A l’occasion de la compétition footballistique la plus attendue de 2022, le piratage audiovisuel et sportif a connu un essor considérable. Effectivement, la retransmission illégale des contenus sportifs en direct présente un attrait notable pour les pirates mais aussi pour tous les sites n’ayant pas obtenu les droits de diffusion. Elle représenterait un manque à gagner d’environ 500 millions d’euros (porté jusqu’à 1,03 milliards en 2019) et des centaines de milliers d’abonnés.
Commencée par anticipation, la bataille qui oppose les ayants droit et les sites de streaming illégaux dans la diffusion des matchs internationaux s’est finalement achevée le 20 décembre 2022, date de la fin de la Coupe du monde de Football. Elle a fait intervenir tout au long de la compétition l’ARCOM qui a joué un rôle central au regard de ses nouveaux pouvoirs.
La lutte contre les retransmissions sportives : le rôle augmenté de l’ARCOM par la loi du 25 octobre 2021
La Coupe du Monde, Qatar 2022 est aujourd’hui terminée. L’ARCOM a décompté au cours de la compétition, la mise en place de 82 mesures de blocage de sites ayant retransmis illégalement les contenus sportifs. S’appuyant sur les nouveaux dispositifs apportés par la loi du 25 octobre 2021, relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, l’Autorité a démontré l’utilité de ceux-ci dans la lutte contre le live streaming illicite.
Créée de la fusion entre le CSA et l’HADOPI, l’ARCOM – Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – est née le 1e janvier 2022. Elle est garante de la liberté de communication, et assure plusieurs missions listées par le Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, elle contribue au développement de la création artistique légale dans les médias audiovisuels. Elle œuvre, à ce titre, à la « protection des œuvres et objets auxquels sont attachés un droit d’auteur, un droit voisin ou un droit d’exploitation audiovisuelle », lorsque les atteintes sont commises « sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ».
A cet égard, elle joue un rôle actif important dans la lutte contre le piratage en ligne des contenus culturels et sportifs, et veille à la mise en place de « mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés ». Ainsi, l’ARCOM identifie les sites de streaming illicites qui retransmettent les compétitions sportives telles que la Coupe du monde, et s’assure de la mise en place et de l’application des mesures techniques de protection prononcées à leur encontre.
C’est donc dans l’optique d’un renforcement de cette lutte que deux mesures majeures ont été introduites dans le Code de la propriété intellectuelle par la loi de 2021, dite loi anti-piratage ou anti-streaming. D’une part, l’article L.331-25 prévoit un système de « liste noire ». Celui-ci permet d’inscrire le nom et les agissements des sites portant une atteinte « grave et répétée » aux droits d’auteur et droits voisins. Et, d’autre part, l’article L.331-27 prévoit un mécanisme de lutte contre les sites miroirs, c’est-à-dire des répliques de sites déjà existants mais avec des URL différentes. Il permet ainsi à l’ARCOM d’imposer le blocage de l’accès à un contenu, reprenant en totalité ou de manière substantielle, un contenu antérieur ayant déjà fait l’objet d’une condamnation par une décision judiciaire pour atteinte à des droits de propriété littéraire et artistique. De ce fait, le titulaire de cess droits peut directement demander à l’ARCOM d’agir et d’ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de bloquer, retirer ou déréférencer sans délai, les sites pirates. Par ailleurs, la loi a aussi créé un mécanisme de référé ad hoc, qui concerne spécifiquement les retransmissions illicites de compétitions sportives. La procédure a été introduite à l’article L.333-10 du Code du sport. Dès lors, ce dispositif présente un intérêt important pour les diffuseurs autorisés, en ce qu’il permet de faire bloquer les sites déjà identifiés, mais également ceux qui pourraient apparaitre au fil du calendrier de la même compétition sportive.
L’avantage majeur de passer par l’ARCOM s’observe au niveau de la rapidité et de la discrétion des procédures. Néanmoins, le juge doit conserver un rôle essentiel dans la prononciation des mesures de blocage, et ce pour des raisons de protection de la liberté de communication. A cet effet, un examen de proportionnalité doit être réalisé par ce dernier, dans le cadre d’une procédure judiciaire qui est, elle, publique.
La mise en place d’une lutte anticipée : l’atout mis à la disposition des titulaires de droits sportifs
Additionnée à l’ensemble des mesures possibles, des procédures de blocage peuvent également être engagées de manière préalable. C’est notamment ce qu’a fait BeIN Sports – réseau de télévision consacré au sport –, en obtenant deux ordonnances préventives du tribunal judiciaire de Paris, applicables jusqu’à la fin de la compétition, c’est-à-dire dimanche 18 décembre 2022. Grâce à cela, une vingtaine de sites de streaming illicites et des adresses menant vers des services de télévision par Internet, ont pu faire l’objet d’un blocage préventif.
Ainsi, les titulaires de droits sportifs n’ont pas attendu que la Coupe du monde débute pour agir contre les pirates. A titre d’exemple, des ayants droit canadiens avaient anticipé la diffusion des matchs sur deux plateformes de streaming (relayées par des sites web et des agrégateurs de liens).
Les mesures de blocage par l’ARCOM : les conséquences visibles dans le milieu de la retransmission sportive en direct
Les nouvelles mesures mises à la disposition de l’ARCOM, sont ainsi de nature à renforcer la lutte contre les sites illégaux de streaming permettant de visionner des manifestations et compétitions sportives. Elle s’inscrit dans le cadre de la protection des titulaires de droits d’auteur de programmes sportifs – mais aussi audiovisuels et culturels – diffusés sur Internet.
Les conséquences positives sont d’ailleurs déjà perceptibles. Effectivement, d’après une étude sur l’impact du blocage des services illicites de sport, l’ARCOM a pu constater qu’entre janvier (entrée en vigueur de la loi) et juin 2022, « l’audience sportive illicite globale a diminué de moitié ». Par ailleurs, depuis la première décision prononcée sur le fondement des nouveaux mécanismes de la loi d’octobre 2021, environ 900 noms de domaine ont été bloqués, sans compter ceux liés à la Coupe du monde 2022.
Ainsi, les nouvelles dispositions représentent un atout pour l’avenir. Leurs applications seront notamment à observer lors des Jeux olympiques de 2024, qui se dérouleront en France.
La télévision sur Internet (IPTV) : la faille trouvée par les pirates
Bien que les mesures de blocage prises par le législateur, et appliquées par l’ARCOM, aient commencé à avoir un impact sur le piratage sportif, elles n’effraient pas réellement les pirates dans les faits. Ces derniers trouvent, en effet, de nouveaux moyens, toujours plus innovants. A titre d’exemple, on retrouve une pratique qui s’est fortement développée ces dernières années : l’IPTV. Elle permet d’accéder à des contenus piratés de deux manières différentes : soit par l’achat légal d’un boîtier, les utilisateurs pouvant alors télécharger un logiciel et s’abonner à un service mis à la disposition par le pirate, qui est lui illicite, pour un montant n’excédant pas 100 euros par an, et qui donne accès à un catalogue considérable ; soit par le téléchargement direct d’une application IPTV et l’abonnement au service pirate.
« Les outils actuels ne sont pas assez efficaces pour atteindre durablement le piratage IPTV », « Il s’agit de trouver le point de sortie viable d’une crise à venir sur l’IPTV. » rapporte Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+.
Face à l’émergence de cette technique, une solution a été trouvée. Celle-ci tend à réclamer aux FAI, le blocage, non pas des noms de domaine – dit blocage DNS (Domain Name System) par lequel le FAI transforme une adresse humainement compréhensible en une adresse IP –, mais directement des adresses IP. Le but est alors « de couper les flux à la source ». Cette pratique est d’ailleurs mise en place au Royaume-Uni concernant la Premier League. Cependant, elle fait l’objet d’une certaine méfiance par la Fédération française des télécoms, qui craint alors un potentiel « sur-blocage » de sites licites, dans le cas d’une action exercée trop largement. Certains sites peuvent, en effet, inclure des contenus illicites et licites à la fois.