Invité en septembre 2018 sur le plateau de l’émission française « Les terriens du dimanche ! » diffusée sur la chaîne C8, Eric Zemmour, alors journaliste dans le secteur audiovisuel et futur candidat à l’élection présidentielle de 2022, a qualifié, lors de l’enregistrement de l’émission, le prénom de Hapsatou Sy, entrepreneuse et à l’époque chroniqueuse, d’« insulte à la France », suggérant que le prénom « Corinne », serait plus approprié pour l’animatrice car s’inscrivant dans les différents calendriers mentionnés par la loi du 11 Germinal An XI.
Historique : la loi du 11 Germinal An XI
Cette polémique s’inscrit dans le contexte de la loi du 11 Germinal An XI édictée par Napoléon Bonaparte, portant sur la réglementation applicable aux prénoms des enfants.
Initialement, les français étaient totalement libres dans le choix des prénoms de leurs enfants, qui étaient d’ailleurs souvent en corrélation avec la religion chrétienne. Puis, à partir des années 1790, de plus en plus de parents français ont choisi d’utiliser les prénoms de grands révolutionnaires pour les donner à leurs enfants.
Manifestant son opposition à de tels choix, Napoléon Bonaparte, alors Consul de France, édicte ainsi le 1er avril 1903, la loi du 11 Germinal qui imposait que « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne, pourront seuls être reçus, comme prénoms sur les registres de l’état civil ».
Mais, suite aux difficultés que cette loi a pu entrainer comme l’absence d’état civil de certains enfants dont le prénom avait été refusé à l’enregistrement (Cass. Civ. 12 nov. 1964 gaz. pal. 1965, 1, 191), elle a finalement été abrogée par la loi du 8 janvier 1993, constituant la législation actuelle codifiée dans le code civil. Ainsi, désormais, c’est la liberté des parents quant au choix du prénom de leur enfant qui prime, tant que ce dernier n’est pas contraire « à l’intérêt de l’enfant » ni ne porte atteinte « au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille » (article 57, code civil).
Souhaitant « obliger les gens à donner comme prénom à leurs enfants des prénoms français », Eric Zemmour a cité à plusieurs reprises la loi du 11 Germinal An XI comme une loi d’unification, permettant de ne pas discriminer les individus en fonction de leurs prénoms, et a pu plaider son rétablissement.
C’est à ce sujet que lors de l’émission « Les terriens du dimanche ! » il s’est prononcé sur la polémique qu’il avait provoqué en 2009 concernant le prénom donné par Rachida Dati, à l’époque ministre de la Justice française, à sa fille, Zohra. Réagissant à cette polémique, Hapsatou Sy, chroniqueuse de l’émission, affirme « Je m’appelle Hapsatou » ce à quoi Eric Zemmour rétorque « Votre mère a eu tort », suggérant que « Corinne ça vous irait très bien ».
Un combat par réseaux sociaux interposés : le montage, une étape clé de la production audiovisuelle
Après la diffusion de l’émission, l’ex-chroniqueuse avait annoncé sur Twitter sa volonté de porter plainte contre le polémiste, qui qualifie ces propos de « bad buzz complétement nul ». En réaction, Hapsatou Sy propage sur son compte Twitter la partie coupée au montage de l’émission, filmée en parallèle par l’une des maquilleuses, dans laquelle Eric Zemmour affirme que le prénom de Hapsatou Sy constituerait « une insulte pour la France ».
En effet, la production de l’émission de Thierry Ardisson a fait le choix de couper lors du montage un extrait du débat pour éviter « un fort risque de condamnation juridique ». Si le public a donc pu entendre la suggestion par Eric Zemmour du prénom « Corinne » à Hapsatou Sy, la partie de l’enregistrement où il caractérise son prénom d’« insulte pour la France » a été écartée du montage final de l’émission.
C’est donc via les réseaux sociaux que de tels propos ont été dévoilés. En effet, la chroniqueuse a partagé la vidéo de leurs échanges sur son compte Instagram. Les internautes ont pu découvrir la déclaration de Hapstatou Sy « je trouve que ce que vous venez de dire n’est pas une insulte à mon égard mais une insulte à la France » ce à quoi Eric Zemmour a répondu « C’est votre prénom qui est une insulte à la France » car « les prénoms incarnent l’Histoire de la France ».
Considérant qu’Eric Zemmour l’a offensée dans son identité et ses origines, elle décide de diffuser la scène pourtant coupée par C8, estimant « qu’elle n’a pas d’autres choix » face à « la haine » exprimée par Eric Zemmour sur plusieurs plateformes. Elle exclut en revanche toute volonté de nuire ou de discréditer l’émission.
La sanction recueillie par le parquet de Paris
Le 4 novembre 2022, une audience a eu lieu devant le parquet de Paris qui a réclamé une peine de 20 000 euros d’amende à l’encontre d’Eric Zemmour pour injure publique à caractère racial. Il a considéré que les propos du polémiste étaient « outrageants […] dès lors qu’ils signifient que son prénom, élément de sa personnalité […] serait l’expression d’une marque d’irrespect, de mépris envers la France et porterait atteinte à sa dignité ». Il s’agirait dès lors d’« une attaque strictement personnelle, à caractère discriminant », selon la juridiction et se détachant alors du contexte initial de débat public. De tels propos constitueraient un abus de la liberté d’expression qui offre le droit de communiquer ses opinions mais sans pour autant être absolue, les textes imposant de « répondre des abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (article 11 DDHC), comme par exemple en raison d’incriminations telles que l’injure, la diffamation ou l’incitation à la haine.
En réponse, l’avocat d’Eric Zemmour (alors absent des débats), demandant la relaxe, rejette l’injure à caractère racial. D’autant plus que des propos n’ayant pas été diffusés, du fait du montage de l’émission, ils ne sauraient être poursuivis.
Hapsatou Sy s’est défendue en déclarant « qu’on ne peut pas insulter sous prétexte de la liberté d’expression ». En effet, si les propos tenus au cours de l’enregistrement ont été coupés lors du montage, l’ex-chroniqueuse persiste, considérant que de telles allégations lui ont tout de même été adressées et ont excédé le débat d’intérêt général initial, ayant provoqué un abus de la liberté d’expression constitué par une infraction de presse : l’injure aggravée par un caractère raciste.
Mais qu’est-ce que une injure publique à caractère racial ?
L’injure est définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme regroupant « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation de aucun fait ». Elle distingue le caractère privé ou public de l’infraction en instaurant différentes peines. Ainsi, lorsque l’injure est privée car lue ou entendue par un groupe restreint de personnes, liées par une communauté d’intérêts, elle est sanctionnée d’une contravention de 38 euros.
En revanche, si l’injure est publique, c’est-à-dire qu’elle est susceptible d’être lue ou entendue par un vaste public dans lequel les personnes n’ont aucun lien de proximité, elle constitue un délit puni de 12 000 euros d’amende.
Cependant, l’article 33 de la loi sur la liberté de la presse a prévu un régime d’aggravation des peines de 45 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement lorsque l’injure est prononcée « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
C’est sur ce fondement que le 12 janvier 2023, Eric Zemmour a finalement été condamné à une amende de 4000 euros et à 3000 euros de dommages et intérêts pour injure publique à caractère racial à l’encontre de Hapsatou Sy.
Monsieur Pardo Olivier, avocat d’Eric Zemmour a cependant annoncé sa volonté de faire appel…
Qu’en est-il pour 2023 ?
Eric Zemmour fait l’objet de nombreuses poursuites bien qu’il n’ait été en réalité que peu condamné (trois fois). Plusieurs poursuites judiciaires sont en revanche encore en cours et en 2023, ce ne sont pas moins de huit procédures qui vont être tenues à Paris après des plaintes déposées suite à différents propos du polémiste considérés souvent comme une incitation ou une provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou encore la religion, infraction sanctionnée par les articles 23 à 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 de un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Le 16 janvier 2022, il a d’ailleurs été définitivement condamné par le tribunal judiciaire de Paris concernant les propos qu’il avait tenu le 29 novembre 2020 sur la chaîne CNEWS à propos des mineurs étrangers non accompagnés qu’il considérait « pour la plupart » « voleurs », « violeurs », et « assassins ». Jugé pour complicité de provocation à la haine raciale, il a dû verser une amende de 10 000 euros.
Sources :
Fiches d’orientation septembre 2022 : injure – Dalloz
(F) GIRARD DE BARROS : « Injure, diffamation, délit d’opinion ou simple critique : une liberté à deux vitesses », LEXBASE, lettre juridique n°649 du 31 mars 2016 : Editorial
https://actu.orange.fr/
https://www.senat.fr/leg/1988-1989/i1988_1989_0201.pdf : loi 1er avril 1803
https://www.lemonde.fr/
https://www.francetvinfo.fr/