Les intelligences artificielles (IA) ont été créées, à l’origine, pour faciliter la vie de leurs utilisateurs en leur proposant de faire à leur place des recherches spécifiques, leur travail, et même de l’art, en un claquement de doigts. Avec l’émergence des intelligences artificielles, certains créateurs ont donc choisi de s’en servir pour créer des textes, ou encore, de l’art. C’est exactement ce que l’on observe avec ChapGPT, Draw.ai et Lensa qui sont très populaires sur les réseaux sociaux notamment TikTok, où les utilisateurs publient à tour de rôle des photos d’eux retouchées par ces IA, afin de leur donner un effet de dessin, de manga, et d’autres styles. Toutefois, alors que la majorité des utilisateurs se précipitent pour accepter les conditions générales sans les lire, ces applications ne sont parfois pas totalement intègres quant à la protection des droits d’auteur ou des données personnelles des utilisateurs. Tel a été le cas pour Lensa.
Qu’est-ce que Lensa ?
Lensa est une application d’intelligence artificielle créée en 2018 par la société Prisma Labs. Elle permet de transformer des photos transmises par les utilisateurs en avatar de différents thèmes, le thème animé ou le thème astronaute. Cette application est devenue virale sur les réseaux sociaux grâce à cette dernière fonctionnalité qui donne l’impression qu’un véritable artiste est derrière l’image générée.
Pour la faire fonctionner, il suffit de fournir des dizaines de photos de vous, d’indiquer plusieurs mots-clés pour les orienter sur votre vœu et le tour est joué : une photo de vous sous l’angle que vous désiriez sera générée.
Coupable de contrefaçon ?
Cependant, si cette application peut fasciner leurs utilisateurs qui voient leurs photos embellies et dans différents contextes, elle pose de grands problèmes quant aux droits d’auteur.
En effet, afin de générer des photos numériques de leurs utilisateurs, l’IA va récupérer des œuvres de plusieurs auteurs, sans qu’ils en aient donné l’autorisation, accaparer leur style et produire des images avec le style artistique de ces créateurs.
Lensa utilise un modèle de diffusion stable, c’est-à-dire que pour s’inspirer, l’IA va donc chercher et récolter des milliers voire des millions d’œuvres sur les bases de données disponibles sur le web. Elle va utiliser ces œuvres sans autorisation des titulaires des droits d’auteur, elle va usurper leur art, sans rémunérer les artistes à l’origine de ces créations, alors même qu’ils font payer leurs services 100 euros par an. On parle ici de « art theft » et nombreux sont ceux qui ont dénoncé une atteinte à leurs droits d’auteur.
À ce propos, Prisma Labs s’est exprimé : « Tout comme le cinéma n’a pas tué le théâtre et les logiciels de comptabilité n’ont pas éliminé les comptables, l’IA ne remplacera pas les artistes, mais pourrait devenir une excellente aide ».
En droit français, le Code de la propriété intellectuelle dispose à propos des droits d’auteur en son article L.112-1 que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Ce même code dispose en son article L.335-2 que « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ».
Certains ont, toutefois, mis en lumière les lacunes des lois en propriété intellectuelle concernant les intelligences artificielles, comme l’indique, par exemple, Kerry Bowman, une bioéthicienne à l’Université de Toronto « Ce qui se passe avec l’IA émergente, c’est que les lois n’ont pas été en mesure de vraiment suivre cela en termes de droit d’auteur. C’est très difficile et très trouble et l’éthique est encore plus loin derrière les lois parce que je dirais que c’est fondamentalement injuste ».
Atteintes au droit au respect de la vie privée et à l’honneur de l’utilisateur et de tiers
En plus de l’atteinte du droit à l’auteur, les utilisateurs ont pu découvrir que l’application utilisait les photos qu’ils avaient fourni pour créer des avatars d’eux hypersexualisés, nus, voire des photos sexualisées d’enfants qu’ils possédaient sur leur smartphone alors même que cela est contraire aux conditions d’utilisation de l’application.
De plus, la journaliste Melissa Heikkilä indique que l’application avait des biais sexistes et racistes puisque lorsqu’il s’agissait de photos d’hommes, l’IA ne produisait pas d’avatar compromettant, toutefois lorsqu’il s’agissait de femmes et en particulier lorsqu’il s’agissait de femmes issues des minorités ethniques, Lensa créait des avatars qui les sexualisaient, voire des avatars d’elles nues.
D’autres IA utilisent des filtres par mots-clés afin d’éviter que de tels résultats n’apparaissent. Toutefois, selon cette même journaliste, Lensa n’utilise pas de « filtre de sécurité ».
Cette application devient donc dangereuse lorsqu’elle peut permettre à certains d’utiliser cette IA afin de produire des contenus pornographiques permettant de se venger d’une personne, ce qu’on appelle le « revenge porn », mais que certains peuvent par cette application générer des contenus pédopornographiques.
Ainsi, cette application peut porter atteinte au droit au respect de la vie privée des utilisateurs mais également à leur réputation.
La société Prisma Labs s’est défendue en affirmant que « Les photos de l’utilisateur sont supprimées de nos serveurs dès que les avatars sont générés. Les serveurs sont situés aux États-Unis », mais elle n’a pas évoqué l’hypersexualisation des photos des utilisateurs.
QUID des autres IA proposant les mêmes services ?
Quant aux autres IA telles que ChapGPT, d’autres questions se posent quant au droit d’auteur des utilisateurs qui génère par le biais de cette IA des textes, des articles, des devoirs, voire des mémoires. Effectivement, lorsque l’on fait passer ces écrits au détecteur anti-plagiat, ils peuvent être reconnus comme originaux, alors que cela ne vient pas de la réflexion du prétendu auteur. Certains pensent qu’il est nécessaire d’inventer un système permettant d’éviter ces situations, toutefois cela reste encore difficilement envisageable.