hanouna, (faut-il encore le présenter ?) est réputé pour ne pas avoir sa langue dans sa poche et aller parfois trop loin dans les propos qu’il tient à l’antenne et ce, devant près de 2 millions de téléspectateurs.
Pour preuve, la chaîne de télévision C8 a été mise en demeure par l’Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ci-après dénommée l’Arcom, à la suite de la diffusion, dans l’émission « Touche pas à mon poste ! » les 18, 19 et 24 octobre 2022, de séquences au cours desquelles sont survenus des manquements dans le traitement de l’affaire du meurtre de Lola.
Rappel des faits
Le 14 octobre 2022 le corps de Lola Daviet, une jeune fille âgée de 12 ans, a été retrouvé dans une malle, à proximité de l’immeuble dans lequel elle résidait, avec sa famille, dans le 19ème arrondissement de Paris. Il s’avérera que la jeune fille a été torturée et violée avant d’être assassinée.
Bouleversant la France entière, le meurtre de Lola a fait l’objet d’une très forte médiatisation pendant plusieurs semaines.
Le portrait de la principale suspecte va très rapidement être diffusé au public : il s’agit d’une ressortissante algérienne âgée de 24 ans qui était sous l’effet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) depuis la fin du mois d’août 2022.
Comme le rappelle l’Arcom dans sa décision rendue le 16 novembre 2022, lors du programme du 18 octobre 2022, « l’animateur de l’émission a exprimé à plusieurs reprises son opinion quant aux réponses pénales à apporter aux meurtres d’enfants ». En effet, ce dernier a déclaré notamment « Pour moi, il n’y a même pas de débat, je suis désolé, c’est perpétuité ».
Au cours de cette même émission, il a également partagé sa position concernant l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes de maladies mentales en affirmant les propos suivants : « Quand on dit elle n’est pas bien, moi je vais vous dire, je peux plus entendre ça, il n’est pas bien, il est déséquilibré, c’est devenu la principale défense des avocats, dans ce genre de drame, et je vous le dis c’est un deuxième drame pour la famille ».
Le lendemain, soit le 19 octobre 2022, l’affaire du meurtre de Lola est revenue sur le tapis, et Cyril Hanouna a réaffirmé les propos tenus la veille : « moi j’avais dit et je le redis ce soir, je n’ai pas peur de le redire : pour ce genre de personnes pour moi le procès doit se faire immédiatement. C’est procès immédiat, c’est en quelques heures et terminé, c’est perpétuité direct ».
Enfin, quelques jours plus tard, le 24 octobre 2022, le présentateur a déclaré « il faut bien sûr un procès, mais il faut un procès rapide. Et il faut une perpétuité rapide. Je ne vois pas pourquoi on se pose la question dans un cas comme celui-là. » Il s’est également prononcé sur le statut de présumé coupable de la principale suspecte en affirmant : « aujourd’hui la présumée coupable, il y a très peu de chance, on sait que c’est une présumée coupable, on dit, on utilise le mot présumée mais pour tout le monde c’est la coupable. Elle a fait des aveux en plus ».
Un manquement à l’obligation de « traiter avec mesure une affaire judiciaire en cours »
Face à de tels propos, l’émission « Touche pas à mon poste ! » a suscité de nombreuses réactions de la part des téléspectateurs. Par ailleurs, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti a déclaré que les propos tenus par le présentateur de l’émission constituaient une « négation de l’État de droit, qui nous protège tous » et a poursuivi en affirmant que « le balayer pour flatter les bas instincts, faire de l’Audimat, c’est quelque chose qu’à titre personnel je ne peux pas accepter ».
L’Arcom a alors été saisie à plusieurs reprises et a jugé que ces différentes séquences de l’émission traduisaient « un manquement de l’éditeur à l’obligation de traiter avec mesure une affaire judiciaire en cours ».
Cette obligation qui pèse sur l’éditeur est inscrite dans la délibération n°2018-11 du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.
Son article 1er prévoit que « l’éditeur d’un service de communication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent ».
De plus, il est chargé de veiller « au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne ».
L’article 3 de ce même texte précise qu’il doit être apportée une « attention particulière » concernant les éléments relatifs à une procédure judiciaire afin de respecter notamment le droit à la présomption d’innocence.
Dans le même sens, « lorsqu’une procédure judiciaire en cours est évoquée à l’antenne, l’éditeur doit veiller à ce que l’affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté ».
Conformément à ce texte, l’Arcom considère que les émissions de « Touche pas à mon poste ! » des 18, 19 et 24 octobre 2022 « traduisent un défaut de mesure de l’évocation d’une procédure judiciaire criminelle en cours, dans le cadre, au surplus, d’un programme bénéficiant de larges audiences ». De surcroit, le gendarme de l’audiovisuel considère également que ces trois émissions ne respectent pas le droit à la présomption d’innocence.
Un manquement à l’obligation de contradiction
Pour terminer, l’Arcom relève que lors de l’émission du 24 octobre, l’animateur s’est « exprimé longuement, sans interruption, sur la question de la réponse pénale à apporter aux meurtres d’enfants ». Or, cette réponse relève « des questions prêtant à controverse nécessitant que l’éditeur assure l’expression de différents points de vue ». En l’espèce, aucune contradiction n’a été apportée, « seule une brève nuance », formulée par un invité de l’émission, a été évoquée plus tard dans l’émission. En conséquence, l’Arcom a jugé qu’« une opinion a été présentée dans des conditions conduisant à un déséquilibre marqué dans l’analyse d’un sujet dont l’extrême sensibilité et le caractère controversé imposaient qu’il donne lieu à la présentation de différents points de vue », situation qui caractérise un manquement de la part de l’éditeur.
Une sanction suffisante ?
En conséquence, l’Arcom met en demeure la société C8 « de se conformer à l’avenir aux règles relatives à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent ».
Toutefois, la mise en demeure annoncée, dépourvue d’une quelconque sanction financière, peut sembler relativement clémente.
Restera-t-elle un simple avertissement vierge de toutes sanctions ? Ou bien est-elle une étape préparant le terrain à une punition plus lourde ? Nous aurons la réponse ultérieurement…
Sources :
Délibération n°2018-11 du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent : https://www.csa.fr/Reguler/Espace-juridique/Les-textes-adoptes-par-l-Arcom/Les-deliberations-et-recommandations-de-l-Arcom/Recommandations-et-deliberations-du-CSA-relatives-a-d-autres-sujets/Deliberation-n-2018-11-du-18-avril-2018-relative-a-l-honnetete-et-a-l-independance-de-l-information-et-des-programmes-qui-y-concourent
Communiqué de presse de l’Arcom du vendredi 18 novembre 2022 : https://www.arcom.fr/sites/default/files/2022-11/CP-Dossier%20Lola-l%27Arcom%20met%20en%20demeure%20la%20chaîne%20C8_0.pdf
Décision n°2022-704 rendue par l’Arcom : https://www.arcom.fr/sites/default/files/2022-11/Décision%20du%2016%20novembre%202022%20mettant%20en%20demeure%20la%20société%20C8.pdf
Article de franceinfo culture publié le 18/11/2022 : https://www.francetvinfo.fr/culture/tv/cyril-hanouna/meurtre-de-lola-l-arcom-met-en-demeure-la-chaine-c8-pour-son-emission-touche-pas-a-mon-poste_5484918.html