Le site d’actualité francesoir.fr est au cœur d’un débat judiciaire concernant sa ligne éditoriale et son statut de service de presse en ligne. En effet, le 5 décembre 2022, la Commission mixte paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) a décidé de ne pas renouveler l’agrément de presse en ligne du site d’actualité francesoir.fr.
La société Shopper Union France, société éditrice du journal en ligne, a saisi le tribunal administratif en référé afin de contester cette décision et de se voir rétablir le régime d’aide dont bénéficient les titres de presse. Le Tribunal administratif de Paris a rendu une ordonnance en référé le 13 janvier 2023 de suspension de la décision de la CPPAP jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision.
Il convient dès lors de revenir sur le contexte de l’affaire et les motifs de la décision de la Commission mixte paritaire des publications et agences de presse, ses conséquences, mais également sur la décision rendue en référé par le tribunal administratif de Paris.
Rappel de la définition et des conditions d’obtention du certificat de service de presse en ligne
La Commission mixte paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) est un organisme indépendant comportant des magistrats et des représentants du secteur de la presse. Cet organisme est notamment chargé de reconnaître les services de presse en ligne ce qui ouvre alors droit à certaines aides.
La notion de service de presse en ligne est définie par l’article premier de la loi du 1er août 1986 comme « tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale ».
Cette définition permet alors d’identifier plusieurs conditions pour se voir reconnaître la qualité de service de presse en ligne, et notamment le fait de proposer un contenu original et d’intérêt général. C’est précisément ce qui a été reproché au site d’actualités francesoir.fr au regard de la ligne éditoriale et de la pertinence des contenus, jugés complotistes et porteurs de fausses informations.
Le contexte de la décision de la CPPAP
Le mercredi 30 novembre 2022, le site Mind Media a révélé l’information selon laquelle la Commission aurait estimé que le site de FranceSoir ne satisfaisait plus les exigences nécessaires à la qualification de service de presse en ligne, celui-ci étant dépourvu de « caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée », condition nécessaire afin de qualifier tout service de presse en ligne.
Le site d’actualités serait porteur de fausses informations et favoriserait les idées complotistes à propos de la crise sanitaire. Selon la CPPAP, ces contenus porteraient une « atteinte à la protection de la santé publique ».
Malgré les accusations de longue date envers ce média en ligne, la CPPAP avait renouvelé en avril 2021 le statut de service de presse en ligne, le site ayant ainsi conservé son statut de site d’information politique et générale. Cette décision avait toutefois été largement remise en cause par des anciens journalistes du média et le Syndicat national des journalistes qui avaient mis en place une pétition s’opposant à celle-ci. Il était alors condamné la possibilité offerte au site de pouvoir « répandre en toute impunité de fausses informations et des thèses complotistes dangereuses pour la société ».
Aussi, en septembre 2021, Google s’est vu contraint de déréférencer les contenus du site Francesoir et de mettre fin aux publicités de ceux-ci après avoir relevé la publication de thèses complotistes sur le Covid-19. Contestant cette décision de la plateforme, FranceSoir a assigné l’entreprise en justice. Le Tribunal de commerce de Paris s’est prononcé le 6 septembre 2022 en faveur de Google et a condamné France Soir à verser 10 000 euros à Google LLC, ainsi que 10 000 autres à Google France, et 50 000 euros à Google Ireland Limited, au titre des frais en justice.
La décision de refus du renouvellement de l’agrément de presse en ligne du site FranceSoir de la CPPAP met ainsi en lumière ces publications problématiques. Ainsi, le 30 novembre 2022, la CPPAP a déclaré à l’Agence France Presse (AFP) qu’elle avait décidé « de ne pas renouveler la reconnaissance de service de presse en ligne à FranceSoir », et que la décision serait « notifiée prochainement à l’éditeur ».
La Commission mixte paritaire des publications et agences de presse a rendu sa décision officielle le 5 décembre 2022. Cette décision a notamment eu pour conséquence la perte des avantages spécifiques à savoir, d’une exonération fiscale sur les dons, d’un taux de TVA réduit, et la complication des démarches afin d’obtenir une carte de presse.
La suspension de la décision de la CPPAP par ordonnance de référé rendue le 13 janvier 2023 par le Tribunal administratif de Paris : le manque d’impartialité de la Commission souligné
La société Shopper Union France, qui exploite le journal en ligne, a saisi le tribunal administratif en référé contestant la décision de la Commission.
Par ordonnance de référé du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a suspendu la décision de la CPPAP du 5 décembre 2022 qui refusait le renouvellement de la qualité de service de presse en ligne du site francesoir.fr. Aussi, il a été ordonné par la juridiction le rétablissement du régime d’aide correspondant à son titre de service de presse en ligne.
Dans un premier temps, au regard des conséquences de la perte du statut de service de presse en ligne dès lors le modèle économique du site d’actualités reposait sur des dons défiscalisés, le tribunal a estimé que la condition d’urgence nécessaire en matière d’action en référé était remplie. Il a en effet été relevé que : « la décision contestée a pour effet de faire perdre à cette dernière les avantages fiscaux prévus par les articles D. 18 du code des postes et communications électroniques et 72 de l’annexe III du code général des impôts lui permettant notamment de bénéficier de dons défiscalisés ».
Dans un second temps, le tribunal a estimé que la Commission aurait manqué d’impartialité, ce qui entraînerait, « un doute sérieux sur la légalité de la décision ». En effet, l’ordonnance reproche à la présidente de la Commission le fait de s’être exprimée de manière publique et surtout préalablement à ladite décision dans le cadre des travaux sur la désinformation. Il a alors été relevé que : « le moyen tiré de ce que la Commission n’aurait pas statué avec toute l’impartialité requise lors de sa séance du 30 novembre 2022 qui a conduit au non-renouvellement de l’agrément dont était titulaire ce site est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée jusqu’à ce que les juges du fond se prononcent sur ce litige ».
FranceSoir est donc de nouveau un service de presse en ligne
Cette ordonnance permet à Francesoir de retrouver, du moins de manière temporaire, son statut de service de presse en ligne, jusqu’à ce que la juridiction administrative ne statue au fond sur la légalité de cette décision.
FranceSoir a salué cette ordonnance du Tribunal administratif de Paris dans un communiqué de presse publié le 13 janvier 2023 : « Référé suspension contre la décision de la CPPAP : le tribunal donne raison à FranceSoir», dans lequel le site mentionne son combat pour la défense de la liberté de la presse, de la liberté d’expression et du droit au pluralisme des opinions.
Il appartiendra donc au Conseil d’État de trancher sur la qualité de service de presse en ligne du site d’actualité francesoir.fr.
Sources :
- « France-Soir » n’est plus considéré comme site d’information en ligne », Le Monde, 30 novembre 2022 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/30/france-soir-n-est-plus-considere-comme-site-d-information-en-ligne_6152434_3234.html
- « La ligne éditoriale de France Soir à l’épreuve des CGU Google », Next Inpact, 9 septembre 2022 : https://www.nextinpact.com/article/69908/la-ligne-editoriale-france-soir-a-epreuve-cgu-google
- « Presse en ligne : Francesoir.fr obtient gain de cause en référé », Légalis, 17 janvier 2023 : https://www.legalis.net/actualite/presse-en-ligne-francesoir-fr-obtient-gain-de-cause-en-refere/
- Tribunal administratif, Paris, (ord. réf.), 13 janvier 2023, Sté Shopper Union France
- « Référé suspension contre la décision de la CPPAP : le tribunal donne raison à FranceSoir », FranceSoir, 13 janvier 2023 : https://www.francesoir.fr/politique-france/refere-suspension-contre-la-decision-cppap-tribunal-donne-raison-francesoir