Nouveau record pour le Twitch Français réalisé ce samedi 19 novembre : une affluence spectaculaire des streamers !
Le « Eleven All Stars » est un bel exemple pour démontrer l’ampleur inédite des créateurs de contenus sur Internet. Cet événement initié par le streamer @aminematue a battu le record d’audience sur le Twitch français avec un pic à 1,155,060 millions de viewers simultanés. Qui plus est, Amine est devenu le streamer le plus regardé au monde durant ces sept derniers jours durant lesquels il a accumulé seulement huit heures et demie de live et près de 3,9 millions d’heures de vue.
Amine a fait le choix de diffuser l’événement juste avant l’ouverture de la compétition la plus attendue de l’année : la coupe du monde de football au Qatar. Véritable surprise générale, le Eleven All Stars a marqué l’histoire d’Internet et démontre la puissance des plateformes, nous poussant à nous interroger sur leur avenir ainsi que sur les conséquences qu’elles pourraient avoir sur les médias dits « traditionnels ».
D’ailleurs, même si le match ne s’inscrivait pas dans une compétition officielle, de nombreuses questions juridiques gravitent autour, telles que la place de droits de propriété intellectuelle ainsi que les formes de réglementation devant s’y attacher.
Qu’est ce que le « Eleven All Stars » ?
S’ils sont davantage connus pour leur temps dévoué à des jeux vidéo, c’est sur un véritable terrain que les streamers se sont imposés devant des millions de personnes. Ainsi, deux équipes formées de streamers, influenceurs et youtubeurs français et espagnols se sont affrontées lors d’un match de football digne des grandes compétitions traditionnelles.
Les bleus ont prédominé tout au long du match, mettant chaos l’Espagne avec 2 but à 0. Entre défenses et attaques, toute la toile a réagi durant les 90 minutes ; d’ailleurs le tacle de Zack Nani envers Telmo a fait beaucoup de bruit.
Les joueurs, bien qu’amateurs, ont su relever le défi : gravant en mémoire leur performance dans l’esprit de beaucoup.
Sponsors (Micromania, Adidas, Xbox, Igraal), partenaire média Canal +, production millimétrée, guichets fermés, interviewer (de Canal +), commentateurs (ancien de BeIn Sports), arbitres professionnels, dispositifs d’arbitrage vidéo (24 caméras)…
Sans aucun doute, l’événement réunissait tous les éléments constitutifs d’un véritable match de football distribué à la télévision ! La seule véritable différence était le canal de diffusion : Twitch.
Pour rappel, Twitch (créé en 2011) est une plateforme de partage de vidéo en direct et à la demande. Chacun peut ainsi créer une chaine et diffuser des lives. Il existe un espace réservé aux commentaires, permettant ainsi aux viewers d’interagir directement avec le streamer. Twitch a eu un essor considérable notamment par le biais des lives de jeux vidéos où les joueurs filmaient en direct leur réaction et leurs jeux simultanément.
Mais la plateforme s’est diversifiée et aujourd’hui nous trouvons tout type de live : le Eleven All Stars en est une parfaite illustration.
Les lives regroupent alors des milliers de vues voire des millions pour certains. Ils attirent une génération plutôt jeune : 73% des utilisateurs ont moins de 35 ans.
Les streamers s’apparentent à de véritables concurrents aux médias traditionnels, dont certaines chaines ont de plus en plus de mal à dépasser l’audience réalisée par ces derniers.
D’ailleurs, le « Eleven All Stars » n’est qu’une continuité de ce qui a déjà été réalisé dans le passé. Ainsi, le Z Event ou encore le GP Explorer ont également fait exploser les records d’audience sur Twitch.
Pour le cas du GP Explorer, il s’agissait d’une compétition automobile organisée par le célèbre Youtubeur Squeezie (17,5 millions d’abonnés) et réunissait 22 influenceurs connus sur Youtube et Twitter. Lucas, de son vrai nom, a su (tout autant qu’Amine) révolutionner les codes d’Internet. Tout l’évènement était comparable au plus grand championnat de formule 1, rassemblant plus de 400.000 personnes sur place et près d’1 million sur Twitch. Le GP Explorer a notamment été initié en partenariat avec la Fédération Française du Sport Automobile et l’Automobile Club de l’Ouest et s’est déroulé au célèbre circuit Bugatti du Mans.
Bref, les nouveaux acteurs du Web prennent une place de plus en plus importante nous interrogeant ainsi sur la réglementation applicable aux plateformes en ligne telles que Twitch et sur les conséquences de leur ampleur inédite.
La réglementation des plateformes en ligne
La définition légale a été donnée par l’article L. 111-7 du code de la consommation lui même issu de l’article 49 de la loi pour une République numérique :
« Est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :
1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service. »
L’article 1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) définit le la notion de communication au public en ligne, il s’agit de « toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur. »
Dès lors, il ne faut pas confondre les services de communication au public en ligne avec ceux de communication audiovisuelle car ce ne sont pas les mêmes droits qui s’y appliquent.
Ainsi la loi du 30 septembre 1986 modifiée définit la communication audiovisuelle comme : « toute communication au public de services de radio ou de télévision, quelles que soient les modalités de mise à disposition auprès du public, ainsi que toute communication au public par voie électronique de services autres que de radio et de télévision et ne relevant pas de la communication au public en ligne telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. »
Mais la frontière entre les deux services n’est pas si étanche que cela, et le juge n’hésite pas à requalifier des services lorsque les circonstances s’y prêtent (décision sur les recettes pompettes). Ainsi, un certain nombre de services de publication en ligne ont été requalifiés en service de média audiovisuel en dépit des créateurs de contenus : c’est un régime beaucoup plus restrictif qui s’y attache.
Dès lors, si Twitch s’apparente à un opérateur de plateforme en ligne, dont le droit applicable est la LCEN, il n’empêche que les contenus postés par certains streamers pourraient alors relever de la loi du 30 septembre 1986 en raison de leur qualité « de communication audiovisuelle ».
Et c’est tout l’enjeu que prennent les nouvelles formes des vidéos postées sur le net. Beaucoup de Youtubeurs, et maintenant streamers, font appel à de grosses boites de production et génèrent une masse d’argent grâce aux vues. Aussi, désormais les médias traditionnels sponsorisent et diffusent également en ligne, dès lors nous avons de plus en plus de mal à opérer la distinction entre communication audiovisuelle et communication en ligne.
Le droit lui aussi souffre de ces nouvelles innovations et réagit assez lentement face à ces dernières. D’ailleurs tout le corpus de textes applicables à ces communications est principalement basé sur des renvois et articles longs voire incompréhensibles pour des non-spécialistes, certains qualifient d’ailleurs cette législation d’illisible… Serait-il temps de réformer et mettre à jour tout cela face à l’évolution des modes de consommation ?
Eleven All stars : une œuvre de l’esprit ?
Si tout le monde est d’accord pour dire que l’évènement fut une première et original, le considérer comme une œuvre de l’esprit serait plutôt utopique.
Effectivement, un spectacle sportif ne peut pas être être protégé par le droit d’auteur car les joueurs sont dans un cadre prédéterminé et leur liberté de création artistique est limitée aux règles du jeu. Néanmoins, le code du sport réserve un droit au producteur et certains auteurs considèrent que ce droit doit s’analyser comme un droit voisin du droit d’auteur, à l’image notamment du droit du producteur de vidéogramme ou du phonogramme.
Cependant des droits de propriété intellectuelle pourraient exister autour de tout ce qui a été créé autour de l’événement : logo, maillot de football, musique d’entrée des joueurs espagnols…
Et les participants : de véritables artistes du spectacle ?
La présomption de salariat des artistes du spectacle (prévue à l’article L. 7121-3 du code du travail) ne s’applique pas au sportif dont les conditions d’exercice sont définies au premier alinéa du présent article.
Habituellement, la qualité d’artiste du spectacle n’est pas reconnue aux sportifs puisque celle-ci se déroule dans le cadre de compétitions sportives. Mais la jurisprudence a pu admettre qu’une compétition sportive ayant fait l’objet de beaucoup de publicité, attirant un large public et se déroulant dans un contexte musical et festif ne revêtait pas la qualité de compétition, mais la qualité de spectacle et que donc les sportifs étaient des artistes du spectacle (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 22 janvier 2020).
Ainsi pour les participants du Eleven All Stars, la question d’artiste du spectacle peut se poser. Effectivement, l’évènement s’est déroulé dans une ambiance festive et musicale, avec en ouverture de match un concert de Gazo, Koba la D et Niska. D’ailleurs, si Amine a annoncé un match retour, celui-ci ne s’inscrivait dans aucune compétition officielle. Notons aussi que près de 20.000 spectateurs étaient présents et ont acheté leurs places entre 20 et 50 euros. Dès lors, toutes les conditions énoncées semblent réunies…
L’étau se resserre donc entre le stream et les événements sportifs et encore plus entre les productions publiées par les acteurs en ligne et les acteurs audiovisuels.
Le Eleven All Stars soulève ainsi différentes problématiques juridiques mais une chose est sûre, l’évènement marque un tournant dans le monde du streaming, comme l’a annoncé Amine à la fin du match :
« Ça sonne un peu comme un clap de fin, mais je vous jure qu’on vient juste d’enfoncer une porte, c’est que le début vous êtes pas prêts, j’ai trop de dingueries en tête ».
@Aminematue
Sources
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006421540/
https://wethenew.com/blogs/le-blueprint/eleven-all-stars-amine-record-twich-meilleurs-moments
https://www.spreadshop.com/fr/blog/2022/03/25/25-questions-reponses-faire-de-largent-sur-twitch/
https://www.telerama.fr/ecrans/z-event-sur-twitch-les-streamers-battent-un-nouveau-record-de-dons-7012026.php
https://fr.wikipedia.org/wiki/Twitch
http://www.marche-public.fr/Marches-publics/Textes/Lois/LCEN/loi-2004-575-LEN.htm