Au mois d’octobre, le rappeur Kanye West, qui se fait désormais appeler Ye, s’est une nouvelle fois fait particulièrement remarquer sur la toile, puisqu’il a tenu des propos antisémites sur les réseaux sociaux, ce qui lui a valu un bannissement de Twitter et d’Instagram.
Le bannissement de Kanye West des réseaux sociaux Twitter et Instagram pour violation du règlement
Le dimanche 9 octobre 2022, un porte-parole de Twitter a annoncé à l’AFP que le compte de Kanye West avait était restreint pour violation du règlement d’utilisation. Instagram, a indiqué avoir supprimé certains contenus, mais sans préciser lesquels, pour violation du règlement et a restreint l’accès au compte en empêchant le rappeur de pouvoir publier, rédiger des commentaires ou des messages privés.
Entre le 8 et le 9 octobre 2022, le rappeur a tenu des propos antisémites et particulièrement choquants envers la communauté juive sur Twitter et Instagram, notamment par rapport au fait qu’il souhaitait entrer en guerre avec eux au motif qu’ils « contrôlent le monde ».
Alors qu’il n’était pas revenu sur la plateforme à l’oiseau bleu depuis deux ans, il a posté un tweet en employant le terme militaire « DEFCON-3 » qui est un niveau d’alerte des forces armées des États-Unis, qui représente l’état de guerre, en l’occurrence à l’égard de la communauté juive.
Sur Instagram, il a posté des captures d’écrans de ses messages avec Sean Combs, plus connu sous le nom de Puff Daddy, star du hip-hop, à la suite d’une querelle concernant la polémique du t-shirt que portait Kanye West à la Fashion Week avec l’inscription « White Lives Matter ». Dans ces captures d’écran, Kanye West va se servir de son ami pour démontrer que la communauté juive le menaçait et voulait le faire taire.
Il n’en a pas fallu plus pour que les internautes réagissent, de sorte que ces propos vont nourrir la polémique à l’égard du rappeur et vont faire grandir des mouvements auprès de groupes suprémacistes blancs qui vont prendre une ampleur considérable.
Suite à ses propos, Instagram et Twitter suspendent temporairement les comptes du rappeur.
Courant du mois d’octobre, à l’occasion du podcast Drink Champs, Kanye West tient des propos selon lesquels des lobby juifs contrôleraient les médias et l’industrie du divertissement. Et ajoute également que « Vous vous habituez à ce que les paparazzis prennent une photo de vous, et vous n’en tirez pas d’argent. Vous vous habituez à être baisés par les médias juifs ».
Dans une interview de Piers Morgan du 21 octobre 2022, le rappeur se rectifie et justifie ses propos selon lesquels il s’adressait aux businessmen de la communauté juive, qui l’auraient escroqué en matière de contrats musicaux. Il va même présenter de brèves excuses par rapport aux propos tenus.
La réglementation aux États-Unis de la liberté d’expression
Suite à ces polémiques, Kanye West annonce qu’il souhaite racheter le réseau social Parler, considéré comme étant un « refuge » pour les conservateurs américains et qui garantit la liberté d’expression. Cette opportunité lui offrirait une tribune pour pouvoir partager ses opinions sans restriction et modération.
Aux États-Unis, la liberté d’expression est protégée par le Premier amendement de la Constitution américaine datant de 1791. Contrairement à la France, il n’existe pas de régulation spécifique relative aux propos antisémites. Les plateformes sont libres de limiter ou non l’expression par les utilisateurs de leur liberté d’expression.
La Cour suprême des États-Unis, dans un arrêt du 31 mai 2022 avait considéré une loi texane, le House Bill 20, qui souhaite obliger les plateformes comptant au moins 50 millions d’utilisateurs mensuels actifs à laisser en ligne tous les contenus postés par les internautes, comme inconstitutionnelle.
Mais il y a un revirement de jurisprudence, avec un arrêt de la cour d’appel pour le 5ème circuit en date du 16 septembre 2022 qui consacre que ce dernier est bel et bien conforme à la Constitution. Si un réseau social supprime un contenu ou bannit une personne, cela constituera une censure. Pourtant, une cour d’appel en Floride, a récemment déclaré qu’une loi similaire était inconstitutionnelle et dès lors enfreignait le Premier amendement.
Pourtant, les réseaux sociaux sont régulés par la section 230 du Communications Decency Act de 1996, qui protège la liberté d’expression et qui consacre que les hébergeurs sont irresponsables, et ne peuvent être considérés comme éditeurs concernant la publication des contenus par les utilisateurs.
Mais la réglementation demeure toujours un flou juridique au regard de ce type de situation aux États-Unis. Tandis qu’en Europe, le DSA (Digital Service Act), qui va bientôt entrer en vigueur, vient renforcer la réglementation auprès des plateformes pour que celles-ci soient contraintes de respecter de nombreuses règles relatives à la modération des contenus.
Les conséquences économiques des propos tenus par le rappeur
Ces propos, qui ont choqué le monde entier, vont lui coûter particulièrement cher, puisque les retombées économiques pour Kanye West vont être massives.
D’une part, le 21 et le 25 octobre 2022, la marque de luxe Balenciaga annonce couper les ponts avec le rappeur, et un communiqué provenant d’Adidas annonce la rupture de leur contrat, sachant qu’Adidas détient la propriété des designs de la marque Yeezy. Est estimée une perte, colossale, d’environ 1,5 milliard d’euros après cette annonce-là.
D’autre part, le musée Tussauds à Londres retire la statue à l’effigie du rappeur, et justifie cette décision au regard des propos antisémites qu’il a tenus, de sorte qu’il ne mérite pas d’être exposé dans le musée.
Enfin, le 27 octobre, Kanye West, toujours autant provocateur, réagit sur Instagram et partage un message envers Ari Emmanuel, agent des stars américaines qui avait demandé aux entreprises d’arrêter de travailler avec le rappeur, en évaluant sa perte à 2 milliards de dollars en un jour et que pour autant, il est toujours vivant.
Le rachat de Twitter par Elon Musk : le retour du rappeur et les conséquences qui en découlent
Grand ami d’Elon Musk, partisan du « free speech », sa relation avec le nouveau patron de Twitter l’a particulièrement aidé à revenir sur le réseau social. Dimanche 20 novembre, les internautes ont pu voir apparaître dans leurs fils d’actualité un tweet du rappeur qui vérifiait si son compte était encore bloqué, suivi d’un « shalom » signifiant paix en hébreu. On peut dire que le rappeur est toujours autant arrogant avec une nouvelle provocation, et cela même après que le patron de Twitter lui accorde une deuxième chance.
Le retour de Kanye West déchaîne la chronique, d’autant plus que l’ancien Président des États-Unis, Donald Trump, a également fait son retour le 18 octobre 2022 sur le réseau social à la suite d’un sondage proposé par le nouveau patron, où 52% des internautes étaient favorables à son retour.
Le retour du rappeur implique de nombreuses problématiques concernant la modération sur les réseaux sociaux, les sanctions encourues sur les plateformes et au niveau légal.
Rien n’oblige Twitter à garantir l’application du premier amendement, et donc de garantir la liberté d’expression sur sa plateforme. En effet, Twitter est libre de restreindre la liberté d’expression de ses utilisateurs pour des raisons légitimes, telles que les propos antisémites, et prendre des mesures pour sanctionner le non-respect des conditions générales d’utilisations. C’est ce qui s’est effectivement produit à l’égard du compte de Kanye West.
Le nouveau patron, Elon Musk a fait revenir de nombreuses personnalités qui avaient été suspendues par la plateforme, ce qui a particulièrement pu inquiéter les internautes et notamment les autorités.
Puisque le 18 novembre dernier, l’Arcom a adressé une lettre à Twitter en déclarant que celui-ci inquiétait au regard de sa capacité à honorer ses obligations légales à la suite du rachat du réseau social par Elon Musk, et notamment en raison du grand nombre de licenciements qui est récemment intervenu et qui représente près de 50% des employés et compte licencier 75% des employés au total.
« L’Arcom tient à vous faire part de sa vive inquiétude quant aux conséquences directes de telles décisions sur la capacité de Twitter à maintenir un environnement sûr pour les utilisateurs de son service »
Et demande à Twitter de répondre au plus tard le 24 novembre en confirmant qu’ils allaient être « en mesure de faire face aux obligations que la loi lui impose et de lui faire part de l’évolution à brève échéance des moyens humains et technologiques consacrés au respect de ces obligations ».
L’Arcom rappelle que le réseau social doit lutter contre la manipulation de l’information dans le cadre de la loi du 22 décembre 2018, qui impose un devoir de coopération vis-à-vis de l’Arcom et des obligations de moyen et de transparence, ainsi que lutter contre la diffusion de contenu haineux en ligne prévue par la LCEN.
Le DSA a été publié le jeudi 27 octobre 2022 au Journal officiel de l’Union Européenne, et s’appliquera dès 2023, ce qui implique que Twitter devra se soumettre à la réglementation concernant les plateformes. À défaut du respect de celle-ci, la Commission européenne est autorisée à attribuer des amendes pouvant s’élever jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial, voire même à interdire d’opérer dans l’Union Européenne en cas d’infractions graves répétées.
Un porte-parole de l’Arcom affirme que Twitter a répondu à cette lettre le 24 novembre, et qu’elle va se charger d’analyser leur réponse et que le dialogue se poursuit.
Sources :
- Le Figaro avec AFP, 1er juin 2022 « États-Unis: la Cour suprême suspend une loi texane anti «censure» sur les réseaux sociaux »
- France Télévision avec agences , 10 octobre 2022, « Kanye West : Instagram et Twitter restreignent les comptes du rappeur après des publications antisémites »
- Numérama, Nicolas Lellouche, 10 octobre 2022 « Il n’a fallu que 24 heures à Kanye West pour se faire virer de Twitter »
- Slate, Sébastien Natroll, 24 octobre 2022 « États-Unis: où doit s’arrêter la liberté d’expression sur les réseaux sociaux? »
- Arcom, 27 octobre 2022, « Entrée en vigueur du DSA : une avancée majeure vers un internet plus sûr en Europe »
- Hunffington Post, par le HuffPost, 28 octobre 2022 « Kanye West de retour sur Twitter après le rachat par Elon Musk »
- Le monde, Damien Leloup et Alexandre Piquard, 4 novembre 2022 « Twitter : les milliers de salariés licenciés ont le « cœur brisé » »
- Le Figaro, Chloe Woitier, 21 novembre 2022 « Modération en ligne : inquiète, l’Arcom (ex-CSA) demande des comptes à Twitter »