Re: Take : illustration parfaite des défaillances de la modération de YouTube sur les conflits de droit d’auteur

Contexte

Le 19 septembre 2022, la chaîne YouTube « Re: Take » annonce qu’elle fermera dans les jours à venir pour avoir violé les droits d’auteur de plusieurs œuvres audiovisuelles japonaises qu’ils ont voulu parodier dans leurs différentes vidéos.

La chaîne YouTube en question est tenue par deux comédiens spécialistes de la parodie. Dans leurs vidéos ils se servent essentiellement d’œuvres animées japonaises qu’ils parodient en prenant des parties des épisodes et en refaisant les dialogues eux-mêmes dans un but humoristique.

Elle possède une notoriété assez importante puisqu’ils ont plus de 850 000 abonnés et plusieurs de leurs vidéos ont été visionnées des millions de fois.

Cependant, ces créateurs de contenu se sont vus à plusieurs reprises en conflit avec les ayants droits des œuvres qu’ils utilisent. Heureusement pour eux, chaque conflit s’est terminé en leur faveur et ils ont pu expliquer aux auteurs, souvent japonais que la loi en France leur permet de parodier leurs œuvres et qu’ils sont donc protégés par la loi française.

Malgré cela, de nouveaux ayants droits viennent ou reviennent à la charge pour tenter de faire supprimer leurs vidéos. Cet été ils ont vu deux de leurs vidéos supprimées pour violation de droit d’auteur puis une autre elle aussi supprimée pour les mêmes raisons fin septembre.

Or, les règles de YouTube sont claires, quand 3 vidéos d’une chaîne se font supprimer pour contenu illicite alors cette chaîne est automatiquement supprimée de la plateforme. Ils ont évidemment décidé de contester cette décision auprès de la modération de YouTube.  

Cette nouvelle a alors fait beaucoup parler sur les réseaux et particulièrement sur Twitter où des milliers de personnes ont utilisé le hashtag « FreeRetake » pour montrer leur soutien aux deux Youtubeurs.

Après plus de 2 mois d’attente, ces derniers ont finalement obtenu gain de cause et ont pu récupérer leur chaîne ainsi que leurs vidéos.

Dans cette histoire se posent alors deux problèmes majeurs qui sont la règlementation du droit d’auteur en France et à l’internationale et la modération du réseau YouTube qui doit s’adapter aux règles de chaque pays concernant ces droits.

Sur le droit d’auteur français, japonais et à l’international

Le droit d’auteur est un système de protection des créations de l’esprit, tels que les livres, les musiques, les films, les œuvres d’art, etc. Ce système vise à encourager la créativité en donnant aux auteurs le droit exclusif de diffuser et de tirer profit de leurs œuvres. Le droit d’auteur est reconnu dans le monde entier, bien que les lois et les règles qui le régissent puissent varier d’un pays à l’autre.

A l’international, il existe plusieurs traités et conventions qui visent à protéger les droits d’auteur et à faciliter la coopération entre les différents pays en matière de droit d’auteur.

L’un des traités les plus importants en la matière est le traité de Berne sur le droit d’auteur, qui a été adopté en 1886 et qui est aujourd’hui ratifié par la plupart des pays du monde. Ce traité établit un certain nombre de règles communes en matière de droit d’auteur, telles que la durée de protection des œuvres, les droits exclusifs des auteurs, et les exceptions au droit d’auteur.

En ce qui concerne les exceptions au droit d’auteur, la convention de Berne prévoit que les auteurs ont le droit exclusif de diffuser et de tirer profit de leurs œuvres, mais que ces droits peuvent être limités dans certains cas. Ces exceptions peuvent inclure, entre autres, l’utilisation d’une œuvre à des fins éducatives, la parodie, et l’utilisation d’une œuvre à des fins de recherche ou d’étude. La convention de Berne précise également que les exceptions au droit d’auteur doivent être limitées et proportionnées, et ne doivent pas porter préjudice aux intérêts légitimes des auteurs.

Il est important de noter que la convention de Berne n’établit pas de règles précises en matière d’exceptions au droit d’auteur. Elle laisse plutôt aux pays membres le soin de déterminer les exceptions qui seront applicables dans leur territoire, en fonction de leurs propres lois et réglementations en matière de droit d’auteur.

Le Japon fait notamment parti des pays membres de cette convention mais ce pays garde un rapport aux exceptions au droit d’auteur assez hors du commun et notamment en matière de parodie.

En droit d’auteur japonais, il existe des exceptions tout comme en droit français mais celles-ci ne sont pas identiques et paraissent plus en faveur de l’auteur.

En effet, l’alinéa 2 de l’article 20 sur la loi sur le droit d’auteur vient citer les exceptions et la parodie n’y figure pas. Il y a à vrai dire assez peu d’exceptions dans cette loi ce qui laisse penser que les Japonais sont plus attachés à la protection du droit d’auteur que les Français.

Pour confirmer cette non-exception de la parodie la Cour suprême japonaise a rendu une décision de justice venant condamner une parodie.

Il s’agit de l’affaire Montage photographique, dans laquelle les juges japonais ont estimé que des modifications, même si celles-ci s’effectuent dans le cadre d’une parodie, ne justifient pas qu’il puisse y avoir une atteinte au droit au respect de l’intégrité de l’œuvre.

Cependant, les vidéos en question ont été publié par des Français depuis la France. C’est donc bien le droit d’auteur français qui va s’appliquer et donc l’article L122-5 sur les exceptions au droit d’auteur. Dans cet article figure notamment la parodie.

Pour qu’une œuvre seconde soit qualifiée de parodie il faut éviter tout risque de confusion avec l’œuvre première. Or, les Youtubeurs en question précisent dans chaque titre de leur vidéo qu’il s’agit d’une parodie et sont connus pour essentiellement parodier des œuvres animées.

De plus, ils n’utilisent que des extraits des œuvres premières et changent littéralement tous les dialogues initiaux ce qui crée des histoires totalement différentes dans le seul but d’amuser les personnes regardant la vidéo.

Enfin, même si les dialogues repris peuvent s’avérer grotesques ou fantasques comparé à l’œuvre parodiée, il n’y a aucune critique négative ou dénigrement de la part des deux créateurs de contenu. On peut donc écarter toute envie de nuire.

Les failles de la modération de YouTube sur le droit d’auteur

Pour mieux comprendre cette affaire il faut aussi se pencher sur la modération de la plateforme YouTube sur le droit d’auteur.

En ce qui concerne la modération de YouTube en matière de droit d’auteur, il est important de savoir que YouTube prend très au sérieux les infractions au droit d’auteur. Lorsqu’une personne ou une entreprise signale une infraction au droit d’auteur, YouTube examine la plainte et peut prendre des mesures en conséquence, telles que la suppression de la vidéo en question.

YouTube utilise des algorithmes pour détecter les vidéos qui contiennent du contenu protégé par le droit d’auteur. Ces algorithmes peuvent détecter les morceaux de musique protégés par le droit d’auteur, les extraits de films et de séries télévisées protégés par le droit d’auteur, ainsi que d’autres types de contenu protégé par le droit d’auteur. Si une vidéo est détectée comme étant une infraction au droit d’auteur, YouTube peut prendre des mesures en conséquence, telles que la suppression de la vidéo ou la mise en place de restrictions sur la diffusion de la vidéo.

Cependant, en général, il est possible que des vidéos soient censurées à tort sur YouTube en raison de différends concernant le droit d’auteur, de la mauvaise utilisation des algorithmes de modération automatisée, ou simplement d’une erreur humaine.

C’est manifestement ce qu’il s’est passé dans cette affaire puisque le droit français protège les deux Youtubeurs. Cependant, ces derniers ont précisé que même si leur chaîne a été réhabilité, il n’est pas impossible que cette situation se renouvelle à l’avenir car il n’y a pas eu de jugement devant quelconque tribunal. Dès lors, cette affaire ne fera pas jurisprudence et YouTube appliquera la même solution que sur les signalements précédents si un autre ayant droit se plaint auprès de la plateforme pour atteinte au droit d’auteur.

S’ils souhaitent vraiment changer cela il faudra qu’ils engagent une procédure en justice contre les ayants droits qui ont signalé leur vidéo. Cependant, ils ont dit qu’ils ne le feraient pas car ils connaissent les personnes en question et ne veulent pas de conflit juridique avec eux et de plus ils comprennent que dans le droit japonais la parodie est moins bien protégée qu’en droit français. Les personnes ayant signalés les vidéos n’ont donc pas agi dans un but de nuire, ils pensaient être dans leur bon droit.

Malheureusement pour les deux comédiens, ils n’ont pas de réelle solution qui s’offrent à eux afin d’éviter ce type de différends à l’avenir.

On peut néanmoins souligner que la modération de YouTube serait à revoir dans ces situations car il y a juste à appliquer le droit français et voir que la vidéo n’est pas illicite. Ces problèmes sont prévisibles quand la modération d’une plateforme repose en partie sur des algorithmes qui n’ont pas la capacité de réflexion d’un humain.

Malgré tout, il est difficile de blâmer la plateforme quand on sait que 720 000 heures de vidéos sont ajoutées sur YouTube chaque jour. La modération sans algorithme paraît donc complexe et les problèmes de modération risquent de perdurer encore longtemps…

Sources :

Les droits d’auteur sur YouTube : TOUT savoir ! (nextlevelbusinessteam.com)

Le Japon durcit sa loi sur le droit d’auteur – Numerama

00_Début.vp (shou-law.com)

Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (wipo.int)