par Lola DUSSERRE-BRESSON, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
LE RESPECT DES DROITS D’AUTEUR SUR TWITCH.
Le jeudi 19 octobre 2023, plusieurs « rediffusions » de live Twitch de la streameuse Océane Amsler publiées sur YouTube ont été retirées. Ces « vidéos réactions », dans lesquelles elle commentait l’émission « 4 mariages pour une lune de miel », ont toutes été supprimées. Cette constatation a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, comme en témoignent les centaines de publication sur X et TikTok.
Le vendredi 20 octobre 2023, la créatrice de contenus a réalisé un live sur Twitch en expliquant les causes de la suppression de ces rediffusions si prisées sur la plateforme YouTube, qui cumulaient plusieurs millions de vues. Après l’annonce de ce live d’explication, les spéculations de la part des internautes se sont démultipliées sur les plateformes de partage de contenu : participerait-elle à l’émission ? Serait-elle devenue co-animatrice ?
Verdict : la réalité est bien moins réjouissante. Océane a été obligée de retirer toutes ses vidéos de la plateforme pour cause d’atteinte aux droits d’auteur de la production, après huit mois de travail et de montage.
Cette injonction suscite des interrogations concernant l’avenir des streameurs, qu’ils réagissent en direct à des émissions, films, séries, jouent en live à des jeux vidéo ou réalisent des contenus de type « let’s play ».
Les droits d’auteur pourraient-ils être à l’origine d’une censure de ces contenus ?
LA RÉGLEMENTATION DE TWITCH ET DES PLATEFORMES DE STREAMING EN DIRECT
La principale plateforme de streaming en direct, utilisée par les streameurs français, est appelée « Twitch ».
La question des droits d’auteur sur cette plateforme est principalement régie par les lois nationales et internationales sur le droit d’auteur, et par des politiques propres à Twitch. C’est notamment le cas avec l’existence aux États-Unis du « Digital Millennium Copyright Act » (DMCA), qui met en place une procédure de notification et de retrait permettant aux titulaires de droits d’auteur de signaler toute infraction en cas de violation de ces derniers.
La plateforme est tenue de retirer tout contenu portant atteinte aux droits d’auteur des créateurs d’œuvres de l’esprit : les streameurs peuvent recevoir des avis de retrait, appelés « takedown », dans cette situation. Ces avertissements tiennent lieu de sanction délivrée par la plateforme. Une personne accusée d’avoir commis des atteintes à multiples occasions pourra être considérée comme récidiviste et subir un bannissement temporaire ou définitif de la plateforme de livestream.
Le cas s’est présenté avec une streameuse américaine du nom de Pokimane : suite à une « vidéo réaction » à l’animé « Avatar, le dernier maître de l’air », la créatrice de contenu a été bannie pendant 48 heures de la plateforme pour violation de droit d’auteur.
Pour pouvoir utiliser l’œuvre protégée, le streameur doit être en possession d’une licence qui lui permettrait de ne pas porter atteinte au droit d’auteur du titulaire de droit.
Étant donné que le DMCA est une législation américaine, s’appliquant aux États-Unis, une réglementation spécifique à l’Union Européenne existe également : il s’agit de l‘article 17 de la directive droit d’auteur 2019/790, qui est de nature à faire respecter les droits d’auteur sur la plateforme. Les dispositions de cet article sont transposées à l’article L137-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle en droit français. Les streameurs français filmant des lives sur Twitch sont donc soumis au respect de cette loi.
ATTEINTE AUX DROITS D’AUTEUR SUR TWITCH : VERS UNE CENSURE D’UNE CATÉGORIE DE CONTENU
L’existence d’exceptions au droit d’auteur dans le droit français, comme la courte citation ou le pastiche, permettraient de justifier l’utilisation de ces contenus par des streameurs : cependant, aucune exception ne permet la réalisation de « vidéos réactions » dans lesquelles les créateurs de contenu réagissent à des émissions, jeux vidéo ou à des créations audiovisuelles, protégeables par le droit d’auteur.
Des lives de plusieurs heures, avec des réactions sur des émissions télévisées ou des contenus audiovisuelles ne permettent pas de caractériser les exceptions permises en droit français.
Mais quel avenir pour les « vidéos réactions » en live, quand cette catégorie de vidéos porte atteinte au droit d’auteur ?
Avec un accroissement significatif de ce genre de lives sur la plateforme Twitch, et de rediffusions publiées sur YouTube, il semble légitime de se poser la question de la légalité de ces contenus : le droit français estime que cette catégorie de vidéos est de nature à porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle que sont le droit d’auteur et les droits voisins. De ce fait, ils seront toujours en capacité de faire valoir leurs droits et de demander la suppression de ces vidéos.
UNE TOLÉRANCE EXTRÊME SUR LE CAS DU JEU VIDÉO
Dans le cas du jeu vidéo, il est possible de constater une grande tolérance de la part des éditeurs : il semble que ces derniers ont fait le choix de ne poursuivre aucun streameur pour le moment, et pour cause ! Les réactions des streameurs à leurs jeux vidéo sont à l’origine d’une promotion d’une efficacité incomparable.
Prenons en exemple le jeu multijoueur « Among Us », qui a joui d’un succès considérable parmi les créateurs de contenu spécialisés dans le jeu vidéo, illustration même de ce phénomène. Les plus renommés dans ce domaine, comme Squeezie et Gotaga, l’ont inclus de manière fréquente dans leurs diffusions en direct, et ce devant des dizaines de milliers de spectateurs : ces lives ont grandement contribué à offrir une publicité exceptionnelle pour les développeurs du jeu, et effectuée à titre gratuit. Il est certain que ces diffusions ont permis la commercialisation à grande échelle d’« Among Us », alors même qu’il n’était que très peu connu du public avant son utilisation par un grand nombre de streameurs.
Les controverses associées aux violations des droits d’auteur liées aux jeux vidéo sont donc relativement peu nombreuses, et demeurent exceptionnelles en ce qui concerne la sphère des diffusions de contenu en live. Les concepteurs de jeux vidéo optent pour laisser les streameurs poursuivre ces dernières, qui servent de plateforme publicitaire à grande échelle, en renonçant aux poursuites qui pourraient être effectuées pour violation des droits d’auteur.
Le DMCA américain précise même que les jeux vidéo sont protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres de l’esprit. Cependant, la plupart du temps, « les éditeurs et développeurs de jeux vidéo autorisent fréquemment la diffusion de leurs jeux sur des services comme Twitch », l’autorisation étant souvent indiquée sur le site web de ces derniers.