Si jusqu’à présent Google se réfugiait toujours derrière la liberté d’accès à l’information pour ne pas retirer les contenus référencés sur son moteur de recherche, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de lui couper l’herbe sous le pied.
En ce mois de décembre 2022, elle a rendu une décision contraignant le moteur de recherche Google à procéder au déréférencement des contenus manifestement inexacts.
Le droit au déréférencement
Pour rappel, le droit au déréférencement permet à un utilisateur de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats de recherche associés à ses nom(s) et prénom(s). Concrètement, il consiste à supprimer l’association d’un résultat de recherche à la requête « nom prénom ». En revanche, cette suppression ne signifie pas l’effacement de l’information sur le site internet source : le contenu initial reste inchangé et toujours accessible en utilisant d’autres critères de recherche ou en se rendant directement sur le site à l’origine de la diffusion de l’information.
Ce droit au déréférencement trouve son utilité dès lors qu’un contenu, qui porte préjudice, se retrouve associé à un nom/prénom. Afin de pallier ce potentiel préjudice, les moteurs de recherche mettent à disposition un formulaire de demande de suppression de résultats de recherche.
Par le biais de ce formulaire, l’utilisateur peut adresser une demande de déréférencement d’un contenu le concernant s’affichant dans la liste de résultats du moteur de recherche. Pour ce faire, l’utilisateur doit préciser l’adresse web (url) du résultat faisant l’objet de la demande. Enfin, il convient de motiver sa demande en indiquant au moteur de recherche la raison pour laquelle il souhaite que le lien en question soit déréférencé.
A la suite de cette démarche, le moteur de recherche dispose d’un délai d’un mois pour répondre à la demande de l’utilisateur (délai étendu à trois mois en raison de la complexité de la demande ou du nombre trop important de demandes reçues).
Ce droit de déréférencement implique inévitablement des conséquences importantes tant sur la liberté d’expression et d’information que sur les droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles.
Contexte de la décision rendue par la CJUE du 8 décembre 2022
En l’espèce, en 2015, deux dirigeants d’un groupe de sociétés d’investissements ont demandé à Google de déréférencer des résultats associés à une recherche effectuée à partir de leurs noms, reprenant des liens vers certains articles qui présentent de manière critique le modèle d’investissement de deux de leurs sociétés : I-Group et P-Emission. Ils soutiennent que ces articles contiennent des informations inexactes et diffamatoires.
De plus, ils demandent à l’exploitant du moteur de recherche que deux de leurs photos, affichées sous forme de vignette, soient supprimées de la liste des résultats d’une recherche d’images effectuée à partir de leurs noms.
Google a refusé de faire droit aux demandes des requérants au motif qu’il ignorait si les informations contenues dans les articles étaient vraies ou fausses.
Ayant été déboutés aussi bien en première instance qu’en appel, les requérants ont saisi la Cour fédérale de justice d’Allemagne, qui a pris la décision de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne à titre préjudiciel « quant à l’interprétation du RGPD et de la directive 95/46 » sur la protection des données personnelles.
Dans son arrêt, la Cour rappelle que le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu mais doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité.
Ainsi, le droit à l’effacement est exclu lorsque le traitement est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information. Toutefois, ce droit à la liberté d’expression et d’information ne saurait constituer un obstacle au déréférencement dès lors qu’une partie des informations figurant dans le contenu référencé (ne présentant pas une importance mineure) se révèle inexacte.
Par cet arrêt, la Cour précise les obligations qui incombent à la fois au demandeur du déréférencement, ainsi qu’à l’exploitant du moteur de recherche :
- Concernant le demandeur de déréférencement : il lui appartient d’établir l’inexactitude manifeste des informations, ou d’une partie de celles-ci, qui n’est pas d’importance mineure, en fournissant uniquement les éléments de preuve « qu’il peut être, compte tenu des circonstances de cas d’espèce, raisonnablement exigé de rechercher de sa part ». En revanche, il n’est pas tenu de produire une décision juridictionnelle obtenue contre l’éditeur du site Internet.
- Concernant l’exploitant du moteur de recherche : il est tenu de vérifier si un contenu peut continuer à être inclus dans la liste des résultats des recherches effectuées par l’intermédiaire de son moteur de recherche. En revanche, il ne saurait être tenu d’exercer un rôle actif dans la recherche d’éléments de faits qui ne sont pas étayés par la demande de déréférencement.
En conséquence, dans le cas où le demandeur au déréférencement présente des éléments de preuve pertinents et suffisants, aptes à étayer sa demande et établissant le caractère manifestement inexact des informations, l’exploitant du moteur de recherche est tenu de faire droit à sa demande.
En ce qui concerne l’affichage des photos sous forme de vignette, celui-ci est susceptible de constituer une ingérence particulièrement importante dans les droits à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel. Dès lors, l’exploitant d’un moteur de recherche est dans l’obligation de vérifier si l’affichage des photos est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’information.
Finalement, la CJUE a tranché en faveur des requérants, sept années après le début de l’affaire. Elle a ainsi ouvert la voie à faire valoir avec succès le droit au déréférencement, appelé également droit à l’oubli, rattaché à l’article 17 du RGPD, en cas de contenu inexact.
La portée de cette décision
Cette décision se positionne en faveur de la protection de la vie privée en ce qu’elle permet de faire cesser le préjudice subi du fait d’une information diffamatoire référencée sur Google.
Il reste à voir l’impact de cette décision, tant au niveau des moyens que Google décidera d’employer pour faire appliquer le droit au déréférencement, que du côté des utilisateurs pour qui cette jurisprudence pourrait inciter à faire valoir davantage leurs droits à l’oubli.
Sources :
Résumé de la décision du 8 décembre 2022 : Droit à l’effacement (« droit à l’oubli ») : l’exploitant du moteur de recherche doit déréférencer des informations figurant dans le contenu référencé lorsque le demandeur prouve qu’elles sont manifestement inexactes (europa.eu)
Article sur la décision rendue par la CJUE du 8 décembre 2022 : Droit à l’oubli : Google devra supprimer de ses résultats les informations diffamatoires (siecledigital.fr)
Décision du 8 décembre 2022 : CURIA – Liste des résultats (europa.eu)