Le phénomène récent du montage pornographique algorithmique dit « deepfake pornographique »
Le montage pornographique dit « deepfake pornographique » est une pratique devenue virale ces dernières années sur le net. Elle consiste à utiliser les images et extraits vidéos d’une personne (souvent une célébrité) et à les utiliser aux fins de concevoir des illustrations ou vidéos détournant l’image de cette personne de façon pornographique.
En l’absence de définition légale faisant consensus sur la question, Laure Landes-Gronowski, avocate spécialisée dans la protection des données et le droit des technologies de l’information, nous propose la définition suivante : le deepfake consiste en « l’utilisation d’images, de vidéos ou de données d’une personne, pour en faire un montage quel qu’il soit, généralement à l’aide de logiciels d’intelligence artificielle, pour que cela paraisse le plus réel possible ». Ainsi le type de deepfake dont il est ici question use de ce procédé à des fins pornographiques, avec potentiellement à la clef une volonté de nuire à la réputation de la personne représentée.
Le deepfake existe depuis 2014 et peut être utilisé à de multiples fins, détournements parodiques, manipulations politiques (le récent vidéo montage du président Ukrainien Zelensky appelant à la reddition de son pays) ou détournement pornographique.
Quid de la réponse du droit français et européen face à ce phénomène au potentiel croissant au vu du perfectionnement des technologies concernées ?
L’appréhension imparfaite du montage pornographique algorithmique par le droit
Ni le droit national ni le droit communautaire n’appréhendent à ce jours le fait précis du deepfake pornographique. S’il est possible pour les victimes concernées d’agir judiciairement à l’encontre de ces pratiques, il peut s’avérer complexe dans la pratique de choisir le terrain d’action, d’autant plus que les infractions usitées comme fondement ne sanctionnent qu’à titre périphérique la réalisation et diffusion de ces montages pornographiques.
En effet le droit à l’image, s’il permet d’obtenir le retrait du contenu causant un préjudice, ne vise pas concrètement le procédé du deepfake, à savoir la transformation d’images ou d’enregistrement d’une personne, sans son consentement et via un algorithme. Le droit à l’image permet de sanctionner l’exploitation des images de la personne, mais il n’appréhende pas réellement ce processus de transformation algorithmique pour lequel ces images ne sont qu’un support.
Il est ainsi possible pour le justiciable d’agir contre cette pratique sur le fondement de l’article 9 alinéa 1 du Code Civil affirmant le droit de chacun au droit au respect de sa vie privée ; cet article permet aux personnes qu’elles soient célèbres ou non de s’opposer à l’exploitation et la diffusion de leur image en l’absence de consentement expresse et préalable de la personne intéressée.
Il est également possible d’agir pénalement sur la base des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal qui disposent qu’est passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en enregistrant ses paroles et/ou son image sans le consentement de la personne concernée. Et concernant la publication d’un montage pornographique basé sur les dits extraits, l’article 226-8 du même Code punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention. »
S’il est possible d’agir contre la production et la diffusion de deepfake pornographiques, il n’en reste pas moins que le caractère sexuel de ces montages n’est pas pris en compte par la loi pénale. Sur la base du droit communautaire on peut en revanche estimer qu’il compromet le droit au respect de sa vie privée (Article 8 de la convention européenne des droits de l’homme) ainsi que droit au respect de sa dignité humaine (Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne). Il est envisageable que soit opposé à ces principes l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme garantissant la liberté d’expression, cependant il reste conditionné dans son alinéa 2 à un certain respect de la « protection de la santé ou de la morale, de la protection de la réputation (…) d’autrui ».
Si la victime d’un tel montage souhaite promptement agir à l’encontre de la diffusion de ce dernier, il est conseillé de signaler le contenu visé sur la plateforme publique Pharos et de notifier l’hébergeur du caractère illicite du contenu afin d’obtenir son retrait de la plateforme ; la victime sera alors tenue de démontrer dans sa notification le caractère illicite du contenu.
L’efficacité relative des sanctions en la matière
Le deepfake porn peut être combattu judiciairement par les victimes, mais dans les faits il peut s’avérer très complexe d’identifier les auteurs du contenu et de les sanctionner directement. Et la possibilité de pouvoir agir avec certitude uniquement sur la diffusion de ce type de contenu et non pas sur sa création cause un climat d’incertitude permanente quand à savoir si ou quand le montage pornographique réapparaitra. De plus, la nature potentiellement virale de n’importe quel contenu numérique a été renforcée avec l’avènement des réseaux sociaux permettant la propagation de ce type de montages à une vitesse pouvant rendre l’exécution de retrait de ce type de contenu complexe à appliquer efficacement.
Cette situation crée un climat dans lequel il n’est pas rare de voir de nouveaux deepfake, pornographiques ou non, apparaitre, être diffusés et convaincre de plus en plus efficacement le public tant la technologie permettant ce montage s’est affinée au cours des années. Les diverses brigades de cybercriminalité tentent de juguler le phénomène avec un succès modéré, compte tenu de la forte viralité de ce type de contenu.
Reste à savoir si la situation évoluera le jour où le droit national ou communautaire se décideront à se pencher avec attention sur ce phénomène récent qui n’a pas fini de faire parler de lui.
SOURCES :
– Article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme
– Article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme
– Article 9 Code Civil
– Article 226-1 du Code Pénal
– Article 226-8 du Code Pénal
-https://www.terrafemina.com/article/deepfakes-porn-comment-lutter-contre-ces-montages-obscenes-qui-pullulent-sur-le-net_a367280/1
Terrafemina, Maïlis Rey-Bethbeder, 01/12/2022
-https://journals.openedition.org/revdh/9747#ftn57
La revue des droits de l’Homme, Claire Langlais-Fontaine, 18/10/2020