NFT et droits d’auteur à la lumière du rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique du 12 juillet 2022

Le 12 juillet 2022, suite à une mission donnée en novembre 2021,  le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) rend un rapport sur les NFT (non fongible token) ou encore JNF (jetons non fongibles) en français. 

La complexité d’appréhension des NFT, de par l’aspect très technique de leur création et du milieu dans lequel ils évoluent est problématique pour le droit et notamment lorsqu’ils font l’objet d’un contentieux. À l’occasion de ce rapport, le CSPLA propose alors une approche plus juridique du NFT par laquelle le Conseil entend définir, analyser, et traiter les différents enjeux juridiques entourant ces nouveaux objets de droit.  

C’est après de nombreuses auditions des praticiens et experts du secteur que le Conseil propose son rapport dans lequel il traite de la qualification juridique appropriée au NFT ainsi que de son articulation avec le droit de la propriété littéraire et artistique et notamment le droit de suite des auteurs.

Les problèmes de qualification juridique des NFT

Avec des qualifications écartées…

Première difficulté rencontrée dans la qualification du NFT, le Conseil écarte une idée couramment faite comme quoi le NFT est une oeuvre d’art. Pour écarter cette qualification, l’ordre s’appuie sur la définition gardée par le droit de la propriété intellectuelle concernant les oeuvres de l’esprit, des créations de forme dotées d’originalité. 

Si le critère de forme ne pose pas spécifiquement problème, celui d’originalité fait particulièrement défaut aux NFT. En effet, l’originalité caractérisée par l’expression de la personnalité de l’auteur, celle-ci est bien difficile à caractériser dans le cas des NFT, créés à l’aide d’un outil informatique automatique, le hachage cryptographique, ne laissant aucune liberté d’action à l’auteur pour y insuffler sa personnalité. 

Les rapporteurs du CSPLA écartent également l’hypothèse dans laquelle le NFT serait le support de l’oeuvre, celui-ci étant lié à l’oeuvre par ni plus ni moins qu’un lien, sans jamais accueillir cette dernière. 

S’agissant enfin de la qualification de contrat d’authenticité, le rapport soulève la neutralité des NFT et leur susceptibilité à faire l’usage de faux pour écarter cette qualification. 

Cette solution est logique au regard de ce qui se fait actuellement sur les plateformes d’échange des NFT, ceux-ci font l’objet d’un grand nombre de contrefaçons, la plateforme Opensea admettant elle-même que 80% des NFT qu’elle accueille seraient contrefaisants.  

… et des qualifications envisagées par le CSPLA

La première qualification pouvant être retenue est celle d’un contrat, en effet, les NFT pourraient éventuellement être considérés comme des contrats lorsqu’ils sont couverts par des conditions générales d’utilisation et de vente sur les plateformes d’échange les accueillant. La technicité de la blockchain apporte cependant des complications dans cette qualification, l’anonymat qui y règne serait un frein non négligeable à l’identification des parties. 

La deuxième qualification envisagée est celle d’instrument de gestion des droits, elle viserait les cas précis où les NFT ont pour objet la protection des fichiers qui leur sont associés. Dans cette deuxième hypothèse les NFT relèveraient des mesures techniques de protection prévues à l’article L.331-5 du Code de la propriété intellectuelle.

La dernière qualification abordée par les rapporteurs est celle de biens meubles incorporels.  Le NFT serait alors un titre de propriété sur un jeton stocké sur une blockchain et renvoyant vers des fichiers numériques. 

Cette qualification semble être, au vu des usages, la plus vraisemblable, les droits associés aux NFT pouvant être d’objets multiples, aux natures diverses avec des portées plus ou moins limitées. Le rapport souligne rappelle alors que l’objet des NFT est de remettre en question la conception actuelle de la propriété par une nouvelle conception prenant tout son sens avec l’arrivée du métayers . 

L’articulation des NFT avec les droits de propriété intellectuelle

L’application des droits patrimoniaux et moraux pour la production et l’émission de NFT

Les rapporteurs du Conseil effectuent une distinction ici, il faut distinguer la production du NFT de l’émission de celui-ci.

Lorsqu’il s’agit simplement de la production du NFT, a priori elle ne devrait pas entrer en conflit avec les prérogatives du droit d’auteur car comme on l’a pu l’aborder auparavant, le NFT ne contient pas l’oeuvre, il n’y a donc ni reproduction ni communication par la production du NFT. Pour autant, afin de produire une oeuvre préexistante en NFT il faut bien que celle-ci soit numérisée, cela suppose alors une première opération de reproduction. Le rapport propose alors l’application exception de copie privée de l’article L122-5 2° du Code de la propriété intellectuelle pour permettre à ceux qui le désirent, de produire des NFT pour leur usage personnel et à des fins non professionnelles. 

Ensuite, lorsqu’il est question de l’émission d’un NFT renvoyant à une oeuvre protégée par des droits d’auteur, l’autorisation de l’auteur ou des ayants droits va être requise. La nature même du NFT, en ce qu’il renvoie à une oeuvre protégée par des droits d’auteur et qu’il est communiqué aux autres utilisateurs de la blockchain suppose qu’il relève d’un mode de reproduction dans les dispositions de l’article L122-3 du Code de la propriété intellectuelle. La communication du NFT sur les plateformes d’échange implique également l’application de l’article L.122-2 du Code de la propriété intellectuelle relatif au droit de représentation dès lors que le NFT renvoyant à l’oeuvre protégée sera communiqué à l’ensemble des utilisateurs de la plateforme. 

L’intérêt des NFT étant principalement spéculatif à l’heure actuelle, ils font l’objet de ventes successives d’utilisateurs à utilisateurs, se pose alors la question de l’application du droit de suite. 

L’application du droit de suite et les commissions reversées par les plateformes

Prévu à l’article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle, le droit de suite permet aux auteurs d’oeuvres de l’esprit de toucher une rémunération à chaque fois que leur oeuvre est vendue dès lors que certaines conditions sont réunies. Ces conditions légales sont l’intervention d’un professionnel du marché de l’art, la production limitée de l’oeuvre et par l’artiste en personne.

Les rapporteurs se posent d’abord la question de savoir si les NFT pourraient relevaient des dispositions de l’article R.122-3 du code de la propriété intellectuelle limitant le nombre d’exemplaires à 12 pour l’application du droit de suite. Il faudrait alors considérer que les NFT puissent par exception être considérés comme les supports de l’oeuvre, dans ce cas précis le droit de suite légal trouverait à s’appliquer si le NFT se limiterait à une douzaine d’exemplaires. 

Les rapporteurs se posent ensuite la question de la susceptibilité des NFT à être des outils de mise en oeuvre du droit de suite. Se pose alors la distinction entre le droit de suite légal prévu à l’article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle et les commissions reversées au créateur du NFT et effectuées par les plateformes d’échange. Le droit de suite légal devant répondre à certaines exigences, lorsque celles-ci sont réunies, le droit de suite s’appliquera du fait de son inaliénabilité et de son caractère d’ordre public.

Le droit de suite cohabite donc avec les commissions reversées par les plateformes, sans que ces secondes ne remplacent ce premier, les commissions ne peuvent pas, en l’état de la pratique, être considérées comme les recettes tirées du droit de suite car les plateformes d’échanges ne sont pas encore considérées comme des professionnels du marché de l’art. 

Lien vers la page du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique :

https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation-du-ministere/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique-CSPLA

Article juridique relatif au rapport :

https://www.village-justice.com/articles/analyse-rapport-conseil-superieur-propriete-litteraire-artistique-sur-les-nft,43422.html