Par Louna GANDREY-MUNOZ, étudiante du Master 2 Droit médias électroniques
En 1950, SNARC le premier ordinateur à réseau de neurones a vu le jour, marquant les prémices de l’intelligence artificielle (IA).
Aujourd’hui, nous sommes témoins de la diversité étonnante des systèmes d’IA, de ChatGPT à DALL-E 2, en passant par Buizness et Midjourney, chacune apportant son lot d’innovation, des conversations humaines à la génération d’images.
Avec cette myriade de possibilités à portée de main, l’attrait pour leur utilisation est indéniable. Cependant, cette omniprésence soulève une question majeure : quel impact cela a-t-il sur la reconnaissance d’œuvres authentiques, notamment dans des événements prestigieux tels que le Sony World Photography Award 2023 ?
La surprise a été totale lorsque l’artiste Boris Eldagsen a été couronné lauréat du prix créatif, puis a choisi de décliner l’honneur arguant que son œuvre n’avait pas sa place dans la compétition étant le fruit d’une IA. Ce concours, comme bien d’autres, ne tient pas encore compte de cette révolution technologique qu’est l’IA, ce qui suscite de nombreuses interrogations.
Le statut juridique des œuvres générées par les IA
Selon le droit français, une œuvre doit revêtir une certaine originalité pour être protégée. L’originalité demeure toutefois une notion complexe à définir, mais la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’affaire Painer, a apporté une définition plus précise. Une œuvre devient originale lorsque l’auteur fait des choix créatifs, arbitraires et personnels, allant au-delà de la technique et du concept.
La question se pose alors : comment une IA peut-elle effectuer de tels choix sans conscience propre, puisque seule une personne humaine est censée avoir cette capacité créative et personnelle ?
La photographie litigieuse, a été crée grâce à l’IA « DALL-E », qui est capable de créer de nouvelles images ou d’éditer des images existantes à partir d’un texte.
Il y a donc une participation active de l’auteur. Néanmoins dans une affaire similaire datant de février 2023, le Bureau américain du Copyright n’a pas permis à l’autrice d’une bande dessinée d’obtenir de droit sur les images générée par IA.
En effet, pour la réalisation de son œuvre, l’autrice a utilisé l’IA « Midjourney » qui fonctionne comme « DALL-E » ; il est donc défendu que pour ce genre d’IA les images sont générées de manière imprévisible, de sorte que l’autrice n’avait pas un contrôle suffisant sur la finalité de ces images.
Effectivement, l’apport créatif de l’auteur se limite ici à fournir des instructions au générateur d’images, qui sont elles-mêmes limitées par la capacité de l’IA utilisée ; il semble alors difficile d’accorder à leurs utilisateurs la qualité d’auteur des créations réalisées.
Les IA, l’échantillonnage d’œuvres préexistantes, et le défi du droit d’auteur
La notion d’œuvre dérivée ou composite n’est pas nouvelle ; elle est codifiée dans l’article L113-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Il s’agit d’une œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière.
Cependant, pour utiliser une ou plusieurs œuvres préexistantes, il est nécessaire qu’elles soient tombées dans le domaine public, à défaut de quoi il faut obtenir une autorisation de l’auteur.
Et enfin, si ces conditions sont remplies, il est indispensable que l’œuvre nouvelle soit elle-même originale pour être protégeable.
Par ailleurs, il existe des cas plus complexes où l’emploi d’une œuvre préexistante est possible sans ces conditions strictes.
C’est le cas qui a été mis en lumière dans l’affaire Pelham jugée par la Cour de justice de l’Union européenne le 27 juillet 2019, où un auteur avait assemblé des morceaux de musiques pour créer des œuvres nouvelles. Il s’agissait ici d’un cas d’échantillonnage d’œuvres préexistantes permettant de créer une œuvre nouvelle, sans que les extraits utilisés permettent de faire le lien entre les deux.
La question fondamentale est la suivante : les IA ne suivent-elles pas une démarche similaire en échantillonnant des œuvres préexistantes, potentiellement non protégées puisqu’elles ne sont pas reproduites dans leur intégralité ?
Pour que cette hypothèse puisse être valable, il est essentiel que l’œuvre générée par l’IA soit significativement différente de l’originale. La protection du droit d’auteur repose sur la notion d’originalité, et si l’IA apporte une transformation créative substantielle à l’échantillon, cela peut soulever des questions sur le statut de l’œuvre et ses implications juridiques.
Le débat sur l’utilisation d’IA pour échantillonner des œuvres préexistantes, en particulier dans un contexte où la notion d’originalité est en jeu, souligne l’importance d’une réflexion juridique approfondie dans un paysage en constante évolution où l’art et la technologie se rencontrent.
La reproduction de styles par IA : un défi juridique actuel
Dans l’ère numérique, les IA sont de plus en plus habiles à imiter le style d’un auteur, ouvrant la voie à un débat juridique complexe. Trois parties principales se disputent les droits potentiels sur une œuvre créée par une IA : le créateur de l’IA, l’utilisateur de l’IA, et l’auteur dont le style a servi de base à la création de la nouvelle œuvre.
Un exemple saisissant de cette controverse émerge sur des plateformes telles qu’Artstation, où il est possible de demander à une IA de produire une illustration dans le style d’un auteur spécifique. Cette pratique a suscité des inquiétudes parmi les créateurs originaux, car elle peut potentiellement entrainer des pertes financières considérables. Cependant, le droit d’auteur pose une question cruciales : est-ce que le style en soi est protégeable ?
Selon les principes du droit d’auteur, la protection ne s’étend généralement pas au style en tant que tel. Cela signifie que les créateurs originaux ne peuvent pas revendiquer de droits sur le style distinctif qu’ils ont développé. Néanmoins, la situation est beaucoup plus nuancée lorsqu’une IA reproduit ce style pour créer une nouvelle œuvre.
Pour les auteurs moins connus, en particulier, prouver que leur style a été repris par une IA peut s’avérer être un véritable défi. La question fondamentale qui se pose est la suivante : comment établir de manière convaincante que le style a été reproduit ? Cela implique de démontrer l’évidence de la reprise du style, ce qui peut être une tâche complexe.
La voie de la concurrence déloyale pour protéger le style de l’auteur contre les IA
Dans le tumulte croissant entourant la reproduction de styles par les, IA une lueur d’espoir surgit pour les créateurs cherchant à protéger leur identité artistique. La solution envisageable ? La voie de la concurrence déloyale, une arme juridique qui pourrait redonner du pouvoir aux auteurs.
Pour poursuivre une affaire de concurrence déloyale avec succès, il est essentiel de démontrer trois éléments clés : la faute, le dommage, et le lien de causalité.
La Faute : qui se manifeste lorsque des éléments caractéristiques de l’auteur sont repris par une IA. Cette appropriation du style original est susceptible de constituer une violation de la concurrence déloyale.
Le Dommage : L’auteur doit également établir le préjudice subi, qui peut se traduire par un manque à gagner résultant de l’utilisation du style par l’IA ou par la diffamation infligée à l’auteur original. Les pertes financières ou la réputation ternie peuvent être des éléments cruciaux pour étayer l’accusation.
Le Lien de Causalité : Enfin, il doit être prouvé que la reprise du style de l’auteur a conduit directement au préjudice subi. C’est le lien de causalité qui relie la faute à ses conséquences préjudiciables.
Au cœur de cette bataille juridique réside le risque de confusion. Les IA sont de plus en plus habiles à imiter le style d’auteurs célèbres ou méconnus, créant ainsi un doute quant à l’origine des œuvres créées. Cette confusion menace la créativité et l’originalité artistique, tout en mettant en péril les moyens de subsistance des auteurs.
L’encadrement des œuvres générées par IA
Dans l’article 3 de la proposition de loi visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, déposée le 12 septembre 2023 à l’Assemblée nationale, il est affirmé que « dans le cas où une œuvre a été générée par un système d’intelligence artificielle, il est impératif d’apposer la mention : « œuvre générée par IA » ainsi que d’insérer le nom des auteurs des œuvres ayant permis d’aboutir à une telle œuvre.
Cette exigence d’identification des contenus représenterait un changement significatif dans l’esprit du droit d’auteur français. Traditionnellement, le droit d’auteur français n’a pas suivi une approche formaliste. Cela signifie qu’il n’y a pas de tradition de marquage rigoureux, et le principe de “tous droits réservés” prévaut. L’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle français précise qu’aucune formalité n’est nécessaire pour obtenir des droits d’auteur.
L’article 3 de la proposition de loi suscite des interrogations sur l’impact qu’une telle mention obligatoire pourrait avoir sur la nature des droits d’auteur. En introduisant cette disposition, la question se pose : est-ce que l’ajout de cette mention obligatoire fournirait un indice de crédibilité pour le contenu ? L’idée sous-jacente est que si une œuvre est générée par une IA, elle pourrait être perçue comme potentiellement trompeuse.
Toutefois, la complexité surgit lorsque l’on considère que les œuvres générées par IA pourraient parfois être authentiques sur le fond, mais peut-être trompeuses dans la forme. La création d’une œuvre par une IA soulève des questions sur la vérité, l’authenticité, et la représentation artistique, qui nécessitent une réflexion juridique approfondie.
Sources
-Candeias, Teresa de Jesus. “Le Droit d’Auteur à l’Ère de l’Intelligence Artificielle.” Village Justice, 8 août 2023.
-DAHAN, Véronique et LEROY-RINGUET, Jérémie. “ChatGPT, MidJourney, Flow Machines… : Quel Droit d’Auteur sur les Créations des IA Génératives?” Le Mag J&A, 12 avril 2023.