par Mathis LECLERC, étudiant du Master 2 Droit des médias électroniques
Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) a été adopté en première lecture au sénat le 5 juillet 2023, puis à l’Assemblée nationale le 17 d’octobre. On y retrouve un ensemble de nouvelles mesures, visant notamment à mettre en place un système de filtre anti-arnaque, une peine de bannissement des réseaux sociaux applicable aux cyberharceleurs, mais également la mise en place d’une sanction administrative aux services de communication au public en ligne de contenus à caractère pornographiques ne respectant pas leur obligation de vérification d’âge efficace, dans un objectif de protection des mineurs.
Une réponse nécessaire face aux problématiques actuelles de cyberharcèlement et d’accessibilité aux sites web à caractère pornographique
Il est aujourd’hui indéniable que Internet a révolutionné positivement notre société, à la fois en tant qu’outil de consultation et de diffusion de l’information et des contenus, mais également en tant qu’outil de communication.
En vertu du principe de neutralité du net, notamment affirmé par le règlement Européen de 2015 relatif à l’accès à un internet ouvert, l’ensemble des utilisateurs disposent d’un droit “d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’internet.”
Cependant, une telle liberté conférée aux utilisateurs a également des conséquences négatives : Internet est aujourd’hui devenu le principal outil de diffusion de contenus illégaux (tels que des publications et messages visant à harceler d’autres utilisateurs), violents ou à caractère pornographique accessibles à tous, notamment les mineurs.
Concernant plus particulièrement les sites web à caractère pornographique, une récente étude de l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), publiée le 25 mai 2023, prouve la facilité d’accès de ce type de contenu par les jeunes : en moyenne, 12% de l’audience est réalisée par les mineurs. Chaque mois, 2,3 millions d’entre eux s’y rendent, un chiffre qui selon cette autorité est en croissance.
Même constat accablant pour les cas de harcèlement en ligne. Une étude de la Caisse d’Épargne et de l’Association e-Enfance sur le cyberharcèlement des jeunes révèle en 2021 que 20% des jeunes déclarent avoir déjà été confrontés à une situation de cyberharcèlement.
De telles données récentes permettent d’arriver à une conclusion : la réglementation actuelle ne suffit pas pour protéger les mineurs sur Internet. De nouvelles mesures sont nécessaires, et c’est ce que tente d’apporter le projet de loi SREN.
La mise en place d’une sanction administrative au manquement de l’obligation de vérification de l’âge des utilisateurs par les services de communication au public en ligne permettant l’accès à des contenus à caractère pornographique : une solution peu efficace ?
L’obligation pesant sur les services de communication au public en ligne permettant l’accès à des contenus pornographiques de vérifier l’âge des internautes n’est pas nouvelle : l’article 23 de la loi sur la protection des victimes des violences conjugales, adoptée le 21 juillet 2020, imposait déjà aux hébergeurs de contenus à caractère pornographique, sous peine de sanction judiciaire, de mettre en place un système permettant de vérifier l’âge des utilisateurs, qui ne repose pas simplement sur une déclaration sur l’honneur.
Le projet de loi SREN revient à la charge et souhaite appliquer une censure cette fois-ci administrative à ces services de communication en ligne ne respectant pas leur obligation de vérification efficace de l’âge des utilisateurs.
Pour ce faire, le rôle de l’ARCOM est renforcé : L’autorité peut désormais de son propre chef ordonner le blocage des sites web à caractère pornographique ainsi que leur déréférencement s’ils ne respectent pas leur obligation.
Toutefois, des doutes légitimes sont à émettre quant à l’efficacité de cette nouvelle mesure, très similaire à celle de la loi de 2020 qui n’a finalement eu que très peu de conséquences. C’est notamment les conclusions tirées par une association de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet, La Quadrature du Net, dans un article du 12 septembre 2023 :
“Cette loi de 2020 n’a pas vraiment changé les choses : les sites pornographiques continuent d’afficher un bouton pour que l’internaute déclare sur l’honneur avoir plus de 18 ans, et très peu de censures ont été prononcées par la justice. Pour la simple raison que personne, ni les plateformes, ni le gouvernement, ni la CNIL ne savent comment effectuer cette vérification de l’âge d’une manière qui soit simple techniquement et respectueuse de la vie privée des personnes.”
En réalité, ces sanctions ne viennent pas régler le problème de fond empêchant leur application : celui d’un système de vérification de l’âge, décrit comme“sujet complexe et porteur de risques importants pour la vie privée” par la CNIL. Tant qu’aucune solution n’est trouvée à ce niveau, il est fortement probable que l’application de cette nouvelle sanction finisse dans le même état de désuétude que celle de la loi de 2020.
L’introduction d’une peine de bannissement des réseaux sociaux et des discussions autour d’un contrôle d’identité en ligne : une admission partielle des députés du manque d’efficacité du projet de loi SREN ?
L’une des principales nouveautés de cette loi est qu’elle introduit en son article 5 une peine complémentaire visant à interdire l’accès aux réseaux sociaux les personnes condamnées pour des faits de harcèlement, une infraction qui est, pour rappel, également constituée lorsqu’elle est “commise par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique” tel qu’un réseau social (Article 222-33-2-2 du Code pénal).
Afin de rendre plus efficaces ces dispositions, le projet de loi SREN prévoit notamment que, sur décision de justice, les réseaux sociaux puissent suspendre les comptes des utilisateurs ayant été condamnés pour des faits de harcèlement.
Cependant, des questions d’efficacité autour de cette sanction ont émergé : Pour rappel, la France a consacré un droit au pseudonymat dans l’article 6 de la loi sur confiance dans le numérique de 2004. Dès lors, comment être certain qu’un utilisateur supposé banni d’une plateforme en ligne ne détourne pas celui-ci en recréant simplement un nouveau compte, et continue ses activités sous un nouveau pseudonyme ?
C’est face à ces questionnements que lors des discussions parlementaires autour du projet de loi SREN, des propositions telles que l’interdiction de l’utilisation des VPNs (réseau privé virtuel) ont été émises puis retirées ou rejetées par l’Assemblée nationale. Des députés Renaissance ont également déposé des amendements afin de rendre obligatoire un contrôle d’identité en ligne avant tout accès aux réseaux sociaux.
Une réponse controversée et inefficace mettant à mal l’anonymat des utilisateurs sur Internet ?
Il est indéniable que le projet de loi SREN constitue aujourd’hui une tentative de réponse nécessaire aux problématiques de cyberharcèlement et d’accessibilité aux sites pornographiques par les mineurs. Cependant, et comme semblent le suggérer les différentes discussions parlementaires, les objectifs visés par cette loi ne semblent réalisables qu’au travers de la mise en place de solutions venant mettre un terme à l’anonymat en ligne (notamment le contrôle d’identité comme condition d’accès aux réseaux sociaux, ou la vérification de l’âge sur les sites web à caractère pornographique), qui joueraient sensiblement avec la vie privée des internautes.
Deux questions émergent alors :
D’une part, celle de l’efficacité de telles dispositions. L’étendue des possibilités techniques sur Internet permet aujourd’hui un détournement facile de ces mesures de contrôle d’accès, notamment grâce à l’utilisation de VPNs (réseaux privés virtuels) qui ne peuvent faire l’objet d’une interdiction pure et simple tant ils sont vitaux dans le domaine de la cybersécurité des particuliers et des entreprises. Dès lors, même des mesures plus liberticides risquent d’avoir peu d’impact tant les solutions de contours sont nombreuses.
D’autre part, celle de l’atteinte à l’anonymat. Même s’il n’existe pas de droit à l’anonymat en France en tant que tel, l’avocat Eric Barbry explique que “Ni le Conseil Constitutionnel, ni la Commission européenne ne pourront valider des projets qui interdisent l’anonymat”. Pour rappel, la directive 2000/31/CE du parlement Européen interdit la mise en place d’un système de surveillance généralisé, tel que le serait les contrôles d’identité à l’accès aux réseaux sociaux.
De nombreux obstacles semblent donc empêcher l’efficience de ces mesures proposées par le projet de loi SREN. Pourra-t-on alors réellement régler ces problématiques sans solutions liberticides ?
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SOURCES :
– Projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN)
– Étude sur la fréquentation des sites pour adultes par les mineurs de l’ARCOM, 25 mai 2023
– Étude Caisse d’Épargne/Association e-enfance sur le cyberharcèlement, 6 octobre 2021
– “Projet de loi SREN : le gouvernement sourd à la réalité d’internet” Article publié par La Quadrature du Net, 12 septembre 2023
– “Vérification de l’âge en ligne : trouver l’équilibre entre protection des mineurs et respect de la vie privée” Article publié par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), 26 juillet 2022